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dicatif ; je chanterois, j’arriverois, je me révolterois : nous en avons un qui est composé d’un tems simple de l’auxiliaire avoir, ou de l’auxiliaire être, comme les prétérits positifs de l’indicatif ; j’aurois chanté, je serois arrivé en vie, je me serois révolté ou tée : un autre tems est surcomposé, comme les prétérits comparatifs de l’indicatif, j’aurois eu chanté, j’aurois été arrivé ou vée, je me serois révolté ou tée : un autre emprunte l’auxiliaire venir, comme les prétérits prochains de l’indicatif ; je viendrois de chanter, d’arriver,

de me dérober : enfin, il en est un qui se sert de l’auxiliaire devoir, comme les futurs positifs de l’indicatif ; je devrois chanter, arriver, me révolter. L’analogie, qui dans les cas réellement semblables, établit toujours les usages des langues sur les mêmes principes, nous porte à ranger ces tems du suppositif dans les mêmes classes que ceux de l’indicatif auxquels ils sont analogues dans leur formation. Voilà sur quoi est formé le


SYSTÈME DES TEMS DU SUPPOSITIF.
I. II. III.
Présent. je chanterois. j’arriverois. je me révolterois.
Prétérits positif. j’aurois chanté. je serois arrivé ou vée. je me serois révolté ou tée.
comparatif. j’aurois eu chanté. j’aurois été arrivé ou vée. je me serois eu révolté ou tée.
prochain. je viendrois de chanter. je viendrois d’arriver. je viendrois de me révolter.
Futur. je devrois chanter. je devrois arriver. je devrois me révolter.

Achevons d’établir par des exemples détaillés, ce qui n’est encore qu’une conclusion générale de l’analogie ; & reconnoissons, par l’analyse de l’usage, la vraie nature de chacun de ces tems.

1°. Le présent du suppositif est indéfini ; il en a les caracteres, puisqu’étant rapporté tantôt à une époque, & tantôt à une autre, il ne tient effectivement à aucune époque précise & déterminée.

Si Clément VII. eût traité Henri VIII. avec plus de modération, la religion catholique seroit encore aujourd’hui dominante en Angleterre. Il est évident par l’adverbe aujourd’hui, que seroit est employé dans cette phrase comme présent actuel.

En peignant dans un récit le desespoir d’un homme lâche, on peut dire : Il s’arrache les cheveux, il se jette à terre, il se releve, il blasphème contre le ciel, il déteste la vie qu’il en a reçue, il mourroit s’il avoit le courage de se donner la mort. Il est certain que tout ce que l’on peint ici est antérieur au moment où l’on parle ; il s’arrache, il se jette, il se releve, il blasphème, il déteste, sont dits pour il s’arrachoit, il se jettoit, il se relevoit, il blasphémoit, il détestoit, qui sont des présents antérieurs, & qui dans l’instant dont on rappelle le souvenir, pouvoient être employés comme des présents actuels : mais il en est de même du verbe il mourroit ; on pouvoit l’employer alors dans le sens actuel, & on l’emploie ici dans le sens antérieur comme les verbes précédens, dont il ne differe que par l’idée accessoire d’hypothèse qui caractérise le mode suppositif.

Si ma voiture étoit prête, je partirois demain : l’adverbe demain exprime si nettement une époque postérieure, qu’on ne peut pas douter que le verbe je partirois ne soit employé ici comme présent postérieur.

2°. Le prétérit positif est pareillement indéfini, puisqu’on peut pareillement le rapporter à diverses époques, selon la diversité des occurrences.

Les Romains auroient conservé l’empire de la terre, s’ils avoient conservé leurs anciennes vertus ; c’est-à-dire, que nous pourrions dire aujourd’hui, les Romains ont conservé, &c. Or, le verbe ont conservé étant rapporté à aujourd’hui, qui exprime une époque actuelle, est employé comme prétérit actuel : par conséquent il faut dire la même chose du verbe auroient conservé, qui a ici le même sens, si ce n’est qu’il ne l’énonce qu’avec l’idée accessoire d’hypothèse, au lieu que l’on dit ont conservé d’une maniere absolue & indépendante de toute supposition.

J’aurois fini cet ouvrage à la fin du mois prochain, si des affaires urgentes ne m’avoient détourné : le prétérit positif j’aurois fini est relatif ici à l’époque désignée par ces mots, la fin du mois prochain, qui est certainement une époque postérieure ; & c’est com-

me

si l’on disoit, je pourrois dire à la fin du mois prochain, j’ai fini, &c. j’aurois fini est donc employé dans cette phrase comme prétérit postérieur.

3°. Ce qui est prouvé du prétérit positif, est également vrai du prétérit comparatif ; il peut dans différentes phrases se rapporter à différentes époques ; il est indéfini.

Quand j’aurois eu pris toutes mes mesures avant l’arrivée du ministre, je ne pouvois réussir sans votre crédit. Il y a ici deux événemens présentés comme antérieurs au moment de la parole, la précaution d’avoir pris toutes les mesures, & l’arrivée du ministre ; c’est pourquoi j’aurois eu pris est employé ici comme prétérit actuel, parce qu’il énonce la chose comme antérieure au moment de la parole : il est comparatif, afin d’indiquer encore l’antériorité des mesures prises à l’égard de l’arrivée du ministre, laquelle est également antérieure à l’époque actuelle. C’est comme si l’on disoit, quand à l’arrivée du ministre, (qui est au prétérit actuel, puisqu’elle est actuellement passée), j’aurois pu dire, (autre prétérit également actuel), j’ai pris toutes mes mesures, (prétérit rapporté immédiatement à l’époque de l’arrivée du ministre, & par comparaison à l’époque actuelle).

Si on lui avoit donné le commandement, j’étois sûr qu’il auroit eu repris toutes nos villes avant que les ennemis pussent se montrer ; c’est-à-dire, je pouvois dire avec certitude, il aura repris toutes nos villes, &c. Or il aura repris est vraiment le prétérit postérieur de l’indicatif ; il auroit eu repris est donc employé comme prétérit postérieur, puisqu’il renferme le même sens.

4°. Pour ce qui concerne le prétérit prochain, il est encore indéfini, & on peut l’employer avec rélation à différentes époques.

Quelqu’un veut tirer de ce que je viens de rentrer, une conséquence que je desavoue, & je lui dis : quand je viendrois de rentrer, cela ne prouve rien. Il est évident que ces mots je viendrois de rentrer, sont immédiatement rélatifs au moment où je parle, & que par conséquent c’est un prétérit prochain actuel ; c’est comme si je disois, j’avoue que actuellement, mais cela ne prouve rien.

Voici le même tems rapporté à une autre époque, quand je dis : allez chez mon frere, & quand il viendroit de rentrer, amenez-le ici. Le verbe amenez est certainement ici au présent postérieur, & il est clair que ces mots, il viendroit de rentrer, expriment un événement antérieur à l’époque énoncée par amenez, qui est postérieure ; par conséquent il viendroit de rentrer est ici un prétérit postérieur.

5°. Enfin, le futur positif est également indéfini, puisqu’il sert aussi avec relation à diverses époques,