Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dins, sur lesquels le peuple étoit assis ; les anciens ne donnoient point d’autre nom à cette partie. Il n’est pas douteux qu’il n’y eût deux scènes, comme ils les nommoient encore, où les acteurs représentoient, & qui devoient se démonter & se déplacer, pour laisser le passage au théatre dans son mouvement circulaire ; on sait que ces portions circulaires se terminoient dans tous les théatres au proscenium, qui faisoit la base du demi cercle, en même tems qu’il formoit un des côtés du quarré long, destiné pour la scène & les décorations.

2°. Les théatres de bois aussi souvent répétés que nous le voyons dans l’histoire Romaine, rendirent l’exécution de ceux de Curion plus facile, & donnerent sans doute la hardiesse de les entreprendre.

3°. Comme ces sortes de théatres étoient fort grands, & que celui de Marcellus le plus petit de tous, contenoit, dit-on, vingt deux mille personnes : nous pouvons raisonnablement supposer que ceux de Curion en pouvoient contenir chacun trente mille ; ce qui est assez pour autoriser le discours de Pline, qui regarde les spectateurs, comme le peuple romain tout entier.

4°. Les deux théatres de Curion étoient si également suspendus chacun sur son pivot, qu’on pouvoit les faire tourner, dit Pline ; or pour cela, il falloit que la fondation fût extrèmement solide & bien de niveau, parce qu’elle devoit porter un poids des plus considérables, & que les plus petites irrégularités de plan auroient interrompu les mouvemens à l’égard du pivot ; il a dû être composé d’une forte colonne de bronze, bien fondue, bien retenue, & bien fondée dans le massif.

5°. Quant au détail de la charpente du théatre, on peut s’en éclaircir par plusieurs livres de l’antiquité, ou l’on en a donné les desseins ; & M. Boindin en a décrit la forme dans les mém. de l’acad. des Inscriptions.

6°. Pline ajoute, qu’on faisoit tourner subitement chaque théatre de Curion pour les mettre vis-à-vis l’un de l’autre. Pour cet effet, il est vraissemblable que le peuple sortoit des théatres après les spectacles du matin, En effet, indépendamment de l’augmentation du poids & du malheur que l’écroulement de quelques parties de la charpente auroit pu causer, malheur auquel ces sortes de fabriques sont d’autant plus sujettes, qu’elles sont fort composées, & malheur dont les Romains avoient des exemples, quoique les constructions ne fussent pas mobiles ; le peuple, dis-je, ne pouvoit avoir d’autre objet, en demeurant en place, que le plaisir bien médiocre de se voir tourner. Il est du moins certain que les sénateurs, les chevaliers romains, les vestales, les prêtres ; enfin, tous les gens considérables dont les places étoient marquées, se trouvoient obligées d’en sortir le matin, parce qu’elles étoient changées pour le soir.

7°. Enfin, il faut remarquer que Pline ne parle du théatre de Curion que sur des oui-dire ; il ne l’avoit point vû ; il écrivoit cent trente ans ou environ après que le spectacle avoit été donné. Il semble même que cette machine théatrale s’étoit encore plus tournée dans les esprits à jetter un ridicule sur le peuple Romain, qu’à la gloire & à la réputation de Curion.

Il y a là-dessus un passage de Plutarque, qui est trop singulier pour n’être pas rapporté. « Favonius, dit-il, ayant été fait édile par le crédit de Caton, celui-ci l’aida à se bien acquitter des fonctions de sa charge, & régla toute la dépense des jeux. Il voulut qu’au lieu de couronnes d’or que les autres donnoient aux acteurs, aux musiciens & aux joueurs d’instrumens, &c. on leur donnât des branches d’olivier, comme on faisoit dans les jeux olympiques ; & au lieu de riches présens que les autres distribuoient, il fit donner aux Grecs quantité de poi-

reaux, de laitues, de raves & de céleri, & aux

Romains, des pots de vin, de la chair de pourceau, des figues, des concombres & des brassées de bois.

