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rive, le seul parti qu’il y a à prendre, c’est de les mettre en marron, pruneau & caffé. Pour éviter les inconvéniens, il faut tourner continuellement les étoffes sur le tour, & même ne les laisser passer que piece à piece ; & sur-tout, ne faire bouillir le bain que lorsque la racine ne donne plus de couleur, ou qu’on veut achever d’en tirer toute la substance.

A l’égard de l’écorce d’aulne, il n’y a rien à dire que ce qu’on a dit de la racine de noyer, si ce n’est qu’il y a moins d’inconvénient à la laisser bouillir au commencement, parce qu’elle donne beaucoup moins de fond à l’étoffe.

Le sumach est employé de la même maniere que le brou de noix : il donne encore moins de fond de couleur, & elle tire un peu sur le verdâtre. On le substitue souvent à la noix de galle dans les couleurs que l’on veut brunir, & il fait fort bien ; mais il en faut une plus grande quantité que de galle. Sa couleur est aussi très-solide à l’air. On mêle quelquefois ensemble ces différentes matieres ; & comme elles sont également bonnes, & qu’elles font à-peu-près le même effet, cela donne de la facilité pour certaines nuances. Cependant il n’y a que l’usage qui puisse conduire dans cette pratique des nuances du fauve, qui dépend absolument du coup d’œil, & qui n’a par elle-même aucune difficulté.

Du noir. Le noir est la cinquieme couleur primitive des Teinturiers. Elle renferme une prodigieuse quantité de nuances, à commencer depuis le gris-blanc, ou gris de perses, jusqu’au gris de more ; & enfin au noir. C’est à raison de ces nuances qu’il est mis au rang des couleurs primitives ; car la plûpart des bruns, de quelque couleur que ce soit, sont achevés avec la même teinture, qui sur la laine blanche, feroit un gris plus ou moins foncé. Cette opération se nomme bruniture.

Il faut donc actuellement donner la maniere de faire le beau noir sur la laine. Pour cette effet, on sera obligé de parler d’un travail qui regarde le petit teint. Car pour qu’une étoffe soit parfaitement bien teinte en noir, elle doit être commencée par le teinturier du grand & bon teint, & achevée par celui du petit teint.

Il faut d’abord donner aux laines, ou étoffes de laine que l’on veut teindre en noir, une couleur bleue, la plus foncée qu’il est possible ; ce qui se nomme le pié ou le fond. On donne donc à l’étoffe le pié de bleu pers, qui doit se faire par le teinturier du grand & bon teint, de la maniere qu’il a été expliqué dans l’article du bleu. On lave l’étoffe à la riviere, aussi-tôt qu’elle est sortie de la cuve de pastel, & on la fait bien dégorger au foulon. Il est important de la laver aussi-tôt qu’elle est sortie de la cuve, parce que la chaux qui est dans le bain, s’attache à l’étoffe, & la dégrade sans cette précaution : il est nécessaire aussi de la dégorger au foulon, sans quoi elle noirciroit le linge & les mains, comme cela arrive toujours, quand elle n’a pas été suffisamment dégorgée.

Après cette préparation, l’étoffe est portée au teinturier du petit teint, pour l’achever & la noicir ; ce qui se fait comme il suit.

Pour cent liv. pesant de drap ou autre étoffe, qui selon les réglemens, a du recevoir le pié de bleu pers, on met dans une moyenne chaudiere dix livres de bois d’inde coupé en éclat, & dix livres de galle d’alep pulvérisée, le tout enfermé dans un sac : on fait bouillir ce mélange dans une quantité suffisante d’eau pendant douze heures. On transporte dans une autre chaudiere le tiers de ce bain, avec deux livres de vert-de-gris, & on y passe l’étoffe, la remuant sans discontinuer pendant deux heures. Il faut observer alors de ne faire bouillir le bain qu’à très-petits bouillons, ou encore mieux, de ne le tenir que très-

