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2°. lorsque la conclusion est négative, il faut nécessairement que le grand terme soit pris généralement dans la majeure ; car comme il est l’attribut de la conclusion, & que tout attribut de conclusion négative est toujours universel, s’il n’avoit pas la même étendue dans la majeure, il s’ensuivroit qu’il seroit pris plus universellement dans la conclusion que dans les prémisses : ce qui est contraire à la troisieme regle ; 3°. la majeure d’un argument dont la conclusion est négative, ne peut jamais être une particuliere affirmative ; car le sujet & l’attribut d’une proposition affirmative sont tous deux pris particulierement, comme nous l’avons vu, & ainsi le grand terme n’y seroit pris que particulierement ; 4°. le petit terme est toujours dans la conclusion, comme dans les prémisses ; la raison en est bien claire ; car quand le petit terme de la conclusion est universel dans la mineure, tout ce qui en est prouvé, ne doit pas plutôt être rapporté à une de ses parties qu’à l’autre ; d’où il s’ensuit qu’étant le sujet de la conclusion auquel se rapporte l’affirmation ou la négation, il sera aussi universel dans la conclusion, & communiquera à celle-ci son universalité.

4°. On ne peut rien conclure de deux propositions négatives. Le moyen est séparé dans les prémisses, du grand & du petit terme ; or de ce que deux choses sont séparées de la même chose, il ne s’ensuit ni qu’elles soient, ni qu’elles ne soient pas la même chose. De ce que les Espagnols ne sont pas turcs, & de ce que les Turcs ne sont pas chrétiens, il ne s’ensuit pas que les Espagnols ne soient pas chrétiens, non plus que les Chinois le soient, quoiqu’ils ne soient pas plus turcs que les Espagnols.

5°. On ne sauroit déduire une conclusion négative de deux propositions affirmatives. Comment deux termes pourroient-ils être séparés, parce qu’ils sont unis l’un & l’autre avec un même moyen ?

6°. La conclusion suit toujours la plus foible partie. La partie la plus foible, dans la qualité est la négation, & dans la quantité, c’est la particularité ; de sorte que le sens de cette regle est, que s’il y a une des deux propositions qui soit négative, la conclusion doit l’être aussi, comme elle doit être particuliere, si une des deux prémisses l’est. Le moyen, s’il est séparé d’un des deux termes, ne sauroit jamais démontrer que la conclusion est affirmative, c’est-à-dire, que les termes de cette conclusion sont joints ensemble ; c’est pourquoi une pareille conclusion ne sauroit subsister avec une des prémisses qui seroit négative.

Nous prouvons aussi que la conclusion est particuliere, si l’une des prémisses est telle. Les prémisses sont toutes deux affirmatives, ou l’une d’elles est négative ; dans le premier cas, comme une des prémisses est particuliere, nous aurons au-moins trois termes particuliers parmi les quatre termes des prémisses, savoir le sujet & l’attribut de la proposition particuliere, & le prédicat de l’universelle, & il n’y aura au plus qu’un de ces termes, savoir le sujet de l’universelle, qui sera universel ; mais le moyen est pris au-moins une fois universellement : donc les deux termes de la conclusion seront pris particulierement ; ce qui la rend elle-même particuliere.

Dans le second cas, à cause d’une proposition particuliere, il n’y a dans les prémisses que deux termes pris universellement, savoir le sujet de la proposition universelle & l’attribut de la négative ; mais le moyen est pris une fois universellement : donc il n’y a qu’un seul terme universel dans la conclusion, laquelle est négative, & par cela même particuliere, comme nous l’avons démontré ci dessus.

7°. De deux propositions particulieres il ne s’ensuit rien ; si elles sont l’une & l’autre affirmatives, tous les termes seront particuliers, & le moyen ne

sera pas pris universellement une seule fois : donc la conclusion ne sauroit être juste. Si les deux prémisses sont négatives, on n’en peut aussi rien conclure ; mais si l’une est négative & l’autre affirmative, elles n’ont qu’un seul terme universel ; mais ce terme est le terme moyen, & les deux termes de la conclusion sont particuliers : ce qui ne sauroit être, à cause que la conclusion est négative.

Les syllogismes sont ou simples ou conjonctifs.

Les simples sont ceux où le moyen n’est joint à la fois qu’à un des termes de la conclusion ; les conjonctifs sont ceux où il est joint à tous les deux.

Les syllogismes simples sont encore de deux sortes : les uns, où chaque terme est joint tout entier avec le moyen, savoir avec l’attribut tout entier dans la majeure, & avec le sujet tout entier dans la mineure : les autres où la conclusion étant complexe, c’est-à-dire composée de termes complexes, on ne prend qu’une partie du sujet ou une partie de l’attribut pour joindre avec le moyen dans l’une des propositions, & on prend tout le reste qui n’est plus qu’un seul terme, pour joindre avec le moyen dans l’autre proposition, comme dans cet argument :

La loi divine oblige d’honorer les rois :
Louis XV. est roi :
Donc la loi divine oblige d’honorer Louis XV.

Nous appellerons les premiers des syllogismes incomplexes, & les autres des syllogismes complexes, non que tous ceux où il y a des propositions complexes, soient de ce dernier genre, mais parce qu’il n’y en a point de ce dernier genre, où il n’y ait des propositions complexes.

Il n’y a point de difficulté sur les syllogismes incomplexes ; pour en connoitre la bonté ou le défaut, il n’est question que de les plier aux regles générales que nous venons de rapporter. Mais il n’en est pas tout-à-fait de même des syllogismes complexes ; ce qui les rend obscurs & embarrassans, c’est que les termes de la conclusion qui sont complexes, ne sont pas pris tout entiers dans chacune des prémisses, pour être joints avec le moyen, mais seulement une partie de l’un des termes, comme en cet exemple :

Le soleil est une chose insensible :
Les Perses adoroient le soleil :
Donc les Perses adoroient une chose insensible.

où l’on voit que la conclusion ayant pour attribut, adoroient une chose insensible, on n’en met qu’une partie dans la majeure, savoir une chose insensible, & adoroient dans la mineure.

On peut réduire ces sortes de syllogismes aux syllogismes incomplexes, pour en juger par les mêmes regles. Prenons pour exemple ce syllogisme que nous avons déja cité.

La loi divine commande d’honorer les rois :
Louis XV. est roi :
Donc la loi divine commande d’honorer Louis XV.

Le terme de roi, qui est le moyen dans ce syllogisme, n’est point attribut dans cette proposition : la loi divine commande d’honorer les rois, quoiqu’il soit joint à l’attribut commande, ce qui est bien différent ; car ce qui est véritablement attribut, est affirmé & convient : or roi n’est point affirmé, & ne convient point à la loi de Dieu. Si l’on demande ce qu’il est donc, il est facile de répondre, qu’il est sujet d’une autre proposition envelopée dans celle-là. Car quand je dis que la loi divine commande d’honorer les rois, comme j’attribue à la loi de commander, j’attribue aussi l’honneur aux rois. Car c’est comme si je disois, la loi divine commande que les rois soient honorés. Ainsi ces propositions étant ainsi dévelopées, il est clair que tout l’argument consiste dans ces propositions.