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les conclusions, l’impossibilité de se passer de quelque loi positive, universelle, qui servît de base à l’édifice, & ce fut la matiere d’un second cours qu’il entreprit à la sollicitation de quelques personnes qui avoient suivi le premier. Son pere vivoit encore, & l’autorité dont il jouissoit, suspendoit l’éclat des haines sourdes que Thomasius se faisoit de jour en jour par sa liberté de penser ; mais bientôt il perdit le repos avec cet appui.

Il s’étoit contenté d’enseigner avec Puffendorf que la sociabilité de l’homme étoit le fondement de la moralité de ses actions ; il l’écrivit ; cet ouvrage fut suivi d’un autre où il exerça une satyre peu menagée sur différens auteurs, & les cris commencerent à s’élever. On invoqua contre lui l’autorité ecclésiastique & séculiere. Les défenseurs d’Aristote pour lequel il affectoit le plus grand mépris, se joignirent aux jurisconsultes, & cette affaire auroit eu les suites les plus sérieuses, si Thomasius ne les eût arrêtées en fléchissant devant ses ennemis. Ils l’accusoient de mépriser la religion & ses ministres, d’insulter à ses maîtres, de calomnier l’église, de douter de l’existence de Dieu ; il se défendit, il ferma la bouche à ses adversaires, & il conserva son franc-parler.

Il parut alors un ouvrage sous ce titre, interesse principum circa religionem evangelicam. Un professeur en théologie, appellé Hector Godefroi Masius, en étoit l’auteur. Thomasius publia ses observations sur ce traité ; il y comparoit le lutheranisme avec les autres opinions des sectaires, & cette comparaison n’étoit pas toujours à l’avantage de Masius. La querelle s’engagea entre ces deux hommes. Le roi de Danemarck fut appellé dans une discussion où il s’agissoit entr’autres choses de savoir si les rois tenoient de Dieu immédiatement leur autorité ; & sans rien prononcer sur le fond, sa majesté danoise se contenta d’ordonner l’examen le plus attentif aux ouvrages que Thomasius publieroit dans la suite.

Il eut l’imprudence de se mêler dans l’affaire des Pietistes, d’écrire en faveur du mariage entre des personnes de religions différentes, d’entreprendre l’apologie de Michel Montanus accusé d’athéisme, & de mécontenter tant d’hommes à la fois, que pour échapper au danger qui menaçoit sa liberté, il fut obligé de se sauver à Berlin, laissant en arriere sa bibliotheque & tous ses effets qu’il eut beaucoup de peine à recouvrer.

Il ouvrit une école à Hales sous la protection de l’électeur ; il continua son ouvrage périodique, & l’on se doute bien qu’animé par le ressentiment & jouissant de la liberté d’écrire tout ce qu’il lui plaisoit, il ne ménagea guere ses ennemis. Il adressa à Masius même les premieres feuilles qu’il publia. Elles furent brûlées par la main du bourreau ; & cette exécution nous valut un petit ouvrage de Thomasius, où sous le nom de Attila Frédéric Frommolohius, il examine ce qu’il convient à un homme de bien de faire, lorsqu’il arrive à un souverain étranger de flétrir ses productions.

L’école de Hales devint nombreuse. L’électeur y appella d’autres personnages célebres, & Thomasius fut mis à leur tête. Il ne dépendoit que de lui d’avoir la tranquillité au milieu des honneurs ; mais on n’agitoit aucune question importante qu’il ne s’en mêlât ; & ses disputes se multiplioient de jour en jour. Il se trouva embarrassé dans la question du concubinage, dans celle de la magie, des sortileges, des vénéfices, des apparitions, des spectres, des pactes, des démons. Or je demande comment il est possible à un philosophe de toucher à ces sujet, s sans s’exposer au soupçon d’irréligion ?

Thomasius avoit observé que rien n’étoit plus opposé aux progrès de nos connoissances que l’attachement opiniatre à quelque secte. Pour encourager ses

compatriotes à secouer le joug & avancer le projet de réformer la philosophie, après avoir publié son ouvrage de prudentia cogitandi & ratiocinandi, il donna un abrégé historique des écoles de la Grece ; passant de-là au cartésianisme qui commençoit à entraîner les esprits, il exposa à sa maniere ce qu’il y voyoit de répréhensible, & il invita à la méthode éclectique. Ces ouvrages, excellens d’ailleurs, sont tachés par quelques inexactitudes.

Il traita fort au long dans le livre qu’il intitula, de l’introduction à la philosophie rationelle, de l’érudition en général & de son étendue, de l’érudition logicale, des actes de l’entendement, des termes techniques de la dialectique, de la vérité, de la vérité premiere & indémontrable, des démonstrations de la vérité, de l’inconnu, du vraissemblable, des erreurs, de leurs sources, de la recherche des vérités nouvelles, de la maniere de les découvrir ; il s’attacha surtout à ces derniers objets dans sa pratique de la philosophie rationelle. Il étoit ennemi mortel de la méthode syllogistique.

Ce qu’il venoit d’exécuter sur la logique, il l’entreprit sur la morale ; il exposa dans son introduction à la philosophie morale ce qu’il pensoit en genéral du bien & du mal, de la connoissance que l’homme en a, du bonheur, de Dieu, de la bienveillance, de l’amour du prochain, de l’amour de soi, &c. d’où il passa dans la partie pratique aux causes du malheur en général, aux passions, aux affections, à leur nature, à la haine, à l’amour, à la moralité des actions, aux tempéramens, aux vertus, à la volupté, à l’ambition, à l’avarice, aux caracteres, à l’oisiveté, &c… Il s’efforce dans un chapitre particulier à démontrer que la volonté est une faculté aveugle soumise à l’entendement, principe qui ne fut pas goûté généralement.

Il avoit surtout insisté sur la nature & le mêlange des tempéramens ; ses réflexions sur cet objet le conduisirent à de vues nouvelles sur la maniere de découvrir les pensées les plus secrettes des hommes par le commerce journalier.

Après avoir posé les fondemens de la réformation de la logique & de la morale, il tenta la même chose sur la jurisprudence naturelle. Son travail ne resta pas sans approbateurs & sans critiques ; on y lut avec quelque surprise que les habitudes théorétiques pures appartiennent à la folie, lors même qu’elles conduisent à la vérité : que la loi n’est point dictée par la raison, mais qu’elle est une suite de la volonté & du pouvoir de celui qui commande : que la distinction de la justice en distributive & commutative est vaine : que la sagesse consiste à connoître l’homme, la nature, l’esprit & Dieu : que toutes les actions sont indifférentes dans l’état d’intégrité : que le mariage peut être momentané : qu’on ne peut démontrer par la raison que le concubinage, la bestialité, &c. soient illicites &c

Il se proposa dans ce dernier écrit de marquer les limites de la nature & de la grace, de la raison & de la révélation.

Quelque tems après il fit réimprimer les livres de Poiret de l’érudition vraie, fausse & superficielle.

Il devint théosophe, & c’est sous cette forme qu’on le voit dans sa pneumatologie physique.

Il fit connoissance avec le médecin célebre Frédéric Hoffman, & il prit quelques leçons de cet habile médecin, sur la physique méchanique, chimique & expérimentale ; mais il ne goûta pas un genre d’étude qui, selon lui, ne rendoit pas des vérités en proportion du travail & des dépenses qu’il exigeoit.

Laissant-là tous les instrumens de la physique, il tenta de concilier entr’elles les idées mosaïques, cabalistiques & chrétiennes, & il composa son tentamen de naturâ & essentiâ spiritûs. Avec quel éton-