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Donc il faut leur obéir en ce qui est contre la loi de Dieu.

Les syllogismes copulatifs ne sont que d’une sorte, qui est quand on prend une proposition copulative niante, dont ensuite on établit une partie pour ôter l’autre.

Un homme n’est pas tout ensemble serviteur de Dieu, & idolâtre de son argent :
Or l’avare est idolâtre de son argent :
Donc il n’est pas serviteur de Dieu.

Car cette sorte de syllogisme ne conclut point nécessairement, quand on ôte une partie pour mettre l’autre ; comme on peut voir par ce raisonnement tiré de la même proposition.

Un homme n’est pas tout ensemble serviteur de Dieu & idolâtre de l’argent :
Or les prodigues ne sont point idolâtres de l’argent ;
Donc ils sont serviteurs de Dieu.

Un syllogisme parfait ne peut avoir moins de trois propositions : mais cela n’est vrai que quand on conclut absolument, & non quand on ne le fait que conditionnellement ; parce qu’alors la seule proposition conditionnelle peut enfermer une des prémisses outre la conclusion, & même toutes les deux : prenons pour exemple ce syllogisme.

Tout corps qui réfléchit la lumiere de toutes parts est raboteux :
Or la lune réfléchit la lumiere de toutes par
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{{A|Donc la lune est un corps raboteux.

Pour conclure conditionnellement, je n’ai besoin que de deux propositions.

Tout corps qui réfléchit la lumiere de toutes parts est raboteux :
Donc si la lune réfléchit la lumiere de toutes parts, c’est un corps raboteux.

Je puis même renfermer ce raisonnement en une seule proposition ; ainsi,

Si tout corps qui réfléchit la lumiere ce toutes parts est raboteux, & que la lune la réflechisse ainsi ; il faut avouer que ce n’est point un corps poli, mais raboteux.

Toute la différence qu’il y a entre les syllogismes absolus, & ceux dont la condition est enfermée avec l’une des prémisses dans une proposition conditionnelle, est que les premiers ne peuvent être accordés tout entiers, que nous ne demeurions d’accord de ce qu’on nous vouloit persuader : au lieu que dans les derniers, on peut accorder tout, sans que celui qui les fait ait encore rien gagné ; parce qu’il lui reste à prouver, que la condition d’où dépend la conséquence qu’on lui accorde est véritable.

Et ainsi ces argumens ne sont proprement que des préparations à une conclusion absolue : mais ils sont aussi très-propres à cela ; & il faut avouer que ces manieres de raisonner sont très-ordinaires & très-naturelles ; & qu’elles ont cet avantage, qu’étant plus éloignées de l’air de l’école, elles en sont mieux reçues dans le monde.

Le plus grand usage de ces raisonnemens, est d’obliger celui à qui on veut persuader une chose, de reconnoître, 1°. la bonté d’une conséquence qu’il peut accorder, sans s’engager encore à rien, parce qu’on ne lui propose que continuellement, & séparée de la vérité matérielle, pour parler ainsi de ce qu’elle contient ; & par-là on le dispose à recevoir plus facilement la conclusion absolue qu’on en tire. Ainsi, une personne m’ayant avoué que nulle matiere ne

pense, j’en conclurai, donc si l’ame des bêtes pense, il faut qu’elle soit distincte de la matiere ; & comme il ne pourra pas me nier cette conclusion conditionnelle, j’en pourrai tirer l’une ou l’autre de ces deux conséquences absolues : or l’ame des bêtes pense : donc elle est distincte de la matiere. Ou bien au-contraire : or l’ame des bêtes n’est pas distincte de la matiere ; donc elle ne pense pas.

On voit par-là, qu’il faut quatre propositions, afin que ces sortes de raisonnemens soient achevés, & qu’ils établissent quelque chose absolument. Voyez la logique de Port-Royal.

Il se présente ici naturellement une question, savoir, si les regles des syllogismes, qu’on explique avec tant d’appareil dans les écoles, sont aussi nécessaires qu’on le dit ordinairement pour découvrir la vérité. L’opinion de leur inutilité est la plus grande de toutes les hérésies dans l’école ; hors d’elles point de salut. Quiconque erre dans les regles, est un grand homme ; mais quiconque découvre la vérité d’une maniere simple par la connexion des idées claires & distinctes que nous fournit l’entendement, n’est qu’un ignorant. Cependant, si nous examinons avec un peu d’attention les actions de notre esprit, nous découvrirons que nous raisonnons mieux & plus clairement, lorsque nous observons seulement la connexion des preuves, sans réduire nos pensées à une regle ou forme de syllogisme. Nous serions bien malheureux, si cela étoit autrement ; la raison seroit alors le partage de cinq ou six pédans, de qui elle ne fut jamais connue. Je ne crois pas qu’on s’amuse à chercher la vérité par le syllogisme dans le cabinet des princes, où les affaires qu’on y décide, sont d’assez grande conséquence pour qu’on doive y employer tous les moyens nécessaires pour raisonner & conclure le plus justement qu’il est possible : & si le syllogisme étoit le grand instrument de la raison, & le meilleur moyen pour mettre cette faculté en exercice, je ne doute pas que les princes n’eussent exigé que leurs conseillers d’état apprissent à former des syllogismes dans toutes les especes, leur royaume & leur personne même, dépendant des affaires dont on délibere dans leurs conseils. Je serois fort étonné qu’on voulût me prouver que le reverend pere professeur de philosophie du couvent des cordeliers, grand & subtil scotiste, fût aussi excellent ministre que le cardinal de Richelieu, ou Mazarin, qui, à coup sûr, ne formoient pas un syllogisme dans les regles aussi-bien que lui. Henri IV. a été un des plus grands princes qu’il y ait eu. Il avoit autant de prudence, de bon sens & de justesse d’esprit, qu’il avoit de valeur. Je ne pense pourtant pas qu’on le soupçonne jamais d’avoir su de sa vie ce que c’étoit qu’un syllogisme. Nous voyons tous les jours une quantité de gens, dont les raisonnemens sont nets, justes & précis, & qui n’ont pas la moindre connoissance des regles de la logique.

M. Loke dit avoir connu un homme, qui, malgré l’ignorance profonde où il étoit de toutes les regles de syllogisme, appercevoit d’abord la foiblesse & les faux raisonnemens d’un long discours artificieux & plausible, auquel d’autres gens exercés à toutes les finesses de la logique se sont laissés attraper.

« Ces subtilités, dit Seneque en parlant des argumens, ne servent point à éclaircir les difficultés, & ne peuvent fournir aucune véritable décision ; l’esprit s’en sert comme d’un jouet qui l’amuse, mais qui ne lui est d’aucune utilité ; & la bonne & véritable philosophie en reçoit un très-grand dommage. S’il est pardonnable de s’amuser quelquefois à de pareilles fadaises, c’est lorsqu’on a du tems à perdre ; cependant elles sont toujours pernicieuses, car on se laisse aisément séduire à leur clin-