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Enfin Seneque y mit la derniere main en les rédigeant par ordre alphabétique en forme de dictionnaire ; aussi furent-elles appellées dans la suite les notes de Tiron & de Seneque.

Nous remarquerons à ce sujet contre l’opinion des savans, que les caracteres employés dans le pseautier, que Tritheme trouva à Strasbourg, & dont il donne un échantillon à la fin de sa polygraphie, ne sauroient être ceux de Tiron, non plus que le manuscrit qu’on fait voir au Mont Cassin, sous le nom de caracteres de Tiro. Ceci saute aux yeux, lorsqu’on examine combien ces caracteres sont composés, arbitraires, longs & difficiles à tracer, au lieu que Plutarque dit expressément en parlant de la harangue de Caton.

Hanc solam orationem Catonis servatam ferunt Cicerone consule velocissimos scriptores deponente at docente, ut per signa quæ dam & parvas brevesque notas multarum litterarum vim habentes dicta colligerent : c’est-à-dire qu’elle fût prise à l’aide de courtes notes, ayant la puissance ou valeur de plusieurs lettres. Or dans les figures que nous en a conservé Gruter, la particule ex, par exemple, est exprimée par plus de 70 signes différens, tous beaucoup plus composés, plus difficiles, & par conséquent plus longs à écrire que la proposition même. Ces vers d’Ausonne, au contraire, font voir qu’un seul point exprimoit une parole entiere.

Quâ multa fandi copia
Punctis peracta singulis
Ut una vox absolvitur.

cependant punctis doit se prendre en général pour des signes ou caracteres abregés dont plusieurs à la vérité n’étoient que de simples points, comme on verra plus bas dans l’hymne sur la mort de S. Cassien.

On peut donc hardiment conclure d’après ces autorités, que les notes qu’on nous donne pour être de Tiro, & celles imprimées sous le titre de, de notis ciceronianis, ne sont point les notes de Tiro, ou au moins celles à l’aide desquelles cet affranchi a écrit la harangue de Caton.

Mais comme la Tachygraphie est une espece de cryptographie, il se pourroit très-bien que Tiro eût travaillé en l’un & l’autre genre, & que ce fût ces derniers caracteres qui nous eussent été conservés.

Ce qui paroît appuyer cette conjecture est un passage du maître de Tiro ; Ciceron à Atticus, liv. XIII. ép. xxxij. dit lui avoir écrit en chiffre : Et quod ad te decem legatis scripsi parum intellexisti credo, quia διὰ σημείων scripseram.

Saint Cyprien ajouta depuis de nouvelles notes à celles de Séneque, & accommoda le tout à l’usage du Christianisme, pour me servir de l’expression de Vigenere qui dans son traité des chiffres, ajoute que c’est une profonde mer de confusion, & une vraie gêne de la mémoire comme chose laborieuse infiniment.

En effet, de retenir cinq ou six mille notes, presque toutes arbitraires, & les placer sur le champ, doit être un très-laborieux & très-difficile exercice. Aussi avoit-on des maîtres ou professeurs en Tachygraphie, témoin l’hymne de Prudence sur la mort de S. Cassien martyrisé à coups de stile par ses écoliers.

Præfuerat studiis puerilibus, & grege multo.
Septus magister litterarum sederat
Verba notis brevibus comprendere cuncta peritus,
Raptimque punctis dicta præpetibus sequi.

Et quelques vers après,

Reddimus ecce tibi tam millia multa notarum,
Quam stando, stendo, te docente excepimus.
Non potes irasci, quod scribimus ipse jubebas,
Nunquam quietum dextera ut ferret stilum :

Non petimus toties, te præceptore, negatas,
Avare doctor, jam scholarum serias.
Pangere puncta libet, sulci que intexere sulcos,
Flexas catenis impedire virgulas.

Lib. Περὶ Στεφάνων. Hymn. IX.

Ceux qui exerçoient cet art, s’appelloient cursores (coureurs), quia notis cursim verba expediebant, à cause de la rapidité avec laquelle ils traçoient le discours sur le papier ; & c’est vraissembablement l’origine du nom que nous donnons à une sorte d’écriture que nous appellons courante, terme adopté dans le même sens par les Anglois, Italiens, &c.

Ces cursores ont été nommés depuis notarii, à cause des notes dont ils se servoient, & c’est l’origine des notaires, dont l’usage principal dans les premiers siecles de l’Eglise, étoit de transcrire les sermons, discours ou homélies des évêques. Eusebe, dans son Histoire ecclésiastique, rapporte qu’Origènes souffrit à l’âge de soixante ans, que des notaires écrivissent ses discours, ce qu’il n’avoit jamais voulu permettre auparavant.

S. Augustin dit dans sa CLXIIIme épître, qu’il auroit souhaité que les notaires présens à ses discours, eussent voulu les écrire ; mais que comme pour des raisons à lui inconnues, ils s’y refusoient, quelques-uns des freres qui y assistoient, quoique moins expéditifs que les notaires, s’en étoient acquittés.

Et dans l’épître CLII, il parle de huit notaires assistans à ses discours ; quatre de sa part, & quatre nommés par d’autres, qui se relayoient, & écrivoient deux à deux, afin qu’il n’y eût rien d’obmis ni rien d’alteré de ce qu’il proferoit.

S. Jérôme avoit quatre notaires & six libraires : les premiers écrivoient sous sa dictée par notes, & les seconds transcrivoient au long en lettres ordinaires ; telle est l’origine des libraires.

Enfin, le pape Fabien jugeant l’écriture des notaires trop obscure pour l’usage ordinaire, ajouta aux sept notaires apostoliques sept soudiacres, pour transcrire au long ce que les notes contenoient par abréviations.

Ceux qui voudront connoître plus particulierement leurs fonctions & distinctions, pourront recourir à l’article Notaire.

Il paroît par la 44me novelle de Justinien, que les contrats d’abord minutés en caracteres & abregés par les notaires ou écrivains des tabellions, n’étoient obligatoires que lorsque les tabellions avoient transcrit en toutes lettres ce que les notaires avoient tracé tachygraphiquement Enfin il fut défendu par le même empereur, d’en faire du-tout usage à l’avenir dans les écritures publiques, à cause de l’équivoque qui pouvoit naître par la ressemblance des signes.

Le peu de littérature des siecles suivans les fit tellement tomber dans l’oubli, que le pseautier tachygraphique cité par Tritheme, étoit intitulé dans le catalogue du couvent, pseautier en langue arménienne. Ce pseautier, à ce que l’on prétend, se conserve actuellement dans la bibliotheque de Brunswick.

Il nous reste à parler d’un autre genre de Trachygraphie qui s’opere par le retranchement de quelques lettres, soit des voyelles comme dans l’hébreu, & supprimant quelquefois des consonnes ; ce qui est assez suivi par ceux qui écrivent dans les classes, comme sed. pour secundùm, &c. sur quoi on peut voir l’article Abréviation.

De cette espece est le notariacon, troisieme partie de la cabale judaïque, qui consiste à ne mettre qu’une lettre pour chaque mot. Les rabbins le distinguent en rasche theboth, chefs de dictions, lorsque c’est la lettre initiale, & sophe theboth, fin des mots, lorsque c’est la derniere.