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ces suites n’ayant qu’une apparence d’infinité.

2°. Que la même grandeur peut être exprimée par différentes suites, qu’elle peut l’être par une suite dont la somme est déterminable, & par une autre, dont on ne sauroit trouver la somme.

La géométrie n’est pas sujette, dans l’expression des grandeurs, à autant de difficultés que l’arithmétique : on y exprime exactement en lignes les nombres irrationnels, & l’on n’a point besoin d’y recourir aux suites infinies. Ainsi l’on sait que la diagonale d’un quarré, dont le côté est 1, exprime la racine quarrée de 2. Mais en quelques autres cas, la géométrie elle-même n’est pas exempte de ces inconvéniens, parce qu’il y a quelques lignes droites que l’on ne peut exprimer autrement que par une suite infinie de lignes plus petites, dont la somme ne peut être déterminée : de cette espece sont les lignes droites égales à des courbes non rectifiables ; en cherchant, par exemple, une ligne droite égale à la circonférence d’un cercle, on trouve que le diametre étant supposé 1, la ligne cherchée sera , &c. Voyez Rectification.

Quant à l’invention d’une suite infinie, qui exprime des quantités cherchées, Mercator, le premier inventeur de cette méthode, se sert pour cet effet de la division. Mais M. Newton & M. Léibnitz ont porté cette théorie plus loin ; le premier, en trouvant ses suites par l’extraction des racines ; & le second, par une autre suite présupposée.

Pour trouver, par le moyen de la division, une suite qui soit l’expression d’une quantité cherchée. Supposons qu’on demande une suite qui exprime le quotient de b divisé par a + c, divisez le dividende par le diviseur, comme dans l’algebre ordinaire, en continuant la division, jusqu’à ce que le quotient fasse voir l’ordre de la progression, ou la loi suivant laquelle les termes vont à l’infini ; observant toujours les regles de la soustraction, de la multiplication, de la division, par rapport au changement des signes. Quand vous aurez poussé cette opération jusqu’à un certain point, vous trouverez que le quotient est , &c. à l’infini. Ces quatre ou cinq termes étant ainsi trouvés, vous reconnoîtrez facilement que le quotient consiste en une suite infinie de fractions. Les numérateurs de ces fractions sont les puissances de c, dont les exposans sont moindres d’une unité que le nombre qui marque la place que ces termes occupent, & les dénominateurs sont les puissances de a, dont les exposans sont égaux au nombre qui marque la place de ces termes : par exemple, dans le troisieme terme, la puissance de c est du second degré dans le numérateur ; & la puissance de a est du troisieme degré dans le dénominateur.

Par conséquent 1°. si b = 1 & a = 1, en substituant ces valeurs, nous aurons le quotient ci-dessus , &c. à l’infini : c’est pourquoi , &c. à l’infini.

2°. Donc si les termes qui sont au quotient décroissent continuellement, la suite donnera un quotient aussi près du vrai qu’il est possible. Par exemple, si b = 1, c = 1, a = 2, ces valeurs étant substituées dans la suite générale, & la division étant faite comme dans l’exemple général ci-dessus, on trouvera , &c. Supposons maintenant que la série ou la suite s’arrête au quatrieme terme, la somme de cette suite sera au-dessous de la véritable ; mais il ne s’en faudra pas . Si elle s’arrête au sixieme terme, elle sera encore en-dessous, mais moins que de  : c’est pourquoi plus on poussera la série ou la suite, plus aussi on approchera de la véritable somme, sans pourtant jamais y arriver.

De la même maniere, on trouve que , &c. à l’infini… , &c. à l’infini… , &c. à l’infini. Ce qui donne une loi constante, suivant laquelle toutes les fractions, dont le numérateur est l’unité, peuvent être exprimées par des suites infinies ; ces suites étant toutes des progressions géométriques, qui décroissent en telle maniere que le numérateur est toujours l’unité, & que le dénominateur du premier terme, qui est aussi l’exposant du rapport, est moindre d’une unité que le dénominateur de la fraction que l’on a proposé de réduire en suite.

Si les termes du quotient croissent continuellement, la série s’éloigne d’autant plus du quotient, qu’elle est poussée plus loin ; & elle ne peut jamais devenir égale au quotient, à moins qu’on ne limite ce quotient, & qu’on ne lui ajoute le dernier reste avec son propre signe. Par exemple, supposons  ; on trouvera que le quotient , &c. prenons le premier terme 1, il excede de  ; deux terrnes, c’est-à-dire , seront plus petits de  ; trois termes seront trop grands de  ; quatre termes seront trop petits que de , &c. Si l’on suppose que la série ou la suite se termine au terme -8 ; alors on aura  ; mais  : ainsi .

Mais, dira-t-on, qu’exprime donc alors une pareille suite ? car par la nature de l’opération, elle doit être égale à la quantité ou fraction proposée ; & cependant elle s’en éloigne continuellement. Un auteur nommé Guido Ubaldus, dans son traité de quadratura circuli & hyperbolæ, a poussé ce raisonnement plus loin, & en a tiré une conséquence fort singuliere. Ayant pris la suite , & ayant fait la division il a trouvé au quotient , &c. qui à l’infini ne peut jamais donner que 1 ou 0 ; sçavoir 1, si on prend un nombre impair de termes ; & 0, si on prend un nombre pair. D’où cet auteur a conclu que la fraction pouvoit devenir 1 par une certaine opération, & que 0 pouvoit être aussi égal à , & que par conséquent la création étoit possible, puisqu’avec moins on pouvoit faire plus.

L’erreur de cet auteur venoit de n’avoir pas remarqué que la suite 1-1 + 1-1, &c. & en général &c. n’exprimoit point exactement la valeur de la fraction . Car supposons qu’on ait poussé le quotient de la division jusqu’à cinq termes ; comme la division ne se fait jamais exactement, il y a toujours un reste ; soit ce reste r ; & pour avoir le quotient exact, il faut, comme dans la division ordinaire, ajoûter ce reste r divisé par le diviseur , à la partie déjà trouvée du quotient.

Ainsi supposons que la série générale soit terminée à , on aura . Par conséquent la valeur exacte de est  ; & cette valeur se trouve toujours égale à , & non pas zéro à 1. Voyez dans les Mémoires de l’académ. de 1715. un écrit de M. Varignon, où cette difficulté est éclaircie avec beaucoup de soin.

Pour s’instruire à fond de la matiere des suites, on peut consulter le traité de M. Jacques Bernoulli, intitulé Tractatus de seriebus infinitis, earumque summâ finitâ, imprimé à Basle en 1714, à la suite de l’Ars conjectandi du même auteur ; le septieme livre de l’Analyse démontrée du P. Reyneau ; l’ouvrage de M. Newton, intitulé Analysis per æquationes numero terminorum infinitas ; enfin le traité de M. Stirling, de summatione serierum ; & celui de M. Moivre, qui a