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sont issus d’un même sang avec tous les autres tartares, parce qu’ils ont à-peu-près les mêmes inclinations & la même physionomie ; cependant ils ne sont pas tout-à-fait si basannés & si laids que les Callmoucks, ayant les yeux beaucoup plus ouverts, & le nez moins écrasé que ne les ont ces derniers. Ils sont pour la plûpart d’une taille haute & robuste, & sont généralement plus actifs que les autres peuples de la Sibérie.

Les Podkamena-Toungousi & les Sabatski-Toungousi ne different guere en leur maniere de vivre des Ostiakes & des Samoyedes leurs voisins. Ils portent en hiver des habits de peaux de cerfs ou de rennes, le poil en dehors, & des culottes, bas & souliers de ces mêmes peaux tout d’une piece. Ils vivent en été de la pêche, & dans l’hiver de la chasse. Ils n’ont point d’autres prêtres que quelques schammans, qu’ils consultent plutôt comme des sorciers, que comme des prêtres.

Les Olenni-Toungousi vivent pareillement de la chasse & de la pêche ; mais ils nourrissent en même tems des bestiaux, & s’habillent tant en été qu’en hiver de peaux de brebis, ou de jeunes daims ; ils se servent de bonnets de peaux de renards qu’ils peuvent abattre à l’entour du cou lorsqu’il fait bien froid.

Les Conni-Toungousi sont les moins barbares de tous ces peuples ; ils se nourrissent quasi tous de leur bétail, & s’habillent à-peu-près comme les Moungales, auxquels ils ressemblent beaucoup en toutes choses. Ils coupent leurs cheveux à la façon des Callmoucks & des Moungales, & se servent des mêmes armes qu’eux ; ils ne cultivent point de terres ; mais au-lieu de pain, ils se servent des oignons de lis jaunes qui croissent en grande quantité en ces quartiers, dont ils font une sorte de farine après les avoir séchés ; & de cette farine ils préparent une bouillie qu’ils trouvent délicieuse : ils mangent aussi bien souvent les oignons lorsqu’ils sont séchés, sans en faire de la farine ; ils sont bons hommes de cheval, & leurs femmes & leurs filles montent également à cheval, & ne sortent jamais sans être armées.

Tous les Toungouses en général sont braves & robustes ; ils habitent des huttes ou maisons mouvantes ; leur religion est à-peu-près la même par-tout, & ils prennent autant de femmes qu’ils en peuvent entretenir. Il n’y a qu’un petit nombre de conni-toungousi qui obéissent à la Chine ; le reste de ce peuple est sous l’obéissance de la Russie, qui en tire les plus belles pelleteries de la Sibérie.

Les Tartares Usbecks habitent la grande Bucharie & le pays de Charass’m. La grande Bucharie est une vaste province de la grande Tartarie, & elle renferme les royaumes de Balk, de Samarcande & de Boikkahrah. Les Usbecks de la grande Bucharie viennent camper ordinairement aux environs de la riviere d’Amur, & dans les autres endroits où ils peuvent trouver de bons pâturages pour leur bétail, en attendant des occasions favorables de brigandage. Ils font des courses sur les terres voisines des Persans, ainsi que les Usbecks du pays de Charass’m ; & il n’y a ni paix, ni treve qui puisse les empêcher de piller, parce que les esclaves & autres effets de prix qu’ils ravissent, font toute leur richesse. Lorsque leurs forces sont réunies, ils peuvent armer une quarantaine de mille hommes d’assez bonne cavalerie.

Tous les Tartares tirent leur nom d’un des fils d’Alanza-Cham, appellé Tatar, qui le donna à sa tribu, d’où il a passé aux alliés de cette tribu, & ensuite à toutes les branches des peuples barbares de l’Asie, qui butinoient sur leurs voisins, tant en tems de paix qu’en tems de guerre ; cependant ils ont porté le nom de turcs, jusqu’à ce que Genghis-Chan les ayant rangés sous son joug, le nom de turcs est insensiblement venu à se perdre, & a fait place à celui de tartares,

sous lequel nous les connoissons à-présent. Quand Genghis-Chan eut envahi l’Asie méridionale, & qu’on eut conçu que ce prince des Mogoules étoit en même tems le souverain des Tartares, on choisit de donner à tous les peuples de ces quartiers le nom de Tartares qu’on connoissoit, par préférence à celui de Mogoules dont on n’avoit jamais entendu parler.

