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de la porter à la riviere, sur un bain d’eau un peu tiede, dans laquelle on a fait fondre exactement une petite quantité de savon ; ce qui donne de l’éclat à la couleur, mais en même tems la rose un peu.

On appelle écarlate demi-graine, celle où l’on emploie moitié kermès & moitié garence. Ce mélange donne une couleur extrèmement solide, mais qui tire un peu sur la couleur de sang.

Il faut observer que la quantité d’ingrédiens qui entre dans la teinture de toutes les étoffes en général, ne doit point être aussi considérable, eu égard au poids, pour l’étoffe fabriquée, que pour la laine filée ou en toison, attendu que la tissure serrée du drap empêche la couleur de pénetrer ; ce qui fait qu’il n’est pas nécessaire que l’étoffe fabriquée séjourne aussi long-tems sur le bouillon que la laine : on pourroit même la mettre à la teinture le lendemain qu’elle a été bouillie.

Par les épreuves qui ont été faites de l’écarlate de graine ou de kermès, soit en exposant au soleil, soit par les différens débouillis, on a reconnu qu’il n’y a point de meilleure couleur ni de plus solide : elle va de pair pour la solidité avec les bleus dont on a parlé. Cependant le kermès n’est presque plus d’usage en aucun endroit qu’à Venise. Le goût de cette couleur a passé entierement depuis qu’on a pris celui des écarlates couleur de feu. On appelle présentement cette écarlate de graine, une couleur de sang de bœuf. Cependant elle a des grands avantages sur l’autre ; car elle ne noircit point & ne se tache point, & si l’étoffe s’engraisse, on peut enlever les taches sans endommager la couleur. Elle n’est plus de mode néanmoins, & cette raison prévaut à tout.

De l’écarlate couleur de feu. L’écarlate couleur de feu, connue autrefois sous le nom d’écarlate d’Hollande, & aujourd’hui sous celui d’écarlate des Gobelins, est la plus belle & la plus éclatante couleur de la teinture. Elle est aussi la plus chere, & une des plus difficiles à porter à sa perfection. On ne peut même guere déterminer quel est ce point de perfection ; car indépendamment des différens goûts qui partagent les hommes sur le choix des couleurs, il y a aussi des goûts généraux, pour ainsi dire, qui font que dans un tems des couleurs sont plus à la mode que dans d’autres : ce sont alors ces couleurs de mode qui sont des couleurs parfaites. Autrefois, par exemple, on vouloit les écarlates pleines, foncées, d’une couleur que la vue soutenoit aisément : aujourd’hui on les veut orangées, pleines de feu, & que l’œil ait peine à en soutenir l’éclat. On ne décidera point lequel de ces goûts mérite la préférence ; & on va donner la maniere de les faire d’une façon & de l’autre, & de toutes les nuances qui tiennent le milieu entre ces extrémités.

La cochenille mesteque ou tescalle est l’ingrédient qui donne cette belle couleur ; on en a donné une description, de même que de la cochenille silvestre ou campetiane, ainsi on ne dira rien de plus. Il suffit de dire qu’il n’y a point de teinturier qui n’ait une recette particuliere pour faire l’écarlate, & chacun d’eux est persuadé que la sienne est préférable à toutes les autres. Cependant la réussite ne dépend que du choix de la cochenille, de l’eau qui doit servir à la teinture, & de la maniere de préparer la dissolution de l’étain, que les teinturiers ont nommé composition pour l’écarlate.

