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gais, qui s’étoient rendus puissans dans les Indes, mirent tout en œuvre pour amener cette église à la tutelle du pape, auquel elle n’avoit jamais été soumise.

Les chrétiens de S. Thomas se donnent une antiquité bien plus reculée que celle dont nous venons de parler. Ils prétendent que l’apôtre S. Thomas est le fondateur de leur église, & les Portugais leurs ennemis, n’ont pas peu contribué à appuyer cette tradition. Antoine Gouvea, religieux Augustin, la soutient dans son livre intitulé : Jornada do Arcebispo de Goa, imprimé à Conimbre en 1606.

Il prétend que dans la répartition de toutes les parties du monde qui se fit entre les apôtres, les Indes échurent à S. Thomas, qui après avoir établi le christianisme dans l’Arabie heureuse, & dans l’île Dioscoride, appellée aujourd’hui Socotora, se rendit à Cranganor, où résidoit alors le principal roi de la côte de Malabar. Le saint apôtre ayant fondé plusieurs églises à Cranganor, vint sur la côte opposée, connue aujourd’hui sous le nom de Coromandel, & s’étant arrêté à Méliapour, que les Européens appellent Saint-Thomas, il y convertit le roi & tout le peuple.

Je ne suivrai point sa narration romanesque, qui doit peut-être son origine à ceux-là même, qui ont autrefois supposé divers actes sous le nom des apôtres ; entr’autres les actes de S. Thomas, & l’histoire de ses courses dans les Indes. Ces actes fabuleux subsistent encore dans un manuscrit de la bibliotheque du roi de France. M. Simon dans ses observations sur les versions du nouveau Testament, en a donné un extrait, que le savant Fabricius a inséré dans son premier volume des apocryphes du nouveau Testament. Il paroît que c’est de-là, que le prétendu Abdias, babylonien, a puisé tout ce qu’il débite dans la vie de S. Thomas ; & il n’est pas surprenant que les chrétiens de Malabar, gens simples & crédules, aient adopté la fable de cette mission, ainsi que beaucoup d’autres.

Il est néanmoins toujours certain, que la connoissance du christianisme est ancienne sur la côte de Malabar, non-seulement par le témoignage de Cosmas, mais encore, parce qu’on trouve dans les souscriptions du concile de Nicée, celle d’un prélat qui se donne le titre d’évêque de Perse. De plus, un ancien auteur cité par Suidas, dit que les habitans de l’Inde intérieure (c’est le nom que Cosmas donne à la côte de Malabar), les Ibériens & les Arméniens, furent baptisés sous le regne de Constantin.

Les princes du pays, entr’autres Serant Peroumal, empereur de Malabar, fondateur de la ville de Calecut, l’an de J. C. 825, selon M. Vischer, donna de grands privileges aux chrétiens de la côte. Ils ne dépendent à proprement parler que de leur évêque, tant pour le temporel, que pour le spirituel.

Le roi de Cranganor honora depuis de ses bonnes graces un arménien nommé Thomas Cana ou mar-Thomas ; ce mot de mar est syriaque, & signifie la même chose que le dom des Espagnols. Il y a de l’apparence que la conformité de nom l’a quelquefois fait confondre avec l’apôtre S. Thomas. Cet homme qui faisoit un gros trafic avoit deux maisons, l’une du côté du sud, dans le royaume de Cranganor, & l’autre vers le nord, au voisinage d’Augamale.

Dans la premiere de ces maisons, il tenoit son épouse légitime, & dans la seconde, une concubine convertie à la foi. Il eut des enfans de l’une & de l’autre de ces femmes. En mourant, il laissa à ceux qui lui étoient nés de son épouse légitime, les terres qu’il possédoit au midi ; & les bâtards hériterent de tous ses biens qui étoient du côté du nord. Ces descendans de mar Thomas s’étant multipliés, partagerent tout le christianisme de ces lieux-là. Ceux qui descendent de la femme légitime, passent pour les plus

nobles ; ils sont si fiers de leur origine, qu’ils ne contractent point de mariages avec les autres, ne les admettant pas même à la communion dans leurs églises, & ne se servant point de leurs prêtres.

