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viennent, de ce que chaque organe est proportionné à l’objet dont il reçoit l’impression.

Il étoit à-propos pour que le sentiment du toucher se fît parfaitement, que les nerfs formassent de petites éminences sensibles, parce que ces pyramides sont beaucoup plus propres qu’un tissu uniforme, à être ébranlées par la surface des corps. Le goût avoit besoin de boutons nerveux, qui fussent spongieux & imbibés de la salive, pour délayer, fondre les principes des saveurs, & leur donner entrée dans leur tissure, afin d’y mieux faire leur impression. La membrane pituitaire qui tapisse l’organe de l’odorat a son velouté, ses cornets & ses cellules, pour arrêter les vapeurs odorantes ; mais son objet étant subtil, elle n’avoit pas besoin ni de boutons, ni de pyramides grossieres. La choroïde a aussi son velouté noir pour absorber les images ; mais le fond de ce velours, fait pour recevoir des images, devoit être une membrane nerveuse, très-polie & très-sensible.

Nous appellons donc tact ou toucher, non pas seulement ce sens universel, dont il n’est presque aucune partie du corps qui soit parfaitement dépourvue ; mais sur-tout ce sens particulier, qui se fait au bout de la face interne des doigts, comme à son véritable organe. La douleur, la tension, la chaleur, le froid, les inégalités de la surface des corps se font sentir à tous les nerfs, tant intérieurement qu’extérieurement.

Le tact cause une douleur sourde dans les visceres, mais ce sentiment est exquis dans les nerfs changés en papilles, & en nature molle : ce tact n’a point une différente nature du précédent, il n’en differe que par degrés.

La peau qui est l’organe du toucher, présente un tissu de fibres, de nerfs & de vaisseaux merveilleusement entrelacés. Elle est collée sur toutes les parties qu’elle enveloppe par les vaisseaux sanguins, lymphatiques, nerveux ; &, pour l’ordinaire, par une couche de plusieurs feuillets très-minces, lesquels forment entr’eux des cellules, où les extrémités artérielles, déposent une huile graisseuse ; aussi les anatomistes nomment ces couches de feuillets le tissu cellulaire ; c’est dans ce tissu que les bouchers introduisent de l’air quand ils soufflent leur viande, pour lui donner plus d’apparence.

La peau est faite de toutes ces parties mêmes qui l’attachent au corps qui l’enveloppe. Ces feuillets, ces vaisseaux & ces nerfs capillaires sont appliqués les uns sur les autres, par la compression des eaux qui environnent le fœtus dans le sein de la mere, & par celle de l’air lorsqu’il est né. Plusieurs de ces vaisseaux, creux d’abord, deviennent bien-tôt solides, & ils forment des fibres comme tendineuses, qui font avec les nerfs la principale tissure de cette toile épaisse. Les capillaires nerveux, après avoir concouru par leur entrelacement à la formation de la peau, se terminent à la surface externe ; là se dépouillant de leur premiere paroi, ils forment une espece de réseau, qu’on a nommé corps réticulaire. Ce réseau nerveux est déjà une machine sort propre à recevoir l’impression des objets ; mais l’extrémité du nerf dépouillé de sa premiere tunique s’épanouit, & produit le mamelon nerveux ; celui-ci dominant sur le réseau est bien plus susceptible d’ébranlement, & par conséquent de sensation délicate. Une lymphe spiritueuse abreuve ces mamelons, leur donne de la souplesse, du ressort, & acheve par-là d’en faire un organe accompli.

Ces mamelons sont rangés sur une même ligne, & dans un certain ordre, qui constitue les sillons qu’on observe à la surpeau, & qui sont si visibles au bout des doigts, où ils se terminent en spirale. Quand ils y sont parvenus, ils s’allongent suivant la longueur de cette partie, & ils s’unissent si étroitement, qu’ils

forment les corps solides que nous appellons ongles.

Les capillaires sanguins, que nous appellons lymphatiques & huileux, qui entrent dans le tissu de la peau, s’y distribuent à-peu-près comme les nerfs ; leur entrelacement dans la peau forme le réseau vasculaire, leur épanouissement fait l’épiderme qui recouvre les mamelons, & qui leur est si nécessaire pour modérer l’impression des objets, & rendre par-là cette impression plus distincte. Enfin, les glandes situées sous la peau servent à abreuver les mamelons nerveux.

Il suit de ce détail, 1°. que l’organe corporel qui sert au toucher, est formé par des mamelons ou des houpes molles, pulpeuses, médullaires, nerveuses, muqueuses, veloutées, en un mot de diverses especes, infiniment variées en figures & en arrangement, produites par les nerfs durs qui rampent sur la peau, lesquels s’y dépouillent de leurs membranes externes, & par-là deviennent très-mols, & conséquemment très-sensibles. Il suit 2°. que ses houppes sont humectées, & arrosées d’une liqueur très-fluide qui abonde sans cesse. 3°. que cette membrane fine & solide qu’on appelle épiderme, leur prête des sillons, des sinuosités, où elles se tiennent cachées, & leur sert ainsi de défense, sans altérer leur sensibilité.

Ces houppes ont la vertu de se retirer sur elles-mêmes, & de ressortir. Malpighi qui a tant éclairci la matiere que nous traitons, a dit une fois qu’en examinant au microscope les extrémités des doigts d’un homme délicat à un air chaud, il vit sortir les houpes nerveuses des sillons de l’épiderme, qui sembloient vouloir toucher & prendre exactement quelque chose au bout du doigt. Mais ailleurs le même Malpighi ne paroissant pas bien certain de ce qu’il avoit vu, révoque presque en doute cette expérience. Il est probable cependant que ces houppes s’élevent, comme il arrive dans le bout du teton, qui s’étend par le chatouillement. Quand on présente des sucreries à un enfant qui les aime, & qu’on lui fait tirer la langue devant un miroir, on y voit de toutes parts s’élever de petits tubercules. Le limaçon en se promenant fait sortir ses cornes, à la pointe desquelles sont ses yeux, qui n’apperçoivent jamais de corps durs, sans que le craintif animal n’entre dans sa coquille. Nos houppes en petit sortent comme les cornes du limaçon en grand ; ainsi, l’impression que les corps font sur les houppes de la peau, constitue le tact, qui consiste en ce que l’extrémité du doigt étant appliquée à l’objet qu’on veut toucher, les houpes presentent leur surface à cet objet, & le frottent doucement.

Je dis d’abord que l’extrémité des doigts doit être appliquée à l’objet qu’on veut toucher ; j’entens ici les doigts de la main plutôt que du pié ; cependant le tact se feroit presque aussi-bien avec le pié qu’avec la main, si les doigts du pié étoient plus flexibles, plus séparés, plus exercés, & s’ils n’étoient pas encore racornis par le marcher, le poids du corps & la chaussure. J’ajoute, que les houppes présentent leur surface à l’objet, parce qu’en quelque sorte, semblables à ces animaux qui dressent l’oreille pour écouter, elles s’élevent comme pour juger de l’objet qu’elles touchent. Je dis enfin que ces houppes frottent doucement leur surface contre celle de l’objet, parce que le tact est la résistance du corps qu’on touche. Si cette résistance est médiocre, le toucher en est clair & distinct ; si elle nous heurte vivement, on sent de la douleur sans toucher, à proprement parler : c’est ainsi que lorsque le doigt est excorié, nous ne distinguons point les qualités du corps, nous souffrons de leur attouchement : or, suivant la nature de cet attouchement, il se communique à ces houppes nerveuses un certain mouvement dont l’effet propagé