Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retranche le haut, où sont les feuilles desséchées, & on n’emploie que les racines pour cette teinture.

Comme la toile y a été plongée entierement, & qu’elle a dû être imbibée de cette couleur, il faut la retirer, sans craindre que les couleurs rouges soient endommagées par les opérations suivantes. Elles sont les mêmes que celles dont nous avons déjà parlé ; c’est-à-dire qu’il faut laver la toile dans l’étang, la battre dix ou douze fois sur la pierre, la blanchir avec des crottes de mouton, & le troisieme jour la savonner, la battre, & la faire sécher en jettant légerement de l’eau dessus de tems-en-tems. On la laisse humide pendant la nuit ; on la lave encore le lendemain, & on la fait sécher comme la veille : enfin à midi on la lave dans de l’eau chaude pour en retirer le savon & toutes les ordures qui pourroient s’y être attachées, & on la fait bien sécher.

La couleur verte qu’on veut peindre sur la toile demande pareillement des préparations : les voici. Il faut prendre un palam, ou un peu plus d’une once de fleur de cadou, autant de cadou, une poignée de chaïaver ; & si l’on veut que le verd soit plus beau, on y ajoute une écorce de grenade. Après avoir réduit ces ingrédiens en poudre, on les met dans trois bouteilles d’eau, que l’on fait ensuite bouillir jusqu’à diminution des trois quarts ; on verse cette teinture dans un vase en la passant par un linge : sur une bouteille de cette teinture on y met une demi-once d’alun en poudre : on agite quelque tems le vase, & la couleur se trouve préparée.

Si l’on peint avec cette couleur sur le bleu, on aura du verd ; c’est pourquoi quand l’ouvrier a teint sa toile en bleu, il a eu soin de ne pas peindre de cire les endroits où il avoit dessein de peindre du verd, afin que la toile teinte d’abord en bleu, fût en état de recevoir le verd en son tems : il est si nécessaire de peindre sur le bleu, qu’on n’auroit qu’une couleur jaune, si on le peignoit sur une toile blanche.

Mais on doit savoir que ce verd ne tient pas comme le bleu & le rouge ; ensorte qu’après avoir lavé la toile quatre ou cinq fois, il disparoit, & il ne reste à sa place que le bleu sur lequel on l’avoit peint. Il y a cependant un moyen de fixer cette couleur, ensorte qu’elle dure autant que la toile même : le voici. Il faut prendre l’oignon du bananier, le piler encore frais, & en tirer le suc. Sur une bouteille de teinture verte on met quatre ou cinq cuillerées de ce suc, & le verd devient adhérent & ineffaçable ; l’inconvénient est que ce suc fait perdre au verd une partie de sa beauté.

Il reste à parler de la couleur jaune qui ne demande pas une longue explication. La même couleur qui sert pour le verd en peignant sur le bleu, sert pour le jaune en peignant sur la toile blanche. Mais cette couleur n’est pas fort adhérente ; elle disparoît après avoir été lavée un certain nombre de fois : cependant quand on se contente de savonner légerement ces toiles, ou de les laver dans du petit-lait aigri, mélé de suc de limon, ou bien encore de les faire tremper dans de l’eau, où l’on aura délayé un peu de bouse de vache, & qu’on aura passée au-travers d’un linge ; ces couleurs passageres durent bien plus longtems. Observat. sur les cout. d’Asie. (D. J.)

Toiles peintes imitées des indiennes qui se fabriquent en Europe. Les toiles peintes ou les indiennes, sont des toiles de coton empreintes de diverses couleurs ; on en fait en plusieurs endroits en Europe, mais les plus belles viennent de Perse & des Indes orientales. On croit communément qu’on ne peut en faire en Europe de la beauté de celles des Indes, ni qui se lavent de la même maniere sans s’effacer, parce qu’on croit que dans l’Inde on y fait les teintures avec des sucs d’herbes qui ne croissent pas dans ce pays-ci : mais c’est une erreur qu’il est facile de détruire, en