Les Tartares tant mahométans que Callmoucks Moungales, prennent autant de femmes légitimes qu’ils veulent, ainsi qu’un grand nombre de concubines, qu’ils choisissent d’ordinaire parmi leurs esclaves ; mais les enfans qui naissent des unes & des autres sont également légitimes & habiles à hériter de leurs peres.

Tous les Tartares sont accoutumés de tirer la même nourriture des chevaux que nous tirons des vaches & des bœufs ; car ils ne mangent communément que de la chair de cheval & de brebis, rarement de celle de bœuf ou de vache, qu’ils n’estiment pas à beaucoup près si bonne. Le lait de jument leur sert aux mêmes usages qu’à nous le lait de vache, & on assure que le lait de jument est meilleur & plus gras. Outre cela, il est bon de remarquer que presque dans toute la Tartarie, les vaches ne souffrent point qu’on les traye ; elles nourrissent à la vérité leurs veaux, mais d’abord qu’on les leur ôte, elles ne se laissent plus approcher, & perdent incessamment leur lait, en sorte que c’est une espece de nécessité qui a introduit l’usage du lait de jument chez les Tartares.

Ils ont une maniere singuliere de combattre, dans laquelle ils font fort habiles. En allant à l’action, ils se partagent sans aucun rang, en autant de troupes qu’il y a d’hordes particulieres qui composent leur armée, & chaque troupe a son chef à la tête. Ils ne se battent qu’à cheval, & tirent leurs fleches en fuyant avec autant d’adresse qu’en avançant ; en sorte qu’ils trouvent toujours leur compte à harceler les ennemis de loin, en quoi la vîtesse de leurs chevaux leur est d’un grand secours.

Ils ont tous une exacte connoissance des aimacks ou tribus dont ils sont sortis, & ils en conservent soigneusement la mémoire de génération en génération. Quoique par la suite du tems une telle tribu vienne à se partager en diverses branches, ils ne laissent pas pour cela de compter toujours ces branches pour être d’une telle tribu ; en sorte qu’on ne trouvera jamais aucun tartare, quelque grossier qu’il puisse être d’ailleurs, qui ne sache précisément de quelle tribu il est issu.

Chaque tribu ou chaque branche séparée d’une tribu, a son chef particulier pris dans la tribu même, qui porte le nom de mursa ; & c’est proprement une espece de majorat qui doit tomber d’aîné en aîné dans la postérité du premier fondateur d’une telle tribu, à moins que quelque cause violente ne trouble cet ordre de succession. Un tel mursa doit avoir annuellement la dixme de tous les bestiaux de ceux de sa tribu, & la dixme du butin que sa tribu peut faire lorsqu’elle va à la guerre.

Les familles qui composent une tribu, campent d’ordinaire ensemble, & ne s’éloignent pas du gros de l’horde sans en faire part à leur mursa, afin qu’il puisse savoir où les prendre lorsqu’il veut les rappeller. Ces murses ne sont considérables à leur chan, qu’à proportion que leurs tribus sont nombreuses ; & les chans ne sont redoutables à leurs voisins, qu’autant qu’ils ont beaucoup de tribus, & des tribus composées d’un grand nombre de familles sous leur obéissance. C’est en quoi consiste toute la puissance, la grandeur & la richesse d’un chan des Tartares.

C’est une coutume qui a été de tout tems en usage chez les Tartares, que d’adopter le nom du prince, pour lui marquer leur affection ; j’en citerai pour preuve le nom de Moguls ou Mungales, & celui de