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places maritimes & des ports fameux, & qui avec quatre autres places du comté de Kent, font une espece de corps à part, & envoient ensemble seize députés au parlement, qu’on appelle par honneur les barons des cinq ports. Les quatre places du comté de Sussex, sont Hastings, Winchelsey, la Rye & Séaford. Les quatre autres de la province de Kent, sont Douvre, Romney, Sandwich & Hyeth.

Le terroir de cette province abonde en tout ce qui est nécessaire à la vie. La mer fournit quantité de poisson. Les Dunes rapportent du blé abondamment. Le milieu du pays est tapisse de champs, de prés & de riches pâturages. La partie la plus avancée au nord est presque toute couverte de bois, qui procurent l’avantage de pouvoir travailler le fer, dont on trouve des mines dans ce comté.

Enfin cette province est féconde en hommes, qui ont rendu leurs noms célébres dans la poésie, dans les mathématiques & dans les autres sciences. Je me hâte d’en citer quelques-uns de la liste de M. Fuller, The Worthies, in Sussex.

Dorset (Thomas Sackville, comte de) homme d’une naissance illustre, grand trésorier d’Angleterre, sous la reine Elisabeth, & pour dire quelque chose de plus, beau génie, & excellent poëte. Il naquit dans le comté de Sussex en 1556, fit d’excellentes études à Oxford, à Cambridge & au temple.

Après ses études, il voyagea en France & en Italie où il se perfectionna dans les langues, l’histoire & la politique. A son retour en Angleterre, il prit possession des grands biens que son pere mort en 1566 lui avoit laissé, dont il dissipa en peu de tems la meilleure partie par la splendeur avec laquelle il vivoit, ou plutôt par ses magnifiques prodigalités. Il avoit à son service les plus habiles musiciens de l’Europe, & donnoit souvent des festins à la reine & aux ministres étrangers.

Distingué par sa naissance & par ses qualités, tant naturelles qu’acquises, sa maison fut toujours sur un pié honorable, & consista pendant vingt ans en plus de deux cens vingt personnes, sans compter les ouvriers & autres gens à gage ; en même tems il recevoit, par sa noble façon de penser, un tiers de moins de relief que les autres seigneurs ; charitable envers les pauvres dans les années de disette, il distribuoit du blé gratuitement à plusieurs paroisses du comté de Sussex, & en tiroit aussi de ses greniers qu’il faisoit vendre au marché fort au-dessous du prix courant.

Il fut créé baron de Buckhurst en 1567, & bientôt après envoyé en ambassade vers Charles IX. roi de France, pour des affaires importantes qui regardoient les deux royaumes. En 1589, il fut fait chevalier de l’ordre de la Jarretiere ; & en 1591, chancelier de l’université d’Oxford.

En 1598, la reine Elisabeth voyant que ses exhortations & les conseils de l’âge avoient modéré le cours des profusions dont une certaine grandeur d’ame héréditaire à sa maison avoit été la principale cause, le nomma grand trésorier d’Angleterre. Alors cette princesse en agit en maîtresse judicieuse & indulgente, elle lui tendit la main pour qu’il pût réparer sa fortune, prouvant par-là qu’elle le regardoit comme un enfant qui avoit part à ses bonnes graces. Il mourut subitement d’apoplexie étant au conseil le 19 d’Avril 1608, âgé de 62 ans. Le lord Sackville descend de lui en ligne directe.

On a loué beaucoup l’éloquence du comte de Dorset, mais encore davantage l’excellence de sa plume. On dit que ses secrétaires ne faisoient pas grande chose pour lui, lorsqu’il s’agissoit de dresser des pieces, parce qu’il étoit fort délicat pour le style & le choix des expressions. Il avoit une maniere peu ordinaire de dépêcher ses affaires. Son secrétaire de

confiance, qui l’accompagnoit, prenoit par écrit les noms de ceux qui poursuivoient quelque demande, & y joignoit la date du tems où ils s’adressoient au grand trésorier pour la premiere fois, ensorte que le nouveau-venu ne pouvoit passer devant un autre plus ancien en date, à-moins que son affaire particuliere ne pût souffrir aucun délai, ou qu’il ne fût question d’affaires d’état pressantes.

Entre ses ouvrages poétiques, on doit mettre 1°. son Ferrex & Porrex, fils de Gorboduc, roi de Bretagne, tragédie réimprimée à Londres en 1736, in-8°. 2°. le miroir des magistrats, où l’on prouve par des exemples avec quelle séverité le vice est puni. A la suite de l’épître au lecteur vient l’introduction en vers de mylord Sackville. Cette introduction est une descente dans les enfers, à l’imitation du Dante. Comme c’est un morceau très-rare & entierement inconnu en France, nous en rapporterons quelques traits qui feront connoître par le pinceau du lord Sackeville les élémens de la poésie pittoresque en Angleterre, sous le regne d’