Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

res de la Chine, prierent en 1672, les astronomes de l’Europe, d’examiner s’il n’y eut point d’éclipse en ce mois & en cette année, & si naturellement il pouvoit y en avoir ; parce que cette circonstance étant bien vérifiée, on en pourroit tirer de grands avantages pour la conversion des Chinois. Mais on a raison de s’étonner que les missionnaires ayant alors chez eux d’habiles astronomes, n’aient pas eux-mêmes fait les calculs qu’ils demandoient, ou qu’ils n’aient pas été d’assez bonne foi pour nous communiquer leurs découvertes.

Quoi qu’il en soit, ils ont paru croire que cette éclipse & les ténebres arrivées à la mort de J. C. sont une seule & même chose. Le P. Jean-Dominique Gabiani, l’un des missionnaires de la Chine, & plusieurs de leurs néophites, supposent le fait incontestable. Le P. Tachard, dans l’épitre dédicatoire de son premier voyage de Siam, dit que « la Sagesse suprême fit connoître autrefois aux rois & aux peuples d’Orient J. C. naissant & mourant, par une nouvelle étoile, & par une éclipse extraordinaire ».

Cependant plusieurs astronomes européens, entr’autres Muller en 1685, & Bayer en 1718, ayant consulté les annales chinoises, & calculé l’éclipse dont elles font mention, ont trouvé que l’éclipse de la Chine étoit naturelle, & qu’elle n’avoit rien de commun avec les ténebres de la passion de notre Sauveur.

En effet, 1°. comme je viens de le dire, on ne convient point de l’année où l’éclipse de la Chine est arrivée ; les uns mettent cette année à l’an 31, & d’autres à l’an 32 de J. C. 2°. selon M. Kirch, elle n’a été que de neuf doigts & demi, ou neuf doigts quarante minutes ; & selon le P. Gaubil, elle a été centrale annulaire. Selon le premier, elle étoit finie à dix heures du matin ; & selon l’autre, elle a été centrale annulaire à dix heures & demi.

Mais en supposant que les missionnaires jésuites & les astronomes européens soient d’accord, quel rapport des éclipses étrangeres peuvent-elles avoir avec les ténebres arrivées à la mort de J. C ? 1°. Il ne pouvoit y avoir d’éclipse naturelle au soleil, puisque la lune étoit en son plein ; & par cette raison, il seroit impossible à aucun astronome de calculer une éclipse marquée à ce jour là, il n’en trouveroit jamais ; au-lieu que M. Kirch & le P. Gaubil lui-même ont calculé celle dont il est fait mention dans les annales de la Chine ; elle n’a donc rien de commun avec des ténebres qui n’ont pu, selon le cours naturel, être l’effet d’une éclipse au soleil. 2°. La durée des ténebres, qui fut de trois heures, prouve qu’elles n’étoient pas produites par une éclipse, puisque les plus grandes éclipses ne causent de ténebres que pendant quatre ou cinq minutes. 3°. Quand l’éclipse parut à la Chine, il n’étoit pas jour à Jérusalem. 4°. L’éclipse se fit le jeudi matin, & les ténebres le vendredi après midi. 5°. L’éclipse arriva le dernier jour du troisieme mois des Chinois, c’est-à-dire le dernier jour du second mois judaïque ; & les ténebres à la pâque que les Juifs célebrent au milieu de leur premier mois. 6°. L’éclipse de la Chine arriva le 10 Mai, tems où la paque ordinaire des Juifs ne fut jamais célebrée. 7°. Il n’est pas même certain qu’il y ait eu dans la Chine l’an 32 de J. C. une telle éclipse. Cassini assure qu’après avoir calculé exactement, il a trouvé que la plupart des éclipses dont les Chinois parlent, ne peuvent être arrivées dans le tems qu’ils ont marqué, & le P. Couplet lui-même convient qu’ils ont inséré dans leurs fastes un grand nombre de fausses éclipses. Un chinois nommé Yamquemsiam, dans sa réponse à l’apologie pour la religion chrétienne, publiée par les Jésuites à la Chine, dit positivement que cette prétendue éclipse n’est

marquée dans aucune histoire de la Chine. 8°. Enfin si l’éclipse qu’on vit à la Chine au mois d’Avril de l’an 32 de J. C. arriva naturellement, elle ne peut avoir aucun rapport avec les ténebres de la passion, qui étoient surnaturelles ; & si au contraire elle étoit contre le cours régulier de la nature, le plus habile mathématicien de l’Europe entreprendroit en vain de la calculer.

