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Composition du mordant pour le rouge clair. Voici de quelle maniere se fait le mordant pour le rouge clair : on prend parties égales d’alun & de crême de tartre ; s’il y a une once de chacun, on dissout ce mélange dans une pinte d’eau, & on le gomme à l’ordinaire : si l’on veut des nuances intermédiaires, il n’y a qu’à mêler un peu du premier mordant avec celui-ci.

Mordant pour le violet. Le mordant pour le violet se fait en mettant dans de l’eau quatre pintes partie d’alun de rome, une partie de vitriol de cypre, autant de verd-de-gris, une demi-partie de chaux vive, & de l’eau de ferraille à discretion, suivant que l’on voudra le violet plus ou moins foncé ; l’eau de ferraille est la même composition dont on s’est servi d’abord pour imprimer en noir.

Mordant pour le gris-de-lin. Pour le gris-de-lin on mêlera le mordant du rouge clair avec celui du violet, dans la proportion qu’on jugera à propos.

Second bouillissage. Lorsqu’on aura mis avec la contre-planche ou au pinceau, ces différens mordans, & qu’ils auront séché pendant douze heures au moins, on lavera la toile avec autant de soins & de précautions que la premiere fois, & lorsqu’on l’aura bien tordue, on la bouillira dans un nouveau bain de garance, à laquelle on ajoutera pour chaque once, un demi-gros de cochenille en poudre : on y remuera bien d’abord la toile, comme on a fait la premiere fois, avant que l’eau commence à bouillir, ensuite on lui laissera faire un bouillon : on la retirera, on la lavera bien dans plusieurs eaux ; ensuite dans de l’eau de son chaude, on la tordra & on la laissera sécher.

Si l’on veut un rouge parfaitement beau, on mettra dans ce second bouillissage, parties égales de cochenille & de graine d’écarlate, & deux parties de garance ; toutes les couleurs en seront beaucoup plus belles. Il n’y a rien à changer dans la façon de bouillir & de laver ; on y verra alors les différentes nuances de rouge, de violet, & de noir, qui seront dans toute leur beauté, & telles qu’elles doivent demeurer ; mais le fond sera rougeâtre, & ce n’est qu’en faisant herber la toile qu’on blanchit le fond.

Maniere d’herber la toile. Voici comme on doit s’y prendre. On passe plusieurs fils aux bords & aux coins de la toile : on l’étend à l’envers sur un pré, & avec des petits bâtons passés dans chacun de ces fils, on fait ensorte qu’elle soit bien tendue : on l’arrose sept ou huit fois le jour ; enfin on ne la laisse jamais sécher, parce que le soleil terniroit les couleurs. Cette opération se fait en tout tems, mais elle est plutôt faite aux mois de Mai & de Septembre, à cause de la rosée, & les toiles en sont mieux blanchies. Elles sont ordinairement cinq à six jours de la sorte dans le pré, après quoi le fond est entierement blanc ; s’il ne l’étoit pas tout-à-fait, on pourroit les laver encore une fois dans de l’eau de son, & les laisser bien sécher.

Cirage de la toile. Il reste maintenant à y mettre le bleu, le verd & le jaune : on commence par le bleu, & pour cet effet on étend la toile sur une table couverte de sable très-fin, ou de sablon, & on fait une composition avec parties égales de suif & de cire : on la tient en la faisant, dans un vaisseau de terre, & on l’applique avec un pinceau sur toute la toile, en reservant seulement les endroits qui doivent être bleus ou verds : il faut faire cette opération avec précaution, car cette composition s’étend facilement lorsqu’elle est un peu chaude, & si elle ne l’étoit point assez, elle ne garantiroit pas suffisamment la toile qui couroit risque d’être tachée : il est vrai que le sable qui est sous la toile empêche la composition de s’étendre, parce qu’il s’y attache sur le champ qu’elle est appliquée : il faut cependant un peu d’usage ; pour la bien employer, & pour s’y accoutumer il n’y a qu’à s’exercer sur les endroits du fond où il n’y a rien

à reserver. Cette opération s’appelle cirer la toile : lorsqu’on aura à cirer un endroit, on jettera du sable dessus, avant que la cire soit entierement froide ; le sable qui s’y attache empêche lorsqu’on plie la toile, que les parties cirées n’engraissent celles qui doivent être reservées.

