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mens. Il fit ériger à Thebes, proche le temple de Diane, deux statues, l’une à Apollon, l’autre à Mercure. Il fit construire pour la mere des dieux & pour le dieu Pan, au-delà du fleuve Dircé, une chapelle où l’on voyoit la statue de la déesse, faite de la main d’Aristomede & de celle de Socrate, habiles sculpteurs thébains. La maison de Pindare étoit tout auprès, & l’on en voyoit encore les ruines du tems de Pausanias.

Ces marques de piété ne lui furent point infructueuses. Les dieux ou leurs ministres eurent soin de l’en récompenser. Le bruit se répandit que le dieu Pan aimoit si fort les cantiques de Pindare, qu’il les chantoit sur les montagnes voisines ; mais ce qui mit le comble à sa gloire, dit Pausanias, ce fut cette fameuse déclaration de la Pythie, qui enjoignoit aux habitans de Delphes de donner à Pindare la moitié de toutes les prémices qu’on offroit à Apollon : en conséquence, lorsque le poëte assistoit aux sacrifices, le prêtre lui crioit à haute voix de venir prendre sa part au banquet du dieu. Voilà quelle fut la reconnoissance des Péans que sa muse lui avoit dictés à la louange d’Apollon, & qu’il venoit chanter dans le temple de Delphes, assis sur une chaise de fer, qu’on y montroit encore du tems de Pausanias, comme un reste précieux d’antiquité.

Pindare étoit aimé de ses citoyens & des étrangers, quoiqu’il ait découvert en plusieurs occasions un caractere intéressé, en insinuant à ses héros, que c’est au poids de l’or qu’on devoit payer ses cantiques. Il n’étoit pas moins avide de louanges, & semblable à ses confreres, il ne se les épargnoit pas lui-même dans les occasions ; en cela, il fut l’écho de toute la Grece.

La grossiéreté de ses compatriotes étoit honteuse. Nous lisons dans Plutarque, que pour adoucir les mœurs des jeunes gens, ils permirent par les lois un amour qui devroit être proscrit par toutes les nations du monde. Pindare épris de cet amour infame pour un jeune homme de ses disciples nommé Théoxene, fit pour lui des vers bien différens de ceux que nous lisons aujourd’hui dans ses odes. Athénée nous a conservé des échantillons d’autres poésies qu’il fit pour des maîtresses ; & il faut convenir que ces échantillons nous font regretter la perte de ce que ce poëte avoit composé en ce genre, dans lequel on pourroit peut-être le mettre en parallele avec Anacréon & Sapho.

Il eut des jaloux dans le nombre de ses confreres, outre le chagrin de voir ses dithyrambes tournés en ridicule par les poëtes comiques de son tems, il reçut aussi une autre espece de mortification de ses compatriotes.

Les Thébains alors ennemis déclarés des Athéniens, le condamnerent à une amende de mille drachmes, pour avoir appellé ces derniers dans une piece de poësie, le plus ferme appui de la Grece ; & en conséquence il lui fallut essuyer mille insultes d’un peuple irrité. Il est vrai qu’il en fut dédommagé par les Athéniens, qui, pour lui marquer combien ils étoient reconnoissans de ses éloges, non-seulement lui rendirent le double de la somme qu’il avoit payée, mais lui firent ériger une statue dans Athenes, auprès du temple de Mars ; honneur que ses compatriotes n’ont pas daigné lui accorder ; & cette statue le représentoit vêtu, assis, la lyre à la main, la tête ceinte d’un diadème, & portant sur ses genoux un petit livre déroulé. On la voyoit encore du tems de Pausanias.

Pindare mourut dans le gymnase ou dans le théatre de Thebes. Sa mort fut des plus subites & des plus douces, selon ses souhaits. Durant le spectacle, il s’étoit appuyé la tête sur les genoux de Théoxène son éleve, comme pour s’endormir ; & l’on ne s’apperçut qu’il étoit mort, que par les efforts inutiles

que l’on fit pour l’éveiller, avant que de fermer les portes.

