Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/921

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

murses particuliers qui sont fort puissans, ne laissent guere de pouvoir de reste au chan. Ces Tartares peuvent armer tout-au-plus trente mille hommes, & avec les Cara-kalpaks cinquante mille, tous à cheval.

Les Tartares de la Crimée sont présentement partagés en trois branches, dont la premiere est celle des Tartares de la Crimée ; la seconde, celle des Tartares de Budziach ; & la troisieme celle des Tartares Koubans. Les Tartares de la Crimée sont les plus puissans de ces trois branches ; on les appelle aussi les Tartares de Perékop, ou les Tartares Saporovi, à cause que par rapport aux Polonois qui leur donnent ce nom, ils habitent au-delà des cataractes du Borysthène.

Ces Tartares occupent à-présent la presqu’île de la Crimée, avec la partie de la terre ferme au nord de cette presqu’île, qui est séparée par la riviere de Samar de l’Ukraine, & par la riviere de Mius du reste de la Russie. Les Tartares de la Crimée sont ceux de tous les Tartares mahométans qui ressemblent le plus aux Calmoucks, sans être néanmoins si laids ; mais ils sont petits & fort quarrés ; ils ont le tein brûlé, des yeux de porc peu ouverts, le tour du visage plat, la bouche assez petite, des dents blanches comme de l’ivoire, des cheveux noirs qui sont rudes comme du crin, & fort peu de barbe. Ils portent des chemises courtes de toile de coton, & des caleçons de la même toile ; leurs culottes sont fort larges & faites de quelque gros drap ou de peau de brebis ; leurs vestes sont de toile de coton, piquée, à la maniere des caffetans des Turcs ; & au-dessus de ces vestes ils mettent un manteau de feutre, ou de peau de brebis.

Leurs armes sont le sabre, l’arc, & la flèche. Leurs chevaux sont vilains & infatigables. Leur religion est la mahométane. Leur souverain est un chan allié de la porte Ottomane, & dont le pays est sous la protection du grand-seigneur. C’est dans la ville de Bascia-Sarai, située vers le milieu de la presqu’île de Crimée, que le chan fait ordinairement sa résidence. La partie de la terre ferme au nord de Perékop, est occupée par des hordes de Tartares de la Crimée, qui vivent sous des huttes, & se nourrissent de leur bétail, lorsqu’ils n’ont point occasion de brigander.

Les tartares de ce pays passent pour les plus aguerris de tous les Tartares. Ils sont presque toujours en course, portant avec eux de la farine d’orge, du biscuit, & du sel pour toute provision La chair de cheval & le lait de jument font leurs délices. Il coupent la meilleure chair de dessus les os, par tranches, de l’épaisseur d’un pouce, & les rangent également sur le dos d’un autre cheval, sous la selle, & en observant de bien serrer la sangle, & ils font ainsi leur chemin. Au bout de trois ou quatre lieues ils levent la selle, retournent les tranches de leur viande, remettent la selle comme auparavant, & continuent leur traite. A la couchée le ragoût se trouve tout prêt ; le reste de la chair qui est à l’entour des os se rôtit à quelques bâtons, & se mange sur-le-champ au commencement de la course.

Au retour du voyage, qui est souvent d’une centaine de lieues & davantage, le chan prend la dixme de tout le butin, qui consiste communément en esclaves ; le murse de chaque horde en prend autant sur la part qui peut revenir à ceux qui sont sous son commandement, & le reste est partagé également entre ceux qui ont été de la course. Les Tartares de la Crimée peuvent mettre jusqu’à quatre-vingt mille hommes en campagne.

Les Tartares Circasses habitent au nord-ouest de la mer Caspienne, entre l’embouchure de la riviere de Wolga & la Géorgie. Le peuple qui est présentement connu sous le nom des Circasses, est une branche des tartares mahométans. Du-moins les Circasses

conservent-ils jusqu’aujourd’hui la langue, les coutumes, les inclinations, & même l’extérieur des Tartares, nonobstant qu’on puisse s’appercevoir facilement qu’il doit y avoir bien du sang des anciens habitans du pays mêlés chez eux, parmi celui des Tartares.

Il y a beaucoup d’apparence que les Tartares Circasses, aussi-bien que les Daghestans, sont de la postérité de ceux d’entre les Tartares qui furent obligés, du tems que les sofis s’emparerent de la Perse, de se retirer de ce royaume pour aller gagner les montagnes qui sont au nord de la province de Schirvan, d’où les Perses ne les pouvoient pas chasser si facilement, & où ils étoient à portée d’entretenir correspondance avec les autres tribus de leur nation, qui étoient pour-lors en possession des royaumes de Casan & d’Astracan.

Les Tartares Circasses sont assez laids, & presque toutes leurs femmes sont très-belles. En été elles ne portent qu’une simple chemise d’une toile de coton, fendue jusqu’au nombril, & en hiver elles ont des robes semblables à celles des femmes russiennes : elles se couvrent la tête d’une sorte de bonnet noir qui leur sied fort bien ; elles portent autour du cou plusieurs tours de perles de verre noir, pour faire d’autant mieux remarquer les beautés de leur gorge ; elles ont un tein de lys & de rose, les cheveux & les plus beaux yeux noirs du monde.

Les Tartares Circasses se font circoncire, & observent quelques autres cérémonies mahométanes ; mais la religion grecque commence à faire beaucoup de progrès dans leur pays. Ils habitent en hiver dans des villages, & ont pour maisons de chetives chaumieres ; en été ils vont camper la plûpart du tems dans les endroits où ils trouvent de bons pâturages, savoir vers les frontieres du Daghestan & de la Georgie, où le pays est fort beau, & fertile en toutes sortes de légumes & de fruits. C’est de la partie montueuse de la Circassie que viennent les chevaux circasses, tant estimés en Russie, pour leur vîtesse, la grandeur de leurs pas, & la facilité de les nourrir.

Les Circasses ont des princes particuliers de leur nation auxquels ils obéissent, & ceux-ci sont sous la protection de la Russie, qui possede Terki, capitale de tout le pays : les Circasses peuvent faire une vingtaine de mille hommes armés.

Les Tartares du Daghestan s’étendent en longueur depuis la riviere de Bustro, qui tombe dans la mer Caspienne, à 43d. 20′. de latitude jusqu’aux portes de la ville de Derbent ; & en largeur, depuis le rivage de la mer Caspienne, jusqu’à six lieues de la ville d’Erivan. Le pays est par-tout montueux, mais il ne laisse pas d’être d’une grande fertilité dans les endroits où il est cultivé.

Ces Tartares sont les plus laids de tous les Tartares mahométans. Leur tein est fort basané, & leur taille au-dessous de la médiocre est très-renforcée ; leurs cheveux sont noirs & rudes comme des soies de cochon ; leurs chevaux sont fort petits, mais lestes à la course, & adroits à grimper les montagnes ; ils ont de grands troupeaux de bétail, dont ils abandonnent le soin à leurs femmes & à leurs esclaves, tandis qu’ils vont chercher à voler dans la Circassie & dans la Géorgie, des femmes & des enfans, qu’ils exposent en vente à Derbent, à Erivan, & à Tifflis.

Ils obéissent à divers petits princes de leur nation qui prennent le nom de sultans, & qui sont tout aussi voleurs que leurs sujets ; ils nomment leur grand chan schemkal, dont la dignité est élective. Ce schemkal réside à Boinac. Tout barbares que sont les Tartares Daghestans, ils ont un excellent usage pour le bien de leur pays, savoir que personne ne se peut marier chez eux, avant que d’avoir planté dans un certain endroit marqué, cent arbres fruitiers, d’où