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soin de le border en plusieurs endroits d’une forte haie.

Les feuilles ainsi cueillies & préparées de la maniere que nous dirons bientôt, sont mises dans des sacs de papier, qu’on renferme ensuite dans des pots de terre ou de porcelaine, & pour mieux conserver ces feuilles délicates, on acheve de remplir les pots avec du thé commun. Le tout ainsi bien empaqueté, est envoyé à la cour sous bonne & sûre garde, avec une nombreuse suite. De-là vient le prix exorbitant de ce thé impérial ; car en comptant tous les frais de la culture, de la récolte, de la préparation, & de l’envoi, un kin monte a 30 ou 40 thaels, c’est-à-dire à 42 ou 46 écus, ou onces d’argent.

Le thé des feuilles de la seconde espece, s’appelle, dit Kæmpfer, tootsjaa, c’est-à-dire thé chinois, parce qu’on le prépare à la maniere des Chinois. Ceux qui tiennent des cabarets à thé, ou qui vendent le thé en feuilles, sous-divisent cette espece en quatre autres, qui different en bonté & en prix ; celles de la quatrieme sont ramassées pêle-mêle, sans avoir égard à leur bonté, ni à leur grandeur, dans le tems qu’on croit que chaque jeune branche en porte dix ou quinze au plus ; c’est de celui-là que boit le commun peuple. Il est à observer que les feuilles, tout le tems qu’elles demeurent sur l’arbrisseau, sont sujettes à de prompts changemens, eû égard à leur grandeur & à leur bonté, de sorte que si on néglige de les cueillir à propos, elles peuvent perdre beaucoup de leur vertu en une seule nuit.

On appelle ban-tsjaa, celles de la troisieme espece ; & comme elles sont pour la plûpart fortes & grosses, elles ne peuvent être préparées à la maniere des Chinois, c’est-à-dire séchées sur des poëles & frisées ; mais comme elles sont abandonnées aux petites gens, il n’importe de quelle maniere on les prépare.

Dès que les feuilles de thé sont cueillies, on les étend dans une platine de fer qui est sur du feu, & lorsqu’elles sont bien chaudes, on les roule avec la paume de la main, sur une natte rouge très-fine, jusqu’à ce qu’elles soient toutes frisées ; le feu leur ôte cette qualité narcotique & maligne dont j’ai parlé, & qui pourroit offenser la tête ; on les roule encore pour les mieux conserver, & afin qu’elles tiennent moins de place ; mais il faut leur donner ces façons sur le champ, parce que si on les gardoit seulement une nuit, elles se noirciroient & perdroient beaucoup de leur vertu : on doit aussi éviter de les laisser long-tems en monceaux, elles s’échaufferoient d’abord & se corromproient. On dit qu’à la Chine, on commence par jetter les feuilles de la premiere récolte dans l’eau chaude, où on les tient l’espace d’une demi-minute, & que cela sert à les dépouiller plus aisément de leur qualité narcotique.

Ce qui est certain, c’est que cette premiere préparation demande un très-grand soin : on fait chauffer d’abord la platine dans une espece de four, où il n’y a qu’un feu très moderé ; quand elle a le degré convenable de chaleur, on jette dedans quelques livres de feuilles que l’on remue sans cesse ; quand elles sont si chaudes que l’ouvrier a peine à y tenir la main, il les retire & les répand sur une autre platine pour y être roulées.

Cette seconde opération lui coûte beaucoup, il sort de ces feuilles roties un jus de couleur jaune, tirant sur le verd, qui lui brûle les mains, & malgré la douleur qu’il sent, il faut qu’il continue ce travail jusqu’à ce que les feuilles soient refroidies, parce que la frisure ne tiendroit point si les feuïlles n’étoient pas chaudes, de sorte qu’il est même obligé de les remettre deux ou trois fois sur le feu.