L’année de cette mort est entierement inconnue, car les uns le font vivre 55 ans, d’autres 66, & quelques-uns étendent sa carriere jusqu’à sa 80 année. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on lui éleva un tombeau dans l’Hippodrome de Thebes, & ce monument s’y voyoit encore du tems de Pausanias. On trouve dans l’anthologie greque six épigrammes à la louange de Pindare, dont il y en a deux qui peuvent passer pour des épitaphes, & les quatre autres ont été faites pour servir d’inscriptions à différentes statues de ce poëte.

Sa renommée se soutint après sa mort, jusqu’au point de mériter à sa postérité les distinctions les plus mémorables. Lorsqu’Alexandre le grand saccagea la ville de Thebes, il ordonna expressément qu’on épargnât la maison du poëte, & qu’on ne fît aucun tort à sa famille. Les Lacédémoniens, long-tems auparavant, ayant ravagé la Béotie, & mis le feu à cette capitale, en avoient usé de même. La considération pour ce poëte fut de si longue durée, que ses descendans, du tems de Plutarque, dans les fêtes théoxéniennes, jouissoient encore du privilege de recevoir la meilleure portion de la victime sacrifiée.

Pindare avoit composé un grand nombre d’ouvrages en divers genres de poésie. Le plus considérable de tous, celui auquel il est principalement redevable de sa grande réputation, & le seul qui nous reste aujourd’hui, est le recueil de ses odes destinées à chanter les louanges des athletes vainqueurs dans les quatre grands jeux de la Grece, les olympiques, les pytiques, les néméens & les isthmiques. Elles sont toutes écrites dans le dialecte dorique & l’éolique.

Celles de ses poésies que nous n’avons plus, & dont il nous reste que des fragmens, étoient 1°. des poésies bacchiques ; 2°. d’autres qui se chantoient dans la fête des portes-lauriers (δαφνηφορικά) ; 3°. plusieurs livres de Dithyrambes ; 4°. dix-sept tragédies ; 5°. des éloges (ἐγκώμια) ; 6°. des épigrammes en vers héroïques, 7°. des lamentations (θρῆνοι) ; 8°. des Parthénies ; 9°. des Péans ou cantiques à la louange des hommes & des dieux, sur-tout d’Apollon ; 10°. des prosodies ; 11°. des chants scoliens ; 12°. des hymnes ; 13°. des hyporchemes ; 14°. des poésies faites pour la cérémonie de monter sur le trone (ἐνθρονισμοί), &c.

Parmi ceux qui ont écrit la vie de Pindare, on peut compter Suidas, Thomas Magister, l’auteur anonyme d’un petit poëme grec en vers héroïques sur ce même sujet : le Giraldy, Ger. J. Vossius, Jean Benoit, dans son édition de Pindare à Saumur ; Erasme Schmidt dans la sienne de Wittemberg ; les deux éditeurs du beau Pindare d’Oxford, in-fol. Tanegui le Fevre, dans son abrégé des vies des poëtes grecs ; François Blondel, dans sa comparaison de Pindare & d’Horace, M. Fabricius dans sa bibliotheque greque, & M. Burette dans les mémoires de littérature, tome XV. je lui dois tous ces détails.

Platon, Eschine, Dénis d’Halycarnasse, Longin, Pausanias, Plutarque, Athénée, Pline, Quintilien, ont fait à l’envi l’éloge de Pindare : mais Horace en parle avec un enthousiasme d’admiration dans cette bette belle ode qui commence :

Pindarum quisquis studet æmulari .....

Il dit ailleurs que quand Pindare veut bien composer une strophe pour un vainqueur aux jeux olympiques, il lui fait un présent plus considérable que s’il lui élevoit cent statues :

Centum potiore signis
Munere donat
.

Le caractere distinctif de Pindare est qu’il possede à