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Il y a lieu de croire qu’il la bâtit sur une montagne, appellée aujourd’hui la montagne de S. Etienne. On y voit encore les ruines d’une ville qui paroît avoir été considérable. Les pierres qui sont restées de la démolition de ses murailles sont d’une grandeur extraordinaire. On y a trouvé des colonnes de marbre blanc toutes entieres, des statues, & sur-tout quantité de sépulchres : monumens qui prouvent que cette ville a été la capitale de l’île. Et qui peut douter que cette ville capitale n’ait été la ville même de Théra, appellée dans plusieurs auteurs la ville métropole de Cyrene ?

Quant à la forme du gouvernement que Théras établit dans son petit royaume, il est à présumer qu’il l’établit sur le modele de celui de Lacédémone, dont il s’étoit bien trouvé pendant le tems de sa régence ; du-moins n’en trouve-t-on rien de particulier dans les auteurs, si ce n’est une coutume ou une loi touchant le deuil qu’Eustathe nous a conservée dans son commentaire sur Denys le géographe. Les Théréens, dit-il, ne pleuroient ni les enfans qui mouroient avant sept ans, ni les hommes qui mouroient au-delà de cinquante ans. Ceux-ci, parce qu’apparemment ils étoient censés avoir assez vécu, & ceux-là, parce qu’on ne pensoit pas qu’ils eussent encore vécu.

Les Théréens crurent ne pouvoir trop reconnoître les biens que Théras leur avoit fait pendant sa vie ; ils lui rendirent après sa mort des honneurs divins, récompense ordinaire qu’on rendoit autrefois aux fondateurs des villes & des états. Il laissa en mourant un fils appellé Samus, lequel eut deux fils, Télémaque & Clytius. Ce dernier succéda à son pere, & Télémaque passa dans la Sicile avec une colonie. La suite des descendans de Clytius est perdue jusqu’à Æsanius, pere de Grinus, le dernier des rois de Théra que nous connoissions, & sous qui Battus passa dans la Lybie.

Quoique l’île de Théra ait extrèmement changé de face par les tremblemens de terre, on voyoit encore dans le dernier siecle sur une des collines du mont Saint-Etienne, les ruines d’un temple à colonnes de marbre. Peut-être que c’étoit celui de Neptune que les Rhodiens y bâtirent, & peut être aussi un temple de Minerve ou d’Apollon ; car l’île de Théra étoit consacrée à ce dernier dieu, & c’est pour cela que Pindare l’appelle une île sacrée.

M. Spon a recueilli dans ses antiquités curieuses toutes les inscriptions qu’il a trouvées parmi les ruines de la plus jolie ville de l’île de Théra, & qui étoit illustre encore sous la belle Rome, puisqu’on lui permit de consacrer des monumens à ses empereurs. Voici en françois les inscriptions dont nous parlons ; car il seroit pénible de les transcrire en grec.

I. Inscription. « Cœranus fils d’Agnosthène, & Agnosthène son fils, au nom du peuple, marquent leur attachement pour Tibere, Claude, César, Auguste, Germanique.

II. Par les soins d’Asclépiade & de Quietus, magistrats pour le seconde fois avec Alexandre fils d’Euphrosyne, le sénat & le peuple de l’île de Théra ont fait ériger la statue de l’empereur César, Marc-Aurele, Antonin, Auguste, consacrée par Poliuchus, grand prêtre pour la seconde fois.

III. Le sénat & le peuple de Théra assurent l’empereur César, L. Septime Severe, Pertinax, Auguste, de leur entier dévouement.

IV. Sous les magistrats M. Aurele Isoclée fils d’Asclépiades, Aurele Cleotelès fils de Tyrannus, & Aurele Philoxène fils d’Abascantus, par ordre du sénat & du peuple de Théra, Aurele Isoclée, premier magistrat pour la seconde fois, a fait la dépense, & pris le soin de faire ériger la statue du très-grand empereur César, Marc Aurele Se-

vere, Antonin Pie, Auguste, Arabique, Adiabénique, Parthique, Germanique.

