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méthode, on épelle â-cre & E-glé : on pense donc du moins qu’il y a des cas où deux consonnes placées entre deux voyelles, la premiere a une liaison plus étroite avec la seconde, qu’avec la voyelle dont elle est précédée. 2°. La même méthode enseigne assurément que les lettres st appartiennent à une même syllabe dans style, statue : pourquoi α en seroit-il autrement dans vaste, poste, mystere ? [ On peut tirer la même conséquence de pseaume, pour rapsodie ; de spécieux, pour aspect, respect, &c. de strophe, pour astronomie ; de Ptolomée, pour aptitude, optatif, &c. C’est le système même de P. R. dont il va être parlé. ] 3°. Voici quelque chose de plus fort. Qu’on examine la maniere dont s’épelle le mot axe, on conviendra que l’x tout entier est de la seconde syllabe, quoiqu’il tienne lieu des deux consonnes c, s, & qu’il représente conséquemment deux articulations. Or si ces deux articulations font partie d’une même syllabe dans le mot axe, qu’on pourroit écrire ac se, elles ne sont pas moins unies dans accès, qu’on pourroit écrire acsès : & dès qu’on avoue que l’a seul fait une syllabe dans accès, ne doit-on pas reconnoître qu’il en est de même dans armé & dans tous les cas semblables ?

» Dom Lancelot, dans sa méthode pour apprendre la langue latine, connue sous le nom de Port-Royal, (traité des lettres, ch. xiv. §. iij.) établit, sur la composition des syllabes, un système fort singulier, qui, tout différent qu’il est du mien, peut néanmoins contribuer à le faire valoir. Les consonnes, dit-il, qui ne se peuvent joindre ensemble au commencement d’un mot, ne s’y joignent pas au milieu ; mais les consonnes qui se peuvent joindre ensemble au commencement d’un mot, se doivent aussi joindre au milieu ; & Ramus prétend que de faire autrement, c’est commettre un barbarisme. Il est bien sûr que si la jonction de telle & telle consonne est réellement impossible dans une position, elle ne l’est pas moins dans une autre. M. D. Lancelot fait dépendre la possibilité de cette jonction d’un seul point de fait, qui est de savoir s’il en existe des exemples à la tête de quelques mots latins. Ainsi, suivant cet auteur, pastor doit s’épeller pa-stor, parce qu’il y a des mots latins qui commencent par st ; tels que stare, stimulus : au contraire arduus doit s’épeller ar-duus, parce qu’il n’y aucun mot latin qui commence par rd. La regle seroit embarrassante, puisqu’on ne pourroit la pratiquer sûrement, à moins que de connoître & d’avoir présens à l’esprit tous les mots de la langue qu’on voudroit épeller. Mais d’ailleurs s’il n’y a point eu chez les Latins de mot commençant par rd, est-ce donc une preuve qu’il ne pût y en avoir ? Un mot construit de la sorte seroit-il plus étrange que bdellium, Tmolus, Ctesiphon, Ptolomæus ? »

A ces excellentes remarques de M. Harduin, j’en ajouterai une, dont il me présente lui-même le germe. C’est que pour établir la possibilité de joindre ensemble plusieurs consonnes dans une même syllabe, il ne suffiroit pas de consulter les usages particuliers d’une seule langue, il faudroit consulter tous les usages de toutes les langues anciennes & modernes ; & cela même seroit encore insuffisant pour établir une conclusion universelle, qui ne peut jamais être fondée solidement que sur les principes naturels. Or il n’y a que le méchanisme de la parole qui puisse nous faire connoître d’une maniere sûre les principes de sociabilité ou d’incompatibilité des articulations, & c’est conséquemment le seul moyen qui puisse les établir. Voici, je crois, ce qui en est.

1°. Les quatre consonnes constantes m, n, l, r, peuvent précéder ou suivre toute consonne variable, foible ou forte, v, f, b, p, d, t, g, q, z, s, j, ch.

2°. Ces quatre consonnes constantes peuvent également s’associer entre elles, mn, nm, ml, lm, mr, rm, nl, ln, nr, rn, lr, rl.

3°. Toutes les consonnes variables foibles peuvent se joindre ensemble, & toutes les fortes sont également sociables entre elles.

Ces trois regles de la sociabilité des consonnes sont fondées principalement sur la compatibilité naturelle des mouvemens organiques, qui ont à se succéder pour produire les articulations qu’elles représentent : mais il y a peut-être peu de ces combinaisons que notre maniere de prononcer l’e muet écrit ne puisse servir à justifier. Par exemple, dg se fait entendre distinctement dans notre maniere de prononcer rapidement, en cas de guerre, comme s’il y avoit en-ca-dguer-re ; nous marquons jv dans les cheveux, que nous prononçons comme s’il y avoit léjveu, &c. c’est ici le cas où l’oreille doit dissiper les préjugés qui peuvent entrer par les yeux, & éclairer l’esprit sur les véritables procédés de la nature.

4°. Les consonnes variables foibles sont incompatibles avec les fortes. Ceci doit s’entendre de la prononciation, & non pas de l’écriture qui devroit toujours être à la vérité, mais qui n’est pas toujours une image fidele de la prononciation. Ainsi nous écrivons véritablement obtus, où l’on voit de suite les consonnes b, t, dont la premiere est foible & la seconde forte ; mais, comme on l’a remarqué ci-dessus, nous prononçons optus, en fortifiant la premiere à cause de la seconde. Cette pratique est commune à toutes les langues, parce que c’est une suite nécessaire du méchanisme de la parole.

Il paroît donc démontré que l’on se trompe en effet dans l’épellation ordinaire, lorsque de deux consonnes placées entre deux voyelles on rapporte la premiere à la voyelle précédente, & la seconde à la voyelle suivante. Si, pour se conformer à la formation usuelle des syllabes, on veut ne point imaginer de schéva entre les deux consonnes, & regarder les deux articulations comme deux causes qui concourent à l’explosion du même son ; il faut les rapporter toutes deux à la voyelle suivante, par la raison qu’on a déja alléguée pour une seule articulation, qu’il n’est plus tems de modifier l’explosion d’un son quand il est déja échappé.

Quant à ce qui concerne les consonnes finales, qui ne sont suivies dans l’écriture d’aucune voyelle, ni dans la prononciation d’aucun autre son que de celui de l’e muet presque insensible, l’usage de les rapporter à la voyelle précédente est absolument en contradiction avec la nature des choses, & il semble que les Chinois en ayent apperçu & évité de propos délibéré l’inconvénient ; dans leur langue, tous les mots sont mono-syllabes, ils commencent tous par une consonne, jamais par une voyelle, & ne finissent jamais par une consonne. Ils parlent d’après la nature, & l’art ne l’a ni enrichie, ni défigurée. Osons les imiter, du-moins dans notre maniere d’épeller ; & de même qu’il est prouvé qu’il faut épeller charme par cha-rme, accès par a-ccès, circonspection par circon-spe-cti-on, séparons de même la consonne finale de la voyelle antécédente, & prononçons à la suite le schéva presque insensible pour rendre sensible la consonne elle-même : ainsi acteur s’épellera a-cteu-r, Jacob sera Ja-co-b, cheval sera che-va-l, &c.

On sent bien que cette maniere d’épeller doit avoir beaucoup plus de vérité que la maniere ordinaire, qu’elle est plus simple, & par conséquent plus facile pour les enfans à qui on apprend à lire. Il n’y auroit à craindre pour eux que le danger de rendre trop sensible le schéva des consonnes, qui ne sont suivies d’aucune voyelle écrite ; mais outre la précaution de ne pas imprimer le schéva propre à la consonne