« Enfin, Favonius lui-même alla s’asseoir parmi les spectateurs, où il battit des mains, en applaudissant à Caton, & en le priant de gratifier les acteurs qui faisoient bien, & de les récompenser honorablement. Pendant que cela se passoit dans ce théatre de Favonius, poursuit Plutarque, Curion l’autre édile donnoit dans un autre théatre des jeux magnifiques ; mais le peuple quitta les jeux de Curion, pour venir à ceux de Favonius ».

Quoi, le peuple Romain, épris des spectacles rafinés, quitte dans un tems de luxe des fêtes magnifiques, pour se rendre à des jeux ridicules, où il ne recevoit que des figues ou des concombres, au lieu de riches présens qui lui étoient destinés au théatre de Curion ? Ce trait d’histoire est fort étrange ! mais Caton présidoit aux jeux de Favonius ; & les Romains ne pouvoient se lasser de rendre des hommages à ce grand homme & de marquer la joie qu’ils avoient de voir que leur divin Caton daignoit se relâcher de son austérité, & se prêter pendant quelques jours à leurs jeux & à leurs passe-tems. (Le chevalier de Jaucourt.)

Théatre de Pompée, (Archit. décorat. des Rom.) théatre magnifique bâti de pierres sur des fondemens si solides, qu’il sembloit être bâti pour l’éternité. Il y avoit une espece d’aqueduc pour porter de l’eau dans tous les rangs du théatre, tant pour rafraîchir le lieu, que pour remédier à la soif des spectateurs.

Pompée revenant de Grece, apporta le plan du théatre de Mytilene, & fit construire celui-ci tout semblable. Il pouvoit contenir quarante mille personnes, & étoit orné de tableaux, de statues de bronze & de marbre, transportées de Corinthe, d’Athenes & de Syracuse. Mais une particularité remarquable, c’est que Pompée pour prévenir les caprices du peuple & des magistrats, fit bâtir dans l’enceinte de son théatre un temple magnifique, qu’il dédia à Vénus la victorieuse ; de sorte qu’ayant mis ingénieusement son édifice sous la protection d’une grande déesse, il le fit toujours respecter.

Avant lui, on élevoit des théatres toutes les fois qu’il falloit représenter des jeux ; ils n’existoient que pendant la durée de ces jeux, & le peuple y assistoit toujours de-bout. Pompée fit un théatre à demeure & y mit des siéges, nouveau genre de mollesse, inconnu jusqu’alors, & dont les gens sages lui surent mauvais gré, à ce que nous apprend Tacite dans le liv. XIV. de ses annales : Quippè erant qui Cn. quoque Pompeium incusatum à senioribus ferrent, quod mansuram theatri sedem posuisset ; nam anteà subitariis gradibus, & scenâ in tempus structâ ludos edi solitos ; vel si vetustiora repetas stantem populum spectavisse ; si sedeat, theatro dies totos ignaviâ continuabit. (Le chevalier de Jaucourt.)

Théatre de Marcellus, (Archit. décorat. des Rom.) théatre consacré par Auguste, à la mémoire du jeune Marcellus, son neveu, son fils adoptif, & son gendre, qui, selon Properce, mourut l’an de Rome 731. à l’âge de vingt ans. C’étoit un jeune prince d’un si grand mérite, qu’il faut rappeller au lecteur, les hommages que lui a rendus toute l’antiquité ; & je le ferai d’autant plus volontiers, que j’ai peu de choses à dire du théatre qui porta son nom.

Horace a loué bien dignement ce jeune héros dans le tems qu’il vivoit encore. « La gloire du vieux Marcellus, dit ce poëte, loin de s’obscurcir, prend un nouveau lustre dans un de ses rejettons, & s’augmente de jour en jour, comme on voit un jeune arbre se fortifier peu-à-peu par des accroissemens insensibles : cette nouvelle lumiere de la maison des Jules, brille entre les premieres familles