Comme c’est par cette composition qu’on donne la couleur vive de feu au teint de la cochenille, qui sans cette liqueur acide seroit naturellement de couleur cramoisi, on va décrire la maniere de la préparer qui réussit le mieux : Il faut prendre huit onces d’esprit de nitre, qui est toujours plus pur que l’eau-forte commune, & de bas prix, employée ordinairement par les teinturiers. On affoiblit cet

acide nitreux en versant dessus huit onces d’eau de riviere filtrée. On y dissout peu-à-peu une demi-once de sel ammoniac bien blanc pour en faire une eau régale, parce que le nitre seul n’est pas le dissolvant de l’étain : enfin on y ajoute seulement deux gros de salpêtre de la troisieme cuite ; on pourroit à la rigueur le supprimer, mais on s’est apperçu qu’il contribuoit à unir la couleur, c’est-à-dire à la faire prendre plus également. Dans cette eau régale affoiblie, on fait dissoudre une once d’étain d’Angleterre en larmes, qui ont été grenaillées auparavant en le jettant fondu d’un peu haut dans une terrine pleine d’eau fraîche ; mais on ne laisse tomber ces petits grains d’étain dans le dissolvant, que les uns après les autres, attendant que les premiers soient dissous avant que d’en mettre de nouveaux, afin d’éviter la perte des vapeurs rouges qui s’eleveroient en grande quantité, & qui se perdroient si la dissolution du métal se faisoit trop précipitamment. Ces vapeurs sont nécessaires à conserver, & elles contribuent beaucoup à la vivacité de la couleur, soit parce que c’est un acide qui s’évaporeroit en pure perte, soit qu’elles contiennent un sulphureux particulier au salpêtre qui donne de l’éclat à la couleur. Cette méthode est beaucoup plus longue à la vérité que celle des teinturiers, qui versent d’abord leur eau-forte sur l’étain grenaillé, & qui attendent qu’il se fasse une vive fermentation, & qu’il s’en éleve beaucoup de vapeurs pour l’affoiblir par l’eau commune. Quand l’étain est ainsi dissous peu-à-peu, la composition d’écarlate est faite, & la liqueur est d’une belle dissolution d’or, sans aucune boue précipitée, ni sédiment noir.

Plusieurs teinturiers font leur composition d’une autre maniere. Ils mettent d’abord dans un vaisseau de grais de large ouverture, deux livres de sel ammoniac, deux onces de salpêtre rafiné & deux livres d’étain grenaillé à l’eau, ou pour le mieux en rapures, parce que quand il a été fondu & grenaillé, il y en a une petite portion de convertie en chaux, laquelle ne se dissout point. Ils pesent quatre livres d’eau dans un vaisseau à part, & ils en jettent environ un demi-setier sur le mélange dans le vase de grais. Ils y mettent ensuite une livre & demie d’eau-forte commune qui produit une fermentation violente. Lorsque l’ébullition est cessée, ils y remettent encore autant d’eau-forte, & un instant après ils y en ajoutent encore une livre ; après quoi ils y versent le reste des quatre livres d’eau qu’ils avoient mis à part. Ils couvrent bien le vaisseau, & ils laissent reposer la composition jusqu’au lendemain. On peut mettre dissoudre le salpêtre & le sel ammoniac dans l’eau-forte, avant que d’y mettre l’étain ; ce qui revient absolument au même, selon eux, quoiqu’il soit sûr que cette derniere maniere est la meilleure. D’autres mêlent l’eau & l’eau-forte ensemble, & mettent ce mélange sur l’étain & le sel ammoniac ; d’autres enfin suivent différentes proportions.

Le lendemain de la préparation de la composition on fait le bouillon pour l’écarlate, qui ne ressemble point à celui dont on a parlé en premier lieu. Voici de quelle maniere on le prépare.

Pour une livre de laine ou étoffe, on met dans une petite chaudiere vingt pintes d’eau bien claire qui soit de riviere, non de puits ou de source trop vive. Lorsque l’eau est un peu plus que tiede, on y jette deux onces de crême de tartre en poudre subtile, & un gros & demi de cochenille pulvérisée & tamisée. On pousse le feu un peu plus fort ; & lorsque le bain est prêt à bouillir, on y jette deux onces de composition. Cette liqueur acide change tout-d’un-coup la couleur du bain, qui de cramoisi qu’il étoit, devient couleur de sang d’artere. Aussi-tôt que le bain a commencé de bouillir, on y plonge la laine ou étoffe,