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remplacée dans le bon teint, par la gaude & la garance mêlées ensemble ; mais on se sert du rocou dans le petit teint pour les autres jaunes, &c. En général le rocou est un très-mauvais ingrédient pour la teinture des laines, & même il n’est pas d’un grand usage, parce qu’il ne laisse pas d’être cher, & qu’il est facilement remplacé par d’autres plus tenaces, & à meilleur marché.

De la graine d’Avignon. La graine d’Avignon est de très-peu d’usage en teinture : elle fait un assez beau jaune, mais qui n’a aucune solidité ; non plus que le vert qu’elle donne, en passant dans son bain une étoffe qui a reçu un pié de bleu.

De la terra merita. La terra merita s’emploie à-peu-près de même que la graine d’Avignon ; mais en beaucoup moindre quantité, parce qu’elle fournit beaucoup plus de teinture. Elle est un peu moins mauvaise que les autres ingrédiens jaunes dont il a été parlé précédemment. Mais comme elle est chere, c’est une raison suffisante pour ne l’employer presque jamais dans le petit teint. On s’en sert quelquefois dans le bon teint pour dorer les jaunes faits avec la gaude, & pour éclaircir & oranger les écarlates ; mais cette pratique est condamnable, car l’air emporte en très-peu de tems toute la partie de la couleur qui vient de la terra merita ; ensorte que les jaunes dorés reviennent dans leur premier état, & que les écarlates brunissent considérablement ; quand cela arrive à ces sortes de couleurs, on peut être assuré qu’elles ont été falsifiées avec ce faux ingrédient qui n’a aucune solidité.

Voilà tout ce qu’il y a à dire sur les ingrédiens du petit teint : ils ne doivent être employés dans la teinture que pour les étoffes communes ou de bas prix. Ce n’est pas qu’on croye impossible d’en tirer des couleurs solides ; mais alors les couleurs ne seront plus précisément celles que ces ingrédiens donnent naturellement, ou par les méthodes ordinaires ; comme il faut y ajouter l’adstriction & le gommeux qui leur manque, ce n’est plus alors le même arrangement des parties ; & par conséquent les rayons de la lumiere seront réfléchis différemment.

Instruction sur le débouilli des laines & étoffes de laine. Comme il a été reconnu que l’ancienne méthode prescrite pour le débouilli des teintures n’est pas suffisante pour juger exactement de la bonté ou de la fausseté de plusieurs couleurs ; que cette méthode pouvoit même quelquefois induire en erreur, & donner lieu à des contestations ; il a été fait, par ordre de sa majesté, différentes expériences sur les laines destinées à la fabrique des tapisseries pour connoître le degré de bonté de chaque couleur, & les débouillis les plus convenables à chacune.

Pour y parvenir, il a été teint des laines fines en toutes sortes de couleurs, tant en bon teint qu’en petit teint, & elles ont été exposées à l’air & au soleil pendant un tems convenable. Les bonnes couleurs se sont parfaitement soutenues ; & les fausses se sont effacées plus ou moins, à proportion du degré de leur mauvaise qualité : & comme une couleur ne doit être réputée bonne, qu’autant qu’elle résiste à l’action de l’air & du soleil, c’est cette épreuve qui a servi de regle pour décider sur la bonté des différentes couleurs.

Il a été fait ensuite, sur les mêmes laines dont les échantillons avoient été exposés à l’air & au soleil, diverses épreuves de débouilli ; & il a d’abord été reconnu que les mêmes ingrédiens ne pouvoient pas être indifféremment employés dans les débouillis de toutes les couleurs, parce qu’il arrivoit quelquefois qu’une couleur reconnue bonne par l’exposition à l’air, étoit considérablement altérée par le débouilli, & qu’une couleur fausse résistoit au même débouilli.

Ces différentes expériences ont fait sentir l’inutilité du citron, du vinaigre, des eaux sures & des eaux fortes, par l’impossibilité de s’assurer du degré d’acidité de ces liqueurs ; & il a paru que la méthode la plus sûre est de se servir, avec de l’eau commune, d’ingrédiens dont l’effet est toujours égal.

En suivant cet objet, il a été jugé nécessaire de séparer en trois classes toutes les couleurs dans lesquelles les laines peuvent être teintes, tant en bon qu’en petit teint, & de fixer les ingrédiens qui doivent être employés dans les débouillis des couleurs comprises dans chacune de ces trois classes.

Les couleurs comprises dans la premiere classe, doivent être débouillies avec l’alun de Rome ; celles de la seconde, avec le savon blanc ; & celles de la troisieme, avec le tartre rouge.

Mais comme il ne suffit pas, pour s’assurer de la bonté d’une couleur par l’épreuve du débouilli, d’y employer des ingrédiens dont l’effet soit toujours égal ; qu’il faut encore, non-seulement que la durée de cette opération soit exactement déterminée ; mais même que la quantité de liqueur soit fixée, parce que le plus ou moins d’eau diminue ou augmente considérablement l’activité des ingrédiens qui y entrent, la maniere de procéder aux différens débouillis, sera prescrite par les articles suivans.

Article premier. Le débouilli avec l’alun de Rome sera fait en la maniere suivante.

On mettra dans un vase de terre ou terrine, une livre d’eau & une demi-once d’alun ; on mettra le vaisseau sur le feu ; & lorsque l’eau bouillira à gros bouillons, on y mettra la laine dont l’épreuve doit être faite, & on l’y laissera bouillir pendant cinq minutes ; après quoi on la retirera & on la lavera bien dans l’eau froide : le poids de l’échantillon doit être d’un gros ou environ.

2. Lorsqu’il y aura plusieurs échantillons de laine à débouillir ensemble, il faudra doubler la quantité d’eau & celle d’alun, ou même la tripler ; ce qui ne changera en rien la force & l’effet du débouilli, en observant la proportion de l’eau & de l’alun, en sorte que pour chaque livre d’eau, il y ait toujours une demi-once d’alun.

3. Pour rendre plus certain l’effet du débouilli, on observera de ne pas faire débouillir ensemble des laines de différentes couleurs.

4. Le débouilli avec le savon blanc se fera en la maniere suivante.

On mettra dans une livre d’eau, deux gros seulement de savon blanc, haché en petits morceaux ; ayant mis ensuite le vaisseau sur le feu, on aura soin de remuer l’eau avec un bâton, pour bien faire fondre le savon ; lorsqu’il sera fondu, & que l’eau bouillira à gros bouillons, on y mettra l’échantillon de laine, qu’on y fera pareillement bouillir pendant cinq minutes, à compter du moment que l’échantillon y aura été mis, ce qui ne se fera que lorsque l’eau bouillira à gros bouillons.

5. Lorsqu’il y aura plusieurs échantillons de laine à débouillir ensemble, on observera la méthode prescrite par l’article 2, c’est-à-dire, que pour chaque livre d’eau, on mettra toujours deux gros de savon.

6. Le débouilli avec le tartre rouge se fera précisément de même, avec les mêmes doses & dans les mêmes proportions que le débouilli avec l’alun ; en observant de bien pulvériser le tartre, avant que de le mettre dans l’eau, afin qu’il soit entièrement fondu lorsqu’on y mettra les échantillons de laine.

7. Les couleurs suivantes seront débouillies avec l’alun de Rome ; savoir, le cramoisi de toute nuances, l’écarlate de Venise, l’écarlate couleur de feu, le couleur de cerise, & autres nuances de l’écarlate, les violets & gris-de-lin de toutes nuances,