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la main, ou à la plante des piés. C’est à la faveur de ces cals, de ces tumeurs dures & insensibles, dans lesquels tous les nerfs & vaisseaux entamés sont détruits, qu’il y a des gens qui peuvent, sans se brûler, porter du fer fondu dans la main ; & des verriers manier impunément le verre brûlant. Charriere, Kaw & autres, ont fait la même observation dans les faiseurs d’ancres.

Plus le revêtement de la peau est dur & solide, moins le sentiment du toucher peut s’exercer ; plus la peau est fine & délicate, plus le sentiment est vif & exquis. Les femmes ont entr’autres avantages sur les hommes, celui d’avoir la peau plus fine, & par conséquent le toucher plus délicat. Le fœtus dans le sein de la mere pourroit sentir par la délicatesse de sa peau, toutes les impressions extérieures ; mais comme il nage dans une liqueur, & que les liquides reçoivent & rompent l’action de toutes les causes qui peuvent occasionner des chocs ; il ne peut être blessé que rarement, & seulement par des corps ou des efforts très-violens. Il a donc fort peu, ou plutôt il n’a point d’exercice de la sensation du tact général, qui est commune à tout le corps ; comme il ne fait aucun usage de ses mains, il ne peut acquérir dans le sein de sa mere aucune connoissance de cette sensation particuliere qui est au bout des doigts. A peine est-il né, qu’on l’en prive encore par l’emmaillottement pendant six ou sept semaines, & qu’on lui ôte par-là le moyen d’acquérir de bonne heure les premieres notions de la forme des choses, comme si l’on avoit juré de retarder en lui le développement d’un sens important duquel toutes nos connoissances dépendent.

Par la raison que les cals empêchent l’action du toucher, la macération rend le toucher trop tendre en enlevant la surpeau ; c’est ce qu’éprouvent les jeunes blanchisseuses, en qui le savon amincit tellement l’épiderme, qu’il vient à leur causer un sentiment désagréable, parce que le tact des doigts se fait chez elles avec trop de force.

3°. Quelle est la cause de ce mouvement singulier & douloureux, de cette espece d’engourdissement que produit la torpille, quand on la touche ? C’est ce que nous indiquerons au mot Torpille. Mais pour ces engourdissemens universels qu’on observe quelquefois dans les filles hystériques, ce sont des phénomènes où le principe de tout le genre nerveux est attaqué, & qui sont très-difficiles à comprendre.

4°. D’où vient que les doigts sont le principal organe du toucher ? Ce n’est pas uniquement, répond l’auteur ingénieux de l’histoire naturelle de l’homme, parce qu’il y a une plus grande quantité de houppes nerveuses à l’extrémité des doigts que dans les autres parties du corps ; c’est encore parce que la main est divisée en plusieurs parties toutes mobiles, toutes flexibles, toutes agissantes en même tems, & obéissantes à la volonté ; ensorte que par ce moyen les doigts seuls nous donnent des idées distinctes de la forme des corps. Le toucher parfait est un contact de superficie dans tous les points ; les doigts peuvent s’étendre, se racourcir, se plier, se joindre & s’ajuster à toutes sortes de superficies, avantage qui suffit pour rendre dans leur réunion l’organe de ce sentiment exact & précis, qui est nécessaire pour nous donner l’idée de la forme des corps.

Si la main, continue M. de Buffon, avoit un plus grand nombre d’extrémités, qu’elle fût, par exemple, divisée en vingt doigts, que ces doigts eussent un plus grand nombre d’articulations & de mouvemens, il n’est pas douteux que doués comme ils sont de houpes nerveuses, le sentiment de leur toucher ne fût infiniment plus parfait dans cette conformation qu’il ne l’est, parce que cette main pourroit alors s’appliquer beaucoup plus immédiatement & plus précisément sur les différentes surfaces des corps.

Supposons que la main fût divisée en une infinité de parties toutes mobiles & flexibles, & qui pussent toutes s’appliquer en même tems sur tous les points de la surface des corps, un pareil organe seroit une espece de géométrie universelle, si l’on peut s’exprimer ainsi, par le secours de laquelle nous aurions dans le moment même de l’attouchement, des idées précises de la figure des corps que nous pourrions manier, de l’égalité ou de la rudesse de leur surface, & de la différence même très-petite de ces figures.

Si au contraire la main étoit sans doigts, elle ne pourroit nous donner que des notions très-imparfaites de la forme des choses les plus palpables, & il nous faudroit beaucoup plus d’expérience & de tems que nous n’employons, pour acquérir la même connoissance des objets qui nous environnent. Mais la nature a pourvu suffisamment à nos besoins, en nous accordant les puissances de corps & d’esprit convenables à notre destination. Dites-moi quel seroit l’avantage d’un toucher plus étendu, plus délicat, plus rafiné, si toujours tremblans nous avions sans cesse à craindre que les douleurs & les agonies ne s’introduisissent en nous par chaque pore ? C’est Pope qui fait cette belle réflexion dans le langage des dieux :

Say what the use, were finer sen ses given
And touch, if tremblingly alive all o’er
To smart and agonize at ev’ry pore ?


(Le chevalier de Jaucourt.)

Tact des insectes, (Hist. nat.) la plûpart des insectes semblent être doués d’un seul sens qui est celui du tact ; car ils ne paroissent pas avoir les organes des autres sens. Les limaçons, les écrevisses, les cancres se servent du toucher pour suppléer au défaut des yeux.

Ce sens unique & universel, quel qu’il soit dans les insectes, est sans comparaison plus fin & plus exquis que le nôtre. Quoiqu’il s’en trouve plusieurs qui ont l’usage de l’odorat, de la vue & de l’ouïe, il est aisé de comprendre que la délicatesse de leur tact peut suffire à toutes leurs connoissances ; l’exhalaison de la main qui s’avance pour prendre une mouche, peut recevoir par le mouvement une altération capable d’affecter cet insecte d’une maniere qui l’oblige à s’envoler. D’ailleurs on a lieu de douter qu’une mouche voie la main qui s’approche, parce que de quelque côté qu’on l’avance, elle sent également, & qu’il n’y a pas plus de facilité à la prendre par-derriere que par-devant. Quand un papillon se jette dans la flamme d’une chandelle, il y est peut être plutôt attiré par la chaleur que par la lumiere ; enfin parmi les insectes qui excellent dans la subtilité du toucher, on doit compter les fourmis & les mouches ; je croirois même que la subtilité du tact de la mouche l’emporte sur celui de l’araignée ; en échange la mouche ne paroit avoir ni goût fin, ni odorat subtil. Il est du moins constant qu’on empoisonne les mouches avec de l’orpin minéral, dont l’odeur & le goût sont assez forts pour devoir détourner cet insecte d’en goûter. (D. J.)

Tact en Chirurgie, de la guérison des maladies par le tact. Les auteurs anciens & modernes rapportent comme une chose merveilleuse, & en même tems comme un fait positif, la guérison de plusieurs maladies incurables ou opiniatres, par le seul attouchement. Le roi Pyrrhus passoit pour avoir la vertu de guérir les rateleux, en pressant doucement de son pié droit le viscere des malades couchés sur le dos, après avoir fait le sacrifice d’un coq blanc. On lit dans Plutarque qu’il n’y avoit point d’homme si pauvre ni si abject auquel il ne fît ce remede, quand il en étoit prié ; pour toute reconnoissance il prenoit le coq même qui avoit été sacrifié, & ce présent lui étoit très agréable. Suetone attribue pareillement aux empe-