Quant à l’éclipse naturelle dont Phlegon faisoit mention dans sa chronologie des olympiades, le docteur Sykès dans une savante dissertation sur ce sujet, remarque que les peres qui citent cet auteur, ne sont d’accord ni sur l’année de l’éclipse dont il parloit, ni sur les autres circonstances. Jules africain, qui vivoit environ 86 ans après Phlegon, est le premier qui allegue son témoignage dans un fragment qui nous a été conservé par Georges Syncelle.

Mais 1°. Jules africain fait dire à Phlegon, que cette éclipse arriva dans le tems de la pleine lune ; cependant dans le passage de Phlegon, cité par Eusebe, il n’en est point parlé. 2°. Jules africain censure Thallus d’avoir appellé ces ténebres une éclipse ; mais il ne trouve pas à redire à Phlegon, que cette éclipse arriva dans le tems de la pleine lune. 3*. Africain raconte qu’il y eut des ténebres universelles ; que par un tremblement de terre, les rochers se fendirent, & que plusieurs lieux furent renversés dans la Judée & dans d’autres parties du monde ; mais il paroît par le témoignage d’Origene, que tous ces prodiges n’arriverent que dans la Judée aux environs de Jérusalem. 4°. Africain ne marque pas l’année précise de l’éclipse de Phlegon ; il se contente de dire qu’elle arriva sous le regne de Tibere ; mais puisqu’il assure que cette éclipse est la même que celle qui arriva au tems de la passion de J. C. & que l’opinion générale de son tems, étoit que le Sauveur souffrit l’an 15 de Tibere, il faut la fixer à la 4e. année de la deux cent unieme olympiade.

A l’égard d’Origene, M. Sykès prétend prouver qu’il ne croyoit point que l’éclipse de Phlegon eût du rapport avec les ténebres de la passion. 1°. Parce qu’Origene convient dans son Commentaire sur S. Matthieu, qu’aucun auteur payen n’en a parlé. 2°. Parce qu’il croit que les prodiges dont les évangélistes font mention à la mort du Sauveur, n’arriverent que dans la Judée & aux environs de Jérusalem. 3°. Parce que selon lui, une nuée épaisse causa ces ténebres, ce qui ne s’accorde pas avec la circonstance de l’éclipse de Phlegon.

Le docteur Sykès conclut de toutes ces remarques, que puisque les anciens ne sont d’accord ni sur l’année, ni sur les circonstances de l’éclipse de Phlegon ; que les uns la mettent à la premiere année de la deux cent deuxieme olympiade, les autres à la seconde, S. Jerôme à la troisieme, & Eusebe à la quatrieme, nous ne pouvons faire aucun fond sur le témoignage de Phlegon qu’ils ont cité.

J’aurai peut-être encore occasion d’ajouter un mot sur cette matiere, en parlant de Phlegon né à Tralles ; ainsi voyez le mot Tralles, & tout sera dit sur ce point curieux de critique. (Le chevalier de Jaucourt.)

Ténebres, (terme d’Eglise.) ce mot se dit dans l’Eglise catholique des matines qui commencent l’office des féries majeures de la semaine-sainte. Les leçons de ténebres sont les lamentations de Jérémie sur les malheurs de Jérusalem, qu’on chante sur des tons plaintifs. (D. J.)

TENEBRIUM, (Géog. anc.) promontoire de l’Espagne tarragonoise. Ptolomée, liv. II. ch. vj. le donne aux peuples Ilercaones ; c’est aujourd’hui, à ce qu’on croit, Cabo de Alfaques. (D. J.)

TÉNÉCHIR, s. m. (terme de relation.) planche ou pierre sur laquelle les Turcs mettent les morts