V. Aurelius Tychasius pour son pere, & Elpizousa pour son cher mari Tychasius, consacrent les témoignages de leur tendresse.

VI. Carpus a consacré par ce monument son amour pour sa chere femme Sœide, qui n’avoit point eu d’autre mari. »

Quelques-uns font naître Aristippe dans l’île de Théra, & Horace l’appelle græcus Aristippus ; mais tous les historiens donnent à ce philosophe pour patrie la ville de Cyrène en Lybie, aujourd’hui Caïroam, dans le royaume de Barca, cependant on peut défendre l’épithete d’Horace comme poëte, & dire qu’Aristippe étoit grec d’origine, parce que l’île de Théra avoit été peuplée par une colonie greque, & que la ville de Cyrène fut ensuite bâtie par une colonie de Théra. (Le chevalier de Jaucourt.)

THERAPEUTES, s. m. pl. (Hist. jud.) terme grec qui signifie serviteurs, & en particulier ceux qui se consacroient au service de Dieu, dérivé de θεραπεύω, qui signifie guérir ou servir. Les Grecs donnoient le nom de therapeutes à ceux qui avoient embrassé une vie contemplative, soit que ce fût par rapport aux soins extrèmes qu’ils prenoient de l’affaire de leur salut, soit par rapport à la façon particuliere d’exercer leur religion. Le mot therapeuein d’où est venu celui de therapeutes, signifie les soins qu’un médecin prend de son malade, & le service qu’un homme rend à un autre.

Philon dans son premier livre de la vie contemplative, raconte qu’il y avoit un peuple répandu dans presque toutes les parties du monde, connu surtout dans l’Egypte, aux environs d’Alexandrie, & nommé therapeutes : que ces gens-là renonçoient à leurs amis & parens, à leurs biens & à leur patrie : qu’ils se débarrassoient de toutes leurs affaires temporelles, & qu’ils se retiroient dans les solitudes où ils avoient chacun leur habitation particuliere nommée semnée ou monastere. Voyez Monastere.

Il ajoute que les therapeutes s’y livroient entierement aux exercices de la priere & de la contemplation, qu’ils se regardoient comme étant continuellement en présence de Dieu, qu’ils faisoient des prieres publiques le soir & le matin, qu’ils ne mangeoient qu’après le coucher du soleil, & qu’il y en avoit beaucoup qui ne mangeoient qu’une fois en trois jours, ou même en six jours de tems, & que pour toute nourriture ils ne prenoient alors qu’un morceau de pain assaisonné d’un peu de sel ou d’hyssope : que dans leur semnée ils ne se chargeoient que des livres de Moïse, des prophetes, des pseaumes & d’autres écritures semblables, où ils cherchoient les sens des expressions mystiques & allégoriques, dans la persuasion que les Ecritures-saintes n’étoient que des ombres ou figures dont il falloit découvrir les sens cachés & mystérieux : qu’ils avoient aussi quelques livres qui leur avoient été transmis par les fondateurs de leur secte : qu’ils s’assembloient tous les samedis dans un grand monastere pour conférer ensemble, & participer aux mysteres de leur religion.

Les critiques sont extrèmement divisés sur deux points concernant ces thérapeutes ; il est question de savoir s’ils étoient juifs ou chrétiens ; & supposé qu’ils fussent chrétiens, s’il étoient moines ou séculiers.

A l’égard du premier point, Scaliger, de emend. temp. soutient qu’ils étoient des juifs esséens ; mais de Valois & Eusebe rejettent l’opinion de Scaliger, 1°. parce que Philon ne les a appellés nulle-part esséens ; 2°. parce que les Esséens n’habitoient que la terre sainte, au lieu que les Thérapeutes s’étoient répandus dans la Grece & dans tous les pays des peuples barbares ; 3°. parce que Josephe qui entre dans un grand détail sur les Esséens, ne dit pas un seul mot des Thé-