faisant voir que nous avons ici de quoi faire des couleurs aussi variées, aussi belles, & aussi ineffaçables qu’aux Indes ; il est vrai cependant que les toiles peintes qu’on fabrique en Hollande & ailleurs, ne sont pas de la beauté de celles des Indes ; mais voici quelle est la raison. Le travail des ouvriers ne coûte presque rien en Perse & aux Indes ; aussi le tems qu’on met à ces sortes d’ouvrages n’est pas un objet à considérer : ici au contraire, le tems est ce qu’il y a de plus précieux, les matieres qu’on emploie ne sont rien en comparaison, il faut donc chercher à épargner le tems pour pouvoir faire quelque profit ; c’est ce que l’on fait, & c’est aussi pour cela que nos ouvrages sont inférieurs à ceux des Indes, car ils ne leur céderoient en rien s’il étoit possible d’y employer le tems nécessaire.

Il y a plusieurs manieres de travailler la toile peinte suivant l’espece & le nombre des couleurs qu’on y emploie, quoiqu’il semble qu’on doive commencer par celles qui ne sont imprimées que d’une seule couleur ; nous ne le ferons pas cependant, parce que chaque couleur employée seule, demande une pratique différente qui sera plus facile à déduire lorsque l’on sera au fait de celles où il entre plusieurs couleurs.

Maniere de faire une toile peinte à fond blanc où il y a des fleurs de deux ou trois nuances, des fleurs violettes & gris-de-lin, des fleurs bleues, des fleurs jaunes, le trait des tiges noir, les tiges & les feuilles vertes. Préparation de la toile. Il faut d’abord ôter avec soin la gomme ou l’apprêt qu’il y a dans presque toutes les toiles, ce qui se fait en la faisant tremper dans l’eau tiede, la frottant bien, la tordant, la lavant ensuite dans l’eau froide bien claire, & la faisant sécher.

Engallage. La toile étant bien dégommée, il la faut engaller, & pour cela on mettra, par exemple, pour dix aunes de toile de coton, environ deux seaux d’eau froide dans un baquet où l’on jettera quatre onces de noix-de-galle bien pilées ; on y mettra en même tems la toile qu’on remuera un peu, afin qu’elle soit mouillée par-tout ; on la laissera ainsi environ une heure & demie ; on la retirera ensuite, on la tordra, & on la laissera sécher à l’ombre.

Précaution à prendre. Lorsque la toile sera bien séche, on verra qu’elle a contracté un œil jaunâtre ; il faudra prendre garde alors qu’il ne tombe quelque goutte d’eau par-dessus, ce qui feroit une tache ; & dans tout le cours du travail, il faut avoir une grande attention à la propreté, parce que les moindres taches sont irrémediables. Si l’on veut de l’ouvrage fin, il faut calandrer la toile lorsqu’elle sera engallée, afin que cela soit plus fini ; on posera alors sur la toile le dessein que l’on jugera à propos, & on le dessinera à la plume ou au pinceau avec les couleurs ou les mordans dont nous parlerons dans la suite.

Maniere d’imprimer la toile. Si l’on veut un ouvrage plus commun, on l’imprimera avec des planches en cette sorte : on étendra la toile engallée & séchée, sur une grande table bien solide, sur laquelle il y aura de gros drap en double, afin que les planches s’impriment plus également, & on prendra avec une planche gravée, de la couleur noire sur un coussinet : on appliquera la planche sur la toile, on frappera dessus à plusieurs endroits, si elle est grande, afin qu’elle marque par-tout : on imprimera de suite & de la même maniere, tout ce qui doit être en noir, après quoi on fera la même chose avec le rouge foncé, que l’on appliquera avec une contreplanche, c’est-à-dire, une seconde planche, qui est la contrepartie de la premiere, & qui ne porte que sur les endroits où il doit y avoir du rouge, & où la premiere planche n’a pas porté, parce qu’à ces endroits-là il y avoit des lieux reservés à dessein.

Quoique cette operation paroisse jusque-là assez