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les saisit au moindre mal, & dans ce délire, il est bien naturel qu’ils s’imaginent avoir été piqués de la tarentule. Les cordiaux & les sudorifiques leur sont nuisibles, & empirent leur état ; on met donc en usage le repos, la fraîcheur, les boissons, ainsi que la musique qui calme leurs sens, & qu’ils aiment avec passion : voilà comme elle guérit la prétendue morsure si dangereuse de la tarentule. Cette exposition n’est pas merveilleuse, mais elle est fondée sur le bon sens, la vraissemblance, & la connoissance du caractere des habitans de la Pouille. (D. J.)

TARENTUM, ou TARAS, (Géog. anc.) ville d’Italie, dans la Pouille Messapienne, au fond d’un golfe ; elle étoit à cinq milles du Galesus. Tous les historiens & géographes, Strabon, Pline, Pomponius Méla, Tite-Live, Florus, Trogus Pompée, Solin, Tacite, & Procope parlent de cette célebre ville fondée 708 ans avant l’ere chrétienne.

La diversité des sentimens sur son origine, prouve qu’elle nous est inconnue. Antiochus veut qu’elle ait été fondée par quelques Barbares de Crète, qui, venus de Sicile, aborderent dans cet endroit avec leur flotte, & descendirent à terre. Solin en attribue la fondation aux Héraclides. Servius croit qu’elle est due à Tara fils de Neptune. Enfin d’autres prétendent plus vraissemblablement, que Tarente étoit une colonie de Lacédémoniens, qui furent conduits sur les côtes de la Tapygie Messapienne par Phalante, environ 696 ans avant l’ere chrétienne, & 55 ans depuis la fondation de Rome. Horace adopte cette origine ; il appelle Tarente, Oebalia tellus, du nom d’Oebalus, compagnon de Phalante, venus de Lacédémone dans la Lucanie, où il établit une colonie, & bâtit la ville de Tarente.

Le même poëte faisant ailleurs, l. II. od. 5. l’éloge de cette ville, dit : « si les injustes parques me refusent la consolation que je leur demande, je me retirerai dans le pays ou Phalante amena jadis une colonie de Lacédémoniens, où le Galaso serpente à-travers de gras pâturages, où les troupeaux sont chargés d’une riche toison que l’on conserve avec grand soin ; ce petit canton a pour moi des charmes, que je ne trouve nulle part ailleurs ; là, coule un miel délicieux, qui ne céde point à celui de l’Attique ; là, les olives le disputent en bonté à celles de Vénafre. Le printems y regne une grande partie de l’année ; les hivers y sont tiedes, & l’âpreté des aquilons n’altéra jamais la douce température de l’air qu’on y respire ; enfin les côteaux y étalent aux yeux les riches présens du dieu de la treille, & n’ont rien à envier aux raisins de Falerne. Ces riantes collines nous invitent tous deux à nous y retirer ; c’est-là, mon cher Septimius, que vous me rendrez les derniers devoirs, & que vous arroserez de vos larmes les cendres de votre poëte bien-aimé ».

Undè si parcæ prohibent iniquæ,
Dulce pellitis ovibus Galesi
Flumen, & regnata petam Laconi
Rura Phalantho.
Ille terrarum mihi præter omnes,
Angulus ridet ; ubi non Hymetto
Mella decedunt, viridique certat
Bacca Venafro.
Ver ubi longum, tepidasque præbet
Jupiter brumas ; & amicus Aulon,
Fertili Baccho, minimum Falernis
Invidet uvis.
Ille te mecum locus, & beatæ,
Postulant arces : ibi tu calentem
Debitâ sparges lacrymâ favillam,
Vatis amici.

Tarente, située si favorablement par la nature, de-

vint en peu de tems très-puissante. Elle avoit une

flotte considérable, une armée de trente mille hommes de pié, & de trois mille chevaux montés par d’excellens officiers ; c’étoit de la cavalerie légere, & leurs cavaliers avoient l’adresse de sauter d’un cheval sur l’autre ; cette cavalerie étoit si fort estimée, que ταραντινίζειν signifioit former de bonnes troupes de cavalerie.

Mais la prospérité perdit Tarente ; elle abandonna la vertu pour le luxe, & son goût pour le plaisir fut porté si loin, que le nombre des jours de l’année ne suffisoit pas aux Tarentins pour leurs fêtes publiques. Ils abatoient tout le poil de leur corps, afin d’avoir la peau plus douce, & sacrifioient aux restes de cette nudité ; les femmes ne se paroient que de robes transparentes, pour qu’aucuns de leurs charmes ne fussent voilés ; les hommes les imiterent, & portoient aussi des habits de soie ; ils se vantoient de connoître seuls le prix du moment présent, tandis, disoient-ils, que par-tout ailleurs on remettoit sans cesse au lendemain à jouir des douceurs de la vie, & l’on perdoit son tems dans les préparatifs d’une jouissance future ; enfin, ils porterent si loin l’amour de la volupté, que l’antiquité mit en proverbe les délices de Tarente. Tite-Live, l. IX. & XII. a détaillé les jeux qu’on faisoit dans cette ville, en l’honneur de Plutus : il ajoute qu’on les célebra magnifiquement dans la premiere guerre entre les Carthaginois & les Romains.

Des mœurs si différentes des premieres qu’eurent les Tarentins dans leur institution, d’après l’exemple de Pythagore & d’Archytas, amollirent leur courage, énerverent leur ame, & peu-à-peu la république déchue de son état florissant, se vit réduite aux dernieres extrémités ; au-lieu qu’elle avoit coutume de donner des capitaines à d’autres peuples, elle fut contrainte d’en chercher chez les étrangers, sans vouloir leur obéir, ni suivre leurs conseils ; aussi devinrent-ils la victime de leur mollesse & de leur arrogance.

Strabon marque deux causes principales de la ruine de Tarente : la premiere, qu’elle avoit dans l’année plus de fêtes que de jours ; & la seconde, que dans les guerres qu’elle eut avec ses voisins, ses troupes étoient indisciplinables. Enfin, après bien des revers, elle perdit sa liberté pendant les guerres d’Annibal ; & devenue colonie romaine, elle fut plus heureuse qu’elle n’avoit jamais été dans l’état de son sybarisme.

Florus écrivant les guerres entre les Romains & les Tarentins, fait le récit de la fortune & de la disgrace de cette ville ; il dit que Tarente étoit autrefois la capitale de la Calabre, de la Pouille, & de la Lucanie. Sa circonférence étoit grande, son port avantageux, sa situation merveilleuse, à cause qu’elle étoit placée à l’embouchure de la mer Adriatique, à la portée d’un grand nombre de places maritimes où ses vaisseaux alloient ; savoir en Istrie, dans l’Illyrique, dans l’Epire, en Achaïe, en Afrique, & en Sicile.

Au-dessus du port, du côté de la mer, étoit le théâtre de la ville qui a occasionné sa ruine : car le peuple s’y étant rendu un jour pour voir des jeux qui s’y faisoient, observa que des hommes passoient près du rivage ; on les prit pour des paysans. Les Tarentins sans autre éclaircissement, se moquerent d’eux, & les tournerent en ridicule. Il se trouva que c’étoient des Romains qui, choqués des railleries de ceux de Tarente, envoyerent bientôt des députés pour se plaindre de pareils affronts. Les Tarentins ne se contenterent point de leur faire une réponse hautaine, ils les chasserent encore honteusement de leur ville. Ce fut là la cause de la guerre que les Romains leur