Quelques tems après la fondation de la ville de Coulan, à laquelle commence l’époque du Malabar, c’est-à-dire après l’an 822 de Notre-Seigneur, deux ecclésiastiques syriens vinrent de Babylone dans les Indes : l’un se nommoit mar Sapor, & l’autre mar Peroses. Ils aborderent à Coulan, où le roi voyant qu’ils étoient respectés des chrétiens, leur accorda entr’autres privileges, celui de bâtir des églises partout où ils voudroient ; ces privileges subsistent peut-être encore : les chrétiens indiens les firent voir à Alexis de Menezès, écrits sur des lames de cuivre, en langue & caracteres malabares, canarins, bisnagares & tamules, qui sont les langues les plus en usage sur ces côtes.

Une si longue suite de prospérités rendit les chrétiens indiens si puissans, qu’ils secouerent le joug des princes infideles, & élurent un roi de leur nation. Le premier qui porta ce nom s’appelloit Baliarté, & il se donnoit le titre de roi des Chrétiens de S. Thomas. Ils se conserverent quelque tems dans l’indépendance sous leurs propres rois, jusqu’à ce qu’un d’eux, qui selon une coutume établie dans les Indes, avoit adopté pour fils, le roi de Diamper, mourut sans enfans, & ce roi payen lui succéda dans tous ses droits sur les chrétiens des Indes. Ils passerent ensuite par une adoption semblable sous la jurisdiction du roi de Cochin, auquel ils étoient soumis, lorsque les Portugais arriverent dans les Indes. Il y en avoit cependant un nombre assez considérable qui obéissoit aux princes voisins.

L’an 1502, Vasco de Gama, amiral du roi de Portugal, étant arrivé à Cochin avec une flotte, ces chrétiens lui envoyerent des députés, par lesquels ils lui représenterent que puisqu’il étoit vassal d’un roi chrétien, au nom duquel il venoit pour conquérir les Indes, ils le prioient de les honorer de sa protection & de celle de son roi ; l’amiral leur donna de bonnes paroles, n’étant pas en état de les assister d’une autre maniere.

Ils dépendent du catholique de Perse & du patriarche de Babylone, & de Mosul. Ils appellent leurs prêtres, caçanares, dont les fonctions étoient d’expliquer leurs livres écrits en langue syriaque. Les premiers missionnaires qui travaillerent à leur instruction, pour les soumettre à l’Eglise romaine, furent des Cordeliers ; mais les jésuites envisageant cette charge comme une affaire fort lucrative, obtinrent un college du roi de Portugal, outre des pensions, & la protection du bras séculier. Malgré tout cela, les chrétiens malabares suivirent leur culte, & ne permirent jamais qu’on fît mention du pape dans leurs prieres. Mais il faut ici donner une idée complette des opinions & des rits ecclésiastiques de ces anciens chrétiens.

La premiere erreur qu’on leur reproche, est l’attachement qu’ils ont pour la doctrine de Nestorius, joint à leur entêtement à nier, que la bienheureuse Vierge soit véritablement la mere de Dieu.

Ils n’admettoient aucunes images dans leurs églises, sinon dans quelques-unes qui étoient voisines des Portugais, dont ils avoient pris cet usage. Cela n’empêchoit pas que de tout tems ils n’eussent des croix, pour lesquelles ils avoient beaucoup de respect.

Ils croyoient que les ames des bienheureux ne verroient Dieu qu’après le jour du jugement universel, opinion qui leur étoit commune avec les autres églises orientales ; & qui, quoique traitée d’erreur par Gouvea, est en quelque maniere appuyée sur la tradition.