Troisieme bain pour le bleu. Lorsque la toile est bien cirée, on la plonge dans une cuve de teinture bleue ; je donnerai dans la suite la préparation de cette cuve ; mais elle n’a rien de particulier, & c’est la même dont tous les teinturiers se servent pour teindre en bleu. Il faut que la cuve ne soit pas trop chaude, mais seulement un peu tiede, afin que la cire n’y sonde pas ; lorsqu’on a plongé à plusieurs reprises la toile dans la cuve, on la tire & on la laisse sécher.

Pour les nuances. Si l’on veut deux nuances de bleu, lorsque la toile sera séche, on couvrira de la même cire les parties qui doivent être bleu-clair, & on plongera la toile une seconde fois dans la cuve ; les parties qui seront demeurées découvertes se fonceront, & celles que l’on a cirées demeureront d’un bleu-clair : on laissera sécher la toile pendant un jour entier, & lorsqu’on voudra la décirer, on fera bouillir un peu de son dans une bonne quantité d’eau ; lorsqu’elle bouillira on y plongera la toile, dont toute la cire se fondra ; il faut aussitôt la retirer, la frotter légerement avec un peu de savon, la bien laver ensuite dans de l’eau froide, & la laisser sécher.

Si l’on veut faire les tiges & les feuilles vertes, de la même maniere qu’on le fait aux Indes, c’est-à-dire d’un verd brun & assez vilain, il n’y a qu’à passer sur le bleu avec un pinceau la liqueur de ferraille dont on s’est servi pour le noir ; comme la toile est totalement désengallée, elle fait le même verd que l’on voit sur la toile des Indes ; on ne fera rien aux fleurs qui doivent demeurer bleues, & s’il y a quelques parties de fleurs ou d’animaux qui ayent été reservées pour mettre en jaune, on passera la même eau de ferraille qui doit être gommée, (car quoique nous n’ayons pas toujours répété cette circonstance, on doit savoir qu’il ne faut jamais employer aucune couleur, qu’elle ne soit assez gommée pour ne point couler & s’étendre plus qu’on ne veut lorsqu’on l’emploie) : on laissera sécher encore un jour l’eau de ferraille qui a été employée tant pour le verd que pour le jaune, après quoi on lavera bien la toile dans l’eau froide, pour en enlever bien la gomme, & on la laissera bien sécher : il ne reste plus alors qu’à apprêter & à calandrer la toile, ce qui se fait en cette maniere.

Apprêt de la toile. On fait bouillir un peu d’amidon dans de l’eau, & on en fait une espece d’empois blanc, dont on frotte toute la toile, l’humectant avec de l’eau à proportion de la force qu’on veut donner à l’apprêt : on l’étendra ensuite & on la laissera sécher. Cet apprêt est aussi bon que celui de colle de poisson, ou de différentes gommes que plusieurs ouvriers emploient : l’apprêt étant sec, on calandre la toile en la maniere que nous décrirons à la fin de ce mémoire.

Il est bon d’ajouter ici quelques pratiques qui ne sont d’usage que dans les toiles de la premiere beauté, & qui demandent un tems assez considérable, quoique l’exécution n’ait aucune difficulté ; il s’agit de certains desseins délicats qui sont réservés en blanc, en jaune, ou en bleu clair, sur les différentes couleurs ; ces desseins réservés font un très-bel effet : nous aurions dû en parler plutôt, mais nous ne l’avons pas fait, afin qu’on ne perdît pas de vue le cours de l’opération : tous ces desseins réservés se font avec de la cire. J’ignore de quelle maniere on l’emploie aux Indes ; mais après avoir essayé de toutes les façons que j’ai pu imaginer, voici celle qui m’a paru la plus commode.

J’ai pris un pinceau ordinaire, de grosseur médio-