Il y a des gens délicats qui les y font remettre jusqu’à sept fois, mais en diminuant toujours par degrés la force du feu, précaution nécessaire pour conser-

ver aux feuilles une couleur vive, qui fait une partie

de leur prix. Il ne faut pas manquer aussi de laver à chaque fois la platine avec de l’eau chaude, parce que le suc qui est exprimé des feuilles, s’attache à ses bords, & que les feuilles pourroient s’en imbiber de nouveau.

Les feuilles ainsi frisées, sont jettées sur le plancher, qui est couvert d’une natte, & on sépare celles qui ne sont pas si bien frisées, ou qui sont trop roties ; les feuilles de thé impérial doivent être roties à un plus grand degré de sécheresse, pour être plus aisément moulues & réduites en poudre ; mais quelques unes de ces feuilles sont si jeunes & si tendres, qu’on les met d’abord dans l’eau chaude, ensuite sur un papier épais, puis on les fait sécher sur les charbons sans être roulées, à cause de leur extrême petitesse. Les gens de la campagne ont une méthode plus courte, & y font bien moins de façons ; ils se contentent de rotir les feuilles dans des chaudieres de terre, sans autre préparation ; leur thé n’en est pas moins estimé des connoisseurs, & il est beaucoup moins cher.

C’est par tout pays que les façons même les plus inutiles font presque tout le prix des choses, parmi ceux qui n’ont rien pour se distinguer du public que la dépense. Il paroît même que ce thé commun doit avoir plus de force que le thé impérial, lequel après avoir été gardé pendant quelques mois, est encore remis sur le feu pour lui ôter, dit-on, une certaine humidité qu’il pourroit avoir contractée dans la saison des pluies ; mais on prétend qu’après cela il peut être gardé long-tems, pourvû qu’on ne lui laisse point prendre l’air ; car l’air chaud du Japon en dissiperoit aisément les sels volatils, qui sont d’une grande subtilité. En effet tout le monde convient que ce thé, & à proportion tous les autres, les ont presque tous perdus quand ils arrivent en Europe, quelque soin qu’on prenne de les tenir bien enfermés. Kæmpfer assure qu’il n’y a jamais trouvé hors du Japon, ni ce goût agréable, ni cette vertu modérément rafraîchissante qu’on y admire dans le pays.

Les Japonois tiennent leurs provisions de thé commun dans de grands pots de terre, dont l’ouverture est fort étroite. Le thé impérial se conserve ordinairement dans des vases de porcelaine, & particulierement dans ceux qui sont très-anciens, & d’un fort grand prix. On croit communément que ces derniers non-seulement conservent le thé, mais qu’ils en augmentent la vertu.

L’arbrisseau de la Chine qui porte le thé differe peu de celui du Japon ; il s’éleve à la hauteur de trois, de quatre ou de cinq piés tout-au-plus ; il est touffu & garni de quantité de rameaux. Ses feuilles sont d’un verd foncé, pointues, longues d’un pouce, larges de cinq lignes, dentelées à leur bord en maniere de scie ; ses fleurs sont en grand nombre, semblables à celles du rosier sauvage, composées de six pétales blanchâtres ou pâles, portées sur un calice partagé en six petits quartiers ou petites feuilles rondes, obtuses, & qui ne tombent pas. Le centre de ces fleurs est occupé par un nombreux amas d’étamines, environ deux cens, jaunâtres. Le pistil se change en un fruit sphérique tantôt à trois angles & à trois capsules, souvent à une seule. Chaque capsule renferme une graine qui ressemble à une aveline par sa figure & sa grosseur, couverte d’une coque mince, lisse, roussâtre, excepté la base qui est blanchâtre. Cette graine contient une amande blanchâtre, huileuse, couverte d’une pellicule mince & grise, d’un goût douçâtre d’abord, mais ensuite amer, excitant des envies de vomir, & enfin brûlant & fort desséchant. Ses racines sont minces, fibreuses & répandues sur la surface de la terre. On cultive beaucoup cette plante à la Chine ; elle se plaît dans les plaines