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ment peintes, peuvent-elles représenter le péristile du Louvre ? & la masure d’un bon villageois, pourroit-elle donner à des spectateurs le sentiment du palais magnifique d’un roi fastueux ? Ce qui étoit autrefois l’objet des premiers magistrats ; ce qui faisoit la gloire d’un archonte grec, & d’un édile romain, j’entens de présider à des pieces dramatiques avec l’assemblée de tous les ordres de l’état, n’est plus que l’occupation lucrative de quelques citoyens oisifs. Alors le philosophe Socrate & le savetier Mycicle, alloient également jouir des plaisirs innocens de la scène.

Comme le spectacle chez les anciens, se donnoit dans des occasions de fêtes & de triomphes, il demandoit un théatre immense, & des cirques ouverts ; mais comme parmi les modernes, la foule des spectateurs est médiocre, leur théatre a peu d’étendue, & n’offre qu’un édifice mesquin, dont les portes ressemblent parmi nous, aux portes d’une prison, devant laquelle on a mis des gardes. En un mot, nos théatres sont si mal bâtis, si mal placés, si négligés, qu’il paroît assez que le gouvernement les protege moins qu’il ne les tolere. Le théatre des anciens étoit au contraire un de ces monumens que les ans auroient eu de la peine à détruire, si l’ignorance & la barbarie ne s’en fussent mêlées. Mais que ne peut le tems avec un tel secours ? Il ne lui est échappé de ces vastes ouvrages, que quelques restes assez considérables pour intéresser la curiosité, mais trop mutilés pour la satisfaire. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Théatre de Scaurus, (Archit. Décorat. des Rom.) théatre de charpente élevé à Rome pour servir à l’asage des spectacles pendant le cours d’un seul mois, quoique ce théatre ait surpassé en magnificence des édifices bâtis pour l’éternité. Celui-ci fut le fruit de la prodigalité incroyable d’un édile de la noble famille des Emiles.

L’histoire nomme deux Marcus Æmilius Scaurus, l’un pere, l’autre fils. Le premier se trouva si pauvre, qu’il fut obligé de vendre du charbon pour pouvoir subsister. Il se consola de sa mauvaise fortune avec des livres, & se distingua dans le barreau. Il entra de bonne heure dans le sénat, en devint le prince, exerça plusieurs fois le consulat, & triompha des Liguriens. Etant censeur, il fit bâtir le pont Milvius, & paver un des plus grands chemins d’Italie, qui fut appellé de son nom la voie émilienne. Il mit au jour l’histoire de sa vie, & publia d’autres ouvrages dont les anciens ont parlé avec éloge.

M. Æmilius Scaurus son fils ne fut point consul, ne triompha point, n’écrivit point, mais il donna aux Romains le plus superbe spectacle qu’ils aient jamais vu dans aucun tems. Voici la traduction du passage de Pline, l. XXXVI. c. xv. où il décrit la grande magnificence dont je veux parler.

« Je ne sais, dit cet historien, si l’édilité de Scaurus ne contribua pas plus que toute autre chose, à corrompre les mœurs, & si les proscriptions de Sylla ont fait autant de mal à la république, que les richesses immenses de son beau-fils. Ce dernier étant édile, fit bâtir un théatre auquel on ne peut comparer aucun des ouvrages qui aient jamais été faits, non-seulement pour une durée de quelques jours, mais pour les siecles à venir. Cette scene composée de trois ordres, étoit soutenue par trois cens soixante colonnes, & cela dans une ville où l’on avoit fait un crime à un citoyen des plus recommandables d’avoir placé dans sa maison six colonnes du mont Hymette.

« Le premier ordre étoit de marbre ; celui du milieu étoit de verre, espece de luxe que l’on n’a pas renouvellé depuis ; & l’ordre le plus élevé étoit de bois doré. Les colonnes du premier ordre avoient

trente-huit piés de haut, & les statues de bronzé distribuées dans les intervalles des colonnes, étoient au nombre de trois mille ; le théatre pouvoit contenir quatre-vingt mille personnes ; tandis que celui de Pompée, qui n’en contient que quarante mille, suffit à un peuple beaucoup plus nombreux, par les diverses augmentations que la ville de Rome a reçues depuis Scaurus.

« Si l’on veut avoir une juste idée des tapisseries superbes, des tableaux précieux, en un mot, des décorations en tout genre dont le premier de ces théatres fut orné, il suffira de remarquer que Scaurus après la célébration de ses jeux, ayant fait porter à sa maison de Tusculum ce qu’il avoit de trop, pour l’employer à différens usages, ses esclaves y mirent le feu par méchanceté, & l’on estima le dommage de cet incendie cent millions de sesterces, environ douze millions de notre monnoie ».

Ce passage est fort connu ; car il se trouve transcrit dans plus de mille ouvrages des modernes ; mais les idées de ces magnificences sont à tel point éloignées des nôtres, qu’on en relit toujours la description avec un étonnement nouveau.

Un historien ajoute au récit de Pline, que l’entrepreneur chargé de l’entretien des égoûts de Rome se crût obligé d’exiger de Scaurus qu’il s’engageât à payer le dommage que le transport de tant de colonnes si pesantes pourroit causer aux voûtes, qui depuis Tarquin l’ancien, c’est-à-dire, depuis près de sept cens ans, étoient toujours demeurées immobiles ; & elles soutinrent encore une si violente secousse sans s’ébranler. (Le chevalier de Jaucourt.)

Théatre de Curion, (Archit. Décorat. des Rom.) ce théatre en contenoit deux construits de bois près l’un de l’autre, & si également suspendus chacun sur son pivot, qu’on pouvoit les faire tourner, en réunir les extrémités, & former par ce moyen une enceinte pour des combats de gladiateurs.

M. le comte de Caylus a donné dans le recueil de Littérature, tom. XXIII. un mémoire plein de lumieres sur cette étonnante machine, & il a le premier démontré la méchanique de ce prodigieux ouvrage. Quoique je ne puisse le suivre dans cette partie faute de planches, son discours renferme d’ailleurs assez de choses curieuses pour en régaler les lecteurs qui n’ont pas sous les yeux le vaste recueil de l’acad. des Inscriptions.

Les anciens, dit-il, ont eu plusieurs connoissances que nous n’avons pas, & ils ont poussé beaucoup plus loin que nous, quelques-unes de celles dont nous faisons usage. Les moyens qu’ils employoient pour remuer des masses d’un poids énorme, sont de ce nombre, & doivent nous causer d’autant plus d’admiration, que nous ne savons comment ils sont parvenus à exécuter des choses qui nous paroissent aujourd’hui tenir du prodige. Nous en sommes étonnés avec raison, dans le tems même que nous croyons être arrivés à une grande profondeur dans les mathématiques, & que nous nous flattons de laisser les anciens fort loin derriere nous dans plusieurs parties de cette science ; cependant ces anciens savoient allier une grande simplicité aux plus grands efforts de la méchanique ; ils attachoient même si peu de mérite à ces sortes d’opérations, que leurs historiens, & ce qui est plus fort encore, leurs poëtes n’en paroissent nullement occupés. L’étalage pompeux que les modernes ont fait de l’élévation des corps qui leur ont paru considérables, est tout le contraire de la conduite des anciens, le livre in fol. de Fontana sur l’obélisque que Sixte V. fit relever dans Rome, & la planche gravée par le Clerc pour célébrer la pose des pierres du fronton du louvre, justifient bien la médiocrité des modernes en comparaison des anciens.