chaud sans bouillir. On levera ensuite l’étoffe ; on

jettera dans la chaudiere le second tiers du bain avec le premier qui est déja, & on y ajoutera huit livres de couperose verte : on diminuera le feu dessous la chaudiere, & on laissera fondre la couperose, & rafraîchir le bain environ une demi-heure ; après quoi on y mettra l’étoffe, qu’on y menera bien pendant une heure ; on la levera ensuite, & on l’éventera. On prendra enfin le reste du bain, qu’on mêlera avec les deux premiers tiers, ayant soin aussi de bien exprimer le sac. On y ajoutera quinze ou vingt livres de sumach : on fera jetter un bouillon à ce bain, puis on le rafraîchira avec un peu d’eau froide, après y avoir jetté encore deux livres de couperose, & on y passera l’étoffe pendant une heure : on la lavera ensuite, on l’éventera, & on la remettra de nouveau dans la chaudiere, la remuant toujours encore pendant une heure. Après cela, on la portera à la riviere, on la lavera bien, & on la fera dégorger au foulon. Lorsqu’elle sera parfaitement dégorgée, & que l’eau en sortira blanche, on préparera un bain frais avec de la gaude à volonté, & on l’y fera bouillir un bouillon ; & après avoir rafraîchi le bain, on y passera l’étoffe. Ce dernier bain l’adoucit & assure davantage le noir. De cette maniere, l’étoffe sera d’un très-beau noir, & aussi bon qu’il est possible de le faire, sans que l’étoffe soit desséchée.

On teint quelquefois aussi en noir, sans avoir donné le pié de bleu, & il a été permis de teindre de la sorte des étamines, des voiles, & quelques autres étoffes de même genre, qui sont d’une valeur trop peu considérable pour pouvoir supporter le prix de la teinture en bleu foncé, avant que d’être mises en noir. Mais on a ordonné en même tems de raciner les étoffes, c’est-à-dire, de leur donner un pié de brou de noix, ou de racine de noyer, afin de n’être pas obligé, pour les noircir, d’employer une trop grande quantité de couperose. Ce travail pourroit regarder le petit teint ; cependant, comme dans les endroits où il a été permis on a accordé aux teinturiers du grand teint la permission de le faire, concurremment avec les teinturiers du petit teint, il a paru que c’étoit ici le lieu d’en parler, puisqu’on est aux couleurs qui participent du grand & de petit teint.

Il n’y a aucune difficulté dans ce travail. On racine l’étoffe, comme on l’a expliqué dans l’article du fauve, & on la noircit ensuite de la maniere qu’on vient de le dire, ou de quelqu’autre à-peu-près semblable.

Les nuances du noir sont les gris, depuis le plus brun jusqu’au plus clair. Ils sont d’un très-grand usage dans la teinture, tant dans leur couleur simple, qu’appliqués sur d’autres couleurs. C’est alors ce qu’on appelle bruniture. Il s’agit maintenant des gris simples considérés comme les nuances qui dérivent du noir, ou qui y conduisent, & on rapportera deux manieres de les faire.

La premiere & la plus ordinaire est de faire bouillir pendant deux heures de la noix de galle concassée avec une quantité d’eau convenable. On fait dissoudre à part de la couperose verte dans de l’eau ; & ayant préparé dans une chaudiere un bain pour la quantité de laines ou étoffes que l’on veut teindre, on y met lorsque l’eau est trop chaude pour y pouvoir souffrir la main, un peu de cette décoction de noix de galle, avec de la dissolution de couperose. On y passe alors les laines ou étoffes que l’on veut teindre en gris le plus clair. Lorsqu’elles sont au point que l’on desire, on ajoute sur le même bain de nouvelle décoction de noix de galle, & de l’infusion ou dissolution de couperose verte, & on y passe les laines de la nuance au-dessus. On continue de la sorte jusqu’aux plus brunes, en ajoutant toujours de