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grande économie par le bon emploi des matieres ; on ne sauroit avoir un chef trop consommé & trop vigilant pour présider à cet attelier.

Il faut, pour placer convenablement cet attelier, une piece claire & spacieuse, dans laquelle on puisse pratiquer autant de bailles ou cases, que l’on admet de triage dans les feuilles.

Les ouvriers de cet attelier ont communément autour d’eux, un certain nombre de mannes ; le maître-ouvrier les change lui-même à mesure, les examine de nouveau, & les place dans les cases suivant leur destination.

Sans cette précaution, ou les ouvriers jetteroient les manoques à la main dans les cases & confondroient souvent les triages, ou ils les rangeroient par tas autour d’eux, où elles reprendroient une partie de la poussiere dont le frottement les a dépouillées.

Mouillade. La mouillade est la seconde opération de la fabrique, & doit former un attelier séparé, mais très-voisin de celui de l’époulardage ; il doit y avoir même nombre de cases, & distribuées comme celles de l’époulardage, parce que les feuilles doivent y être transportées dans le même ordre.

Cette opération est délicate, & mérite la plus grande attention ; car toutes les feuilles ne doivent point être mouillées indifféremment ; on ne doit avoir d’autre objet que celui de communiquer à celles qui sont trop seches, assez de souplesse pour passer sous les mains des écoteurs, sans être brisées ; toutes celles qui ont assez d’onction par elles-mêmes pour soutenir cette épreuve, doivent en être exceptées avec le plus grand soin.

On ne sauroit en général être trop modéré sur la mouillade des feuilles, ni trop s’appliquer à leur conserver leur qualité premiere & leur seve naturelle.

Une légere humectation est cependant ordinairement nécessaire dans le cours de la fabrication, & on en fait usage dans toutes les fabriques ; chacune a sa préparation plus ou moins composée ; en France, où on s’attache plus particulierement au choix des matieres premieres, la composition des sauces est simple & très-connue ; on se contente de choisir l’eau la plus nette & la plus savonneuse à laquelle on ajoute une certaine quantité de sel marin proportionnée à la qualité des matieres.

L’Ecotage. L’écotage est l’opération d’enlever la côte principale depuis le sommet de la feuille jusqu’au talon, sans offenser la feuille ; c’est une opération fort aisée, & qui n’exige que de l’agilité & de la souplesse dans les mains de l’ouvrier ; on se sert par cette raison par préférence, de femmes, & encore plus volontiers d’enfans qui dès l’âge de six ans peuvent y être employés ; ils enlevent la côte plus nette, la pincent mieux & plus vite ; la beauté du tabac dépend beaucoup de cette opération ; la moindre côte qui se trouve dans les tabacs fabriqués, les dépare, & indispose les consommateurs ; ainsi on doit avoir la plus singuliere attention à n’en point souffrir dans la masse des déchets, & on ne sauroit pour cet effet les examiner trop souvent, avant de les livrer aux fileurs.

On doit observer, que quoique la propreté soit essentielle dans tout le cours de la fabrication, & contribue pour beaucoup à la bonne qualité du tabac, elle est encore plus indispensable dans cet attelier que dans tout autre ; on conçoit assez combien l’espece d’ouvriers que l’on y emploie, est suspecte à cet égard, & a besoin d’être surveillée.

On choisit dans le nombre des feuilles qui passent journellement en fabrique, les feuilles les plus larges & les plus fortes, que l’on reserve avec soin pour couvrir les tabacs ; l’écotage de celles-ci forme une espece d’attelier à part, qui suit ordinairement celui des fileurs, cette opération demande plus d’attention que l’écotage ordinaire, parce que les feuilles doi-

vent être plus exactement écotées sur toute leur longueur,

& que si elles venoient à être déchirées, elles ne seroient plus propres à cet usage : on distingue ces feuilles en fabrique, par le mot de robes.

Toutes les feuilles propres à faire des robes, sont remises, lorsqu’elles sont écotées, aux plieurs.

L’opération du plieur consiste à faire un pli, ou rebord, du côté de la dentelure de la feuille, afin qu’elle ait plus de résistance, & ne déchire pas sous la main du fileur.

Déchets. Le mot de déchet est un terme adopté dans les manufactures, quoique très-contraire à sa signification propre : on appelle ainsi la masse des feuilles triées, écotées, qui doivent servir à composer les tabacs de toutes les qualités.

Ces déchets sont transportés de nouveau dans la salle de la mouillade ; c’est alors que l’on travaille aux mélanges, opération difficile qui ne peut être conduite que par des chefs très-expérimentés & très-connoisseurs.

Il ne leur suffit pas de connoître le cru des feuilles & leurs qualités distinctives, il y a très-fréquemment des différences marquées, pour le goût, pour la sève, pour la couleur, dans les feuilles de même cru & de même récolte.

Ce sont ces différences qu’ils doivent étudier pour les corriger par des mélanges bien entendus ; c’est le seul moyen d’entretenir l’égalité dans la fabrication, d’où dépendent principalement la réputation & l’accroissement des manufactures.

Lorsque les mélanges sont faits, on les mouille par couche très-légerement, avec la même sauce dont on a parlé dans l’article de la mouillade, & avec les mêmes précautions, c’est-à-dire uniquement pour leur donner de la souplesse, & non de l’humidité.

On les laisse ainsi fermenter quelque tems, jusqu’à ce qu’elles soient parfaitement ressuyées ; bientôt la masse prend le même ton de couleur, de goût, & de fraîcheur : alors on peut la livrer aux fileurs.

Attelier de fileurs. Il y a deux manieres de filer le tabac, qui sont également bonnes, & que l’on emploie indifféremment dans les manufactures ; l’une s’appelle filer à la françoise, & l’autre à la hollandoise ; cette derniere est la plus généralement en usage ; la manufacture de Paris, sur laquelle la Planche qui répond à cet attelier a été dessinée, est montée à la hollandoise.

Il n’y a aucune préférence à donner à l’une ou l’autre de ces manieres, pour la beauté, ni pour la qualité du tabac ; il n’y a de différence que dans la manœuvre, & elle est absolument imperceptible aux yeux. La facilité ou la difficulté de trouver des ouvriers de l’une ou l’autre espece, décident le choix.

L’opération de filer le tabac à la hollandoise, consiste à réunir les soupes ensembles, par le moyen d’un rouet, & de les couvrir d’une seconde robe, qui les enveloppe exactement.

La soupe est une portion de tabac filé à la main, de la longueur d’environ trois piés, & couverte d’une robe jusqu’à trois ou quatre pouces de chaque extrémité, ce sont les chevelures des bouts que le fileur doit réunir & hanter l’un sur l’autre.

L’habileté du fileur est de réunir ces soupes de maniere que l’endroit de la soudure soit absolument imperceptible ; ce qui constitue la beauté du filage est que le boudin soit toujours d’une grosseur bien égale, qu’il soit bien ferme, que la couverture en soit lisse & bien tendue, & par-tout d’une couleur brune & uniforme.

Le reste de la manœuvre est détaillé dans la Planche, de la maniere la plus exacte.

Les fileurs sont les ouvriers les plus essentiels d’une manufacture, & les plus difficiles à former ; il faut pour cette opération des hommes forts & ner-