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ports d’existence qui caractérisent les tems de tous les verbes.

Le verbe auxiliaire usuel, est celui qui a une signification originelle, toute autre que celle de l’existence, & dont l’usage le dépouille entierement, quand il sert à la formation des tems d’un autre verbe, pour ne lui laisser que celle qui convient aux rapports d’existence qu’il est alors chargé de caractériser. Tels sont, par exemple, en françois, les verbes avoir & devoir, quand on dit, j’ai loué, je devois sortir ; ces verbes perdent alors leur signification originelle ; avoir ne signifie plus possession, mais antériorité ; devoir ne marque plus obligation, mais postériorité. Je dis que ces verbes sont auxiliaires usuels, parce que leur signification primitive ne les ayant pas destinés à cette espece de service, ils n’ont pû y être assujet-

tis que par l’autorité de l’usage, quem penes arbitrium est & jus & norma loquendi. Hor. art. poët. 72.

Les langues modernes de l’Europe font bien plus d’usage des verbes auxiliaires que les langues anciennes ; mais les unes & les autres sont également guidées par le même esprit d’analogie.

§. I. Analogies des tems dans quelques langues modernes de l’Europe. Commençons par reconnoître cet esprit d’analogie dans les trois langues modernes que nous avons déja comparées, la françoise, l’italienne & l’espagnole.

1°. On trouve dans ces trois langues les mêmes tems simples ; & dans l’une, comme dans l’autre, il n’y a de simples, que ceux que je regarde comme des

présens.


franç. ital. espagn.
Présent, indéfini. je loue. lode. alabo.
antérieur simple. je louois. lodava. alabava.
antérieur périodique. je louai. lodai. alabé.
postérieur. je louerai. lodéro. alabaré.


2°. Tous les tems où nous avons reconnu pour caractere fondamental & commun, l’idée d’antériorité, & dont, en conséquence, j’ai formé la classe des prétérits, sont composés dans les trois langues ; dans toutes trois, c’est communément le verbe qui signifie

originellement possession, quelquefois celui qui exprime fondamentalement l’existence, qui est employé comme auxiliaire des prétérits, & toujours avec le supin ou le participe passif du verbe conjugué.


franç. ital. espagn.
Prétérit, indéfini. j’ai loué. hò lodato. hé alabado.
antérieur simple. j’avois loué. havévo lodato. avia alabado.
antérieur périodique. j’eus loué. hébbi lodato. uve alabado.
postérieur. j’aurai loué. havero lodato. uviere alabado.


3°. Les futurs ont encore leur analogie distinctive dans les trois langues, quoiqu’il y ait quelque différence de l’une à l’autre. Nous nous servons en françois de l’auxiliaire devoir, avec le présent de l’infinitif du verbe que l’on conjugue. Les Espagnols employent le verbe aver (avoir), suivi de la préposition de & de l’infinitif du verbe principal ; tout elliptique qui semble exiger que l’on sous-entende le nom & hado (la destination), ou quelqu’autre semblable. Les Italiens ont adopté le tour françois & plusieurs

autres : Castelvetro, dans ses notes sur le bembe (édits de Naples 1714, in-4°. p. 220.) cite, comme expressions synonymes, debbo amare, (je dois aimer), ho ad amare, (j’ai à aimer), ho da amare, (j’ai d’aimer), sono per amare, (je suis pour aimer) ; je crois cependant qu’il y a quelque différence, parce que les langues n’admettent ni mots, ni phrases synonymes, & apparemment le tour italien semblable au nôtre est le seul qui y corresponde exactement.


franç. ital. espagn.
Futur, indéfini. je dois louer. devo lodare. he dealabadar.
antérieur. je devois louer. dovevo lodare. avia dealabadar.
postérieur. je devrai louer. dovero lodare. uvière dealabadar.


§. 2. Analogies des tems dans la langue latine. La langue latine, dont le génie paroît d’ailleurs si différent de celui des trois langues modernes, nous conduit encore aux mêmes conclusions par ses analogies propres ; & l’on peut même dire, qu’elle ajoute quelque chose de plus en faveur de mon système des tems.

I. Chacune des trois especes y est caractérisée par des analogies particulieres, qui sont communes à chacun des tems compris dans la même espece.

1°. Tous ceux dont l’idée caractéristique commune est la simultanéité, & que je comprends, pour cette raison, sous le nom de présens, sont simples en latin, tant à la voix active, qu’à la voix passive ; & ils ont tous une racine immédiate commune.


actif passif
Futur, indéfini. laudo. laudor.
antérieur. laudabam. laudabar.
postérieur. laudabo. laudabor.

2°. Tous les tems que je nomme prétérits, parce que l’idée fondamentale qui leur est commune, est celle d’antériorité, sont encore simples à la voix active ; mais le changement d’inflexions à la racine commune, leur donne une racine immédiate toute différente, & qui caracterise leur analogie propre : d’ailleurs, les tems correspondans de la voix passive sont tous composés de l’auxiliaire naturel & du pretérit du participe passif.


actif passif
Prétérit, indéfini. laudavi. laudatus sum ou fui.
antérieur. laudaveram. laudatus eram ou fueram.
postérieur. laudavero. laudatus ero ou fuero.


3°. Enfin, tous les tems que je nomme futurs, à cause de l’idée de postériorité qui les caractérise, sont composés en latin du verbe auxiliaire naturel &

du futur du participe actif, pour la voix active ; ou du futur du participe passif, pour la voix passive.