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fusion simple du cadou, qu’on la lave ensuite, qu’on la bat sur la pierre, qu’on la fait sécher, qu’après cela on la fait tremper dans du lait de buffle, qu’on l’y agite, & qu’on la frotte pendant quelque tems avec les mains ; que quand elle est parfaitement imbibée, on la retire, on la tord, & on la fait sécher ; qu’alors s’il doit y avoir dans les fleurs rouges des traits blancs, comme sont souvent les pistils, les étamines, & autres traits, on peint ces endroits avec de la cire ; après quoi on peint enfin avec un pinceau indien le rouge qu’on a préparé auparavant. Ce sont communément les enfans qui peignent le rouge, parce que ce travail est moins pénible, à-moins qu’on ne voulût faire un travail plus parfait.

Venons maintenant à la maniere dont il faut préparer le rouge : on prend de l’eau âpre, c’est-à-dire, de l’eau de certains puits particuliers, à laquelle on trouve ce goût. Sur deux pintes d’eau on met deux onces d’alun réduit en poudre, on y ajoute quatre onces de bois rouge nommé vartangen, ou du bois de sapan réduit aussi en poudre. On met le tout au soleil pendant deux jours, prenant garde qu’il n’y tombe rien d’aigre & de salé ; autrement la couleur perdroit beaucoup de sa force. Si l’on veut que le rouge soit plus foncé, on y ajoute de l’alun ; on y verse plus d’eau, quand on veut qu’il le soit moins ; & c’est par ce moyen qu’on fait le rouge pour les nuances, & les dégradations de cette couleur.

Pour composer une couleur de lie de vin & un peu violette, il faut prendre une partie du rouge dont nous venons de parler, & une partie du noir dont on a marqué plus haut la composition. On y ajoute une partie égale de cange, de ris gardé pendant trois mois, & de ce mélange il en résulte la couleur dont il s’agit. Il regne une superstition ridicule parmi plusieurs gentils au sujet de ce cange aigri. Celui qui en a, s’en servira lui-même tous les jours de la semaine ; mais le dimanche, le jeudi, & le vendredi, il en refusera à d’autres qui en manqueroient. Ce seroit, disent-ils, chasser leur dieu de leur maison, que d’en donner ces jours-là. Au défaut de ce vinaigre de cange, on peut se servir de vinaigre de callou, ou de vin de palmier.

On peut composer différentes couleurs dépendantes du rouge, qu’il est inutile de rapporter ici. Il suffit de dire qu’elles doivent se peindre en même tems que le rouge, c’est-à-dire avant de passer aux opérations dont nous parlerons, après que nous aurons fait quelques observations sur ce qui précede.

1°. Ces puits dont l’eau est âpre ne sont pas communs, même dans l’Inde ; quelquefois il ne s’en trouve qu’un seul dans toute une ville. 2°. Cette eau, selon l’épreuve que plusieurs européens en ont faite, n’a pas le goût que les Indiens lui attribuent, mais elle paroit moins bonne que l’eau ordinaire. 3°. On se sert de cette eau préferablement à toute autre, afin que le rouge soit plus beau, disent les uns, & suivant ce qu’en disent d’autres plus communément, c’est une nécessité de s’en servir, parce qu’autrement le rouge ne tiendroit pas. 4°. C’est d’Achen qu’on apporte aux Indes le bon alun & le bon bois de sapan.

Quelque vertu qu’ait l’eau aigre pour rendre la couleur rouge adhérante, elle ne tiendroit pas suffisamment, & ne seroit pas belle, si l’on manquoit d’y ajouter la teinture d’imbourre ; c’est ce qu’on appelle plus communément chaïaver ou racine de chaïa. Mais avant que de la mettre en œuvre il faut préparer la toile en la lavant dans l’étang le matin, en l’y plongeant plusieurs fois, afin qu’elle s’imbibe d’eau, ce qu’on a principalement en vue, & ce qui ne se fait pas promptement, à cause de l’onctuosité du lait de buffle, où auparavant l’on avoit mis cette toile, on a bat une trentaine de fois sur la pierre, & on la fait sécher.

Tandis qu’on préparoit la toile, on a dû aussi préparer la racine de chaïa, ce qui se pratique de cette maniere. On prend de cette racine bien seche, on la réduit en poudre très-fine, en la pilant bien dans un mortier de pierre & non de bois, ce qu’on recommande expressément, jettant de tems-en-tems dans le mortier un peu d’eau âpre : on prend de cette poudre environ trois livres, & on la met dans deux seaux d’eau ordinaire, que l’on a fait tiédir, & l’on a soin d’agiter un peu le tout avec la main : cette eau devient rouge, mais elle ne donne à la toile qu’une assez vilaine couleur : aussi ne s’en sert-on que pour donner aux autres couleurs rouges leur derniere perfection.

Il faut pour cela plonger la toile dans cette teinture ; & afin qu’elle la prenne bien, l’agiter & la tourner en tout sens pendant une demi-heure, qu’on augmente le feu sous le vase. Lorsque la main ne peut plus soutenir la chaleur de la teinture, ceux qui veulent que leur ouvrage soit plus propre & plus parfait, ne manquent pas d’en retirer leur toile, de la tordre, & de la faire bien sécher : en voici la raison. Quand on peint le rouge, il est difficile qu’il n’en tombe quelques gouttes dans les endroits où il ne doit point y en avoir. Il est vrai que le peintre a soin de les enlever avec le doigt autant qu’il peut, à-peu-près comme nous faisons lorsque quelque goutte d’encre est tombée sur le papier où nous écrivons ; mais il reste toujours des taches que la teinture de chaia rend encore plus sensibles : c’est pourquoi avant que de passer outre on retire la toile, on la fait secher, & l’ouvrier recherche ces taches, & les enleve le mieux qu’il peut avec un limon coupé en deux parties.

Les taches étant effacées, on remet la toile dans la teinture, on augmente le feu jusqu’à ce que la main n’en puisse pas soutenir la chaleur ; on a soin de la tourner & retourner en tout sens pendant une demi-heure : sur le soir on augmente le feu, & on sait bouillir la teinture pendant une heure ou environ. On éteint alors le feu ; & quand la teinture est tiede, on en retire la toile qu’on tend fortement, & que l’on garde ainsi humide jusqu’au lendemain.

Avant que de parler des autres couleurs, il est bon de dire quelque chose sur le chaïa. Cette plante naît d’elle-même ; on ne laisse pas d’en semer aussi pour le besoin qu’on en a. Elle ne croît hors de terre que d’environ un demi-pié ; la feuille est d’un verd clair, large de près de deux lignes, & longue de cinq à six. La fleur est extrèmement petite & bleuâtre ; la graine n’est guere plus grosse que celle du tabac. Cette petite plante pousse en terre une racine qui va quelquefois jusqu’à près de quatre piés ; ce n’est pas la meilleure : on lui préfere celle qui n’a qu’un pié ou un pié & demi de longueur. Cette racine est fort menue, quoiqu’elle pousse avant en terre & tout droit ; elle ne jette à droite & à gauche que fort peu & de très-petits filamens. Elle est jaune quand elle est fraîche, & devient brune en se séchant : ce n’est que quand elle est seche qu’elle donne à l’eau la couleur rouge, sur quoi on a fait une épreuve assez singuliere. Un ouvrier avoit mis tremper cette racine dans de l’eau qui étoit devenue rouge. Pendant la nuit un accident fit répandre la liqueur ; mais il fut bien surpris de trouver le lendemain au fond du vase quelques gouttes d’une liqueur jaune qui s’y étoit ramassée ; ce qui ne venoit que de ce que le chaïa dont il s’étoit servi étoit de la meilleure espece. En effet, lorsque les ouvriers réduisent en poussiere cette racine, en jettant un peu d’eau, comme on l’a dit, il est assez ordinaire qu’elle soit de couleur de safran. On remarquera, qu’autour de ce vase renversé, il s’étoit attaché une pellicule d’un violet assez beau. Cette plante se vend en paquets secs ; on en