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Les rois doivent être honorés.
Louis XV. est roi.
Donc Louis XV. doit être honoré.

Et que cette proposition, la loi divine commande, qui paroissoit la principale, n’est qu’une proposition incidente à cet argument, à laquelle elle sert de preuve.

Il faut observer qu’il y a beaucoup de syllogismes complexes, dont toutes les propositions paroissent négatives, & qui néanmoins sont très-bons ; parce qu’il y en a une qui n’est négative qu’en apparence, comme on le peut voir par cet exemple.

Ce qui n’a point de parties ne peut périr par la dissolution de ses parties :
Notre ame n’a point de parties :
Donc notre ame ne peut périr par la dissolution de ses parties.

Il y a des personnes qui apportent ces sortes de syllogismes pour montrer que l’on ne doit pas prétendre que cet axiome de logique, on ne conclut rien de pures négatives, soit vrai généralement & sans distinction. Mais ils n’ont pas pris garde que dans le sens, la mineure de ce syllogisme & autres semblables, est affirmative, parce que le moyen, qui est le sujet de la majeure, en est l’attribut. Or le sujet de la majeure comprend tous ces mots, ce qui n’a point de parties. Donc, pour que le moyen terme, qui est le prédicat dans la mineure, soit le même que dans le majeure ; il doit être composé des mêmes mots, ce qui n’a point de parties. Ce qui étant, il est manifeste que pour faire de la mineure une proposition, il faut y sous-entendre le verbe est, qui servira à unir le sujet & l’attribut, & qui rendra par conséquent cette proposition affirmative. Il importe peu qu’il y ait une négation dans une proposition complexe. Elle conservera toujours sa qualité d’affirmative, pourvu que la négation ne tombe pas sur le verbe de la proposition principale, mais sur la complexion, soit du sujet, soit du prédicat. Ainsi, le sens de la mineure en question est : notre ame est une chose qui n’a point de parties.

L’auteur de l’art de penser donne une regle plus générale, & par-là plus simple, pour juger tout-d’un-coup de la bonté ou du vice des syllogismes complexes, sans avoir besoin d’aucune réduction. Cette regle est qu’une des deux prémisses contienne la conclusion, & que l’autre prouve qu’elle y est contenue.

Comme la majeure est presque toujours plus générale, on la regarde d’ordinaire comme la proposition contenante, & la mineure comme applicative. Pour les syllogismes négatifs, comme il n’y a qu’une proposition négative, & que la négation n’est proprement enfermée que dans la négative, il semble qu’on doive toujours prendre la proposition négative pour la contenante, & l’affirmative seulement pour l’applicative.

Il n’est pas difficile de montrer que toutes les regles tendent à faire voir que la conclusion est contenue dans l’une des premieres propositions, & que l’autre le fait voir. Car toutes ces regles se réduisent à deux principales, qui sont le fondement des autres. L’une, que nul terme ne peut être plus général dans la conclusion que dans les prémisses. Or cela dépend visiblement de ce principe général, que les prémisses doivent contenir la conclusion. Ce qui ne pourroit pas être, si le même terme étant dans les prémisses & dans la conclusion, avoit moins d’étendue dans les prémisses que dans la conclusion. Car le moins général ne contient pas le plus général. L’autre regle générale est, que le moyen doit être pris au-moins une fois universellement. Ce qui dépend encore de ce principe, que la conclusion doit être contenue dans les prémisses. Car, supposons que nous ayons à prouver que

quelqu’ami de Dieu est pauvre, & que nous nous servions pour cela de cette proposition, quelque saint est pauvre ; je dis qu’on ne verra jamais évidemment que cette proposition contient la conclusion, que par une autre proposition, où le moyen qui est saint soit pris universellement. Car il est visible, qu’afin que cette proposition, quelque saint est pauvre, contienne la conclusion, quelque ami de Dieu est pauvre, il faut que tout saint soit ami de Dieu. Nulle des prémisses ne contiendroit la conclusion, si le moyen étant pris particulierement dans l’une des propositions, il n’étoit pris universellement dans l’autre. Lisez le onzieme chapitre de la troisieme partie de l’art de penser ; & vous y verrez cette regle appliquée à plusieurs syllogismes complexes.

Les syllogismes conjonctifs ne sont pas tous ceux dont les propositions sont conjonctives ou composées ; mais ceux dont la majeure est tellement composée qu’elle enserme toute la conclusion. On peut les réduire à trois genres, les conditionnels, les disjonctifs & les copulatifs.

Les syllogismes conditionnels sont ceux où la majeure est une proposition conditionnelle, qui contient toutes les conclusions, comme

S’il y a un Dieu, il le faut aimer :
Or il y a un Dieu :
Donc il le faut aimer.

La majeure a deux parties ; la premiere s’appelle l’antécédent ; la seconde le conséquent. Ce syllogisme peut être de deux sortes ; parce que de la même majeure on peut former deux conclusions.

La premiere est, quand ayant affirmé le conséquent dans la majeure, on affirme l’antécédent dans la mineure selon cette regle, en posant l’antécédent, on pose le conséquent.

Si la matiere ne peut se mouvoir d’elle-même, il faut que le premier mouvement lui ait été imprimé par Dieu.
Or la matiere ne peut se mouvoir d’elle-même :
Il faut donc que le premier mouvement lui ait été imprimé par Dieu.

La seconde sorte est, quand on ôte le conséquent pour ôter l’antécédent, selon cette regle, ôtant le conséquent, on ôte l’antécédent.

Si quelqu’un des élus périt, Dieu se trompe :
Mais Dieu ne se trompe point :
Donc aucun des élus ne périt.

Les syllogismes disjonctifs sont ceux où la majeure est disjonctive, c’est-à-dire, partagée en deux membres ou plus.

La conclusion est juste quand on observe cette regle ; en niant tous les membres, excepté un seul, ce dernier est affirmé ; ou en affirmant un seul, tous les autres sont niés. Exemple.

Nous sommes au printems, ou en été, ou en automne, ou en hiver :
Mais nous ne sommes ni au printems, ni en automne, ni en été.
Donc nous sommes en hiver.

Cet argument est fautif, quand la division dans la majeure n’est pas complette : car s’il y manquoit une seule partie, la conclusion ne seroit pas juste, comme on le peut voir dans ce syllogisme.

Il faut obéir aux princes en ce qu’ils commandent contre la loi de Dieu, ou se révolter contre eux :
Or il ne faut pas leur obéir en ce qui est contre la loi de Dieu :
Donc il faut se révolter contre eux.
ou Or il ne faut pas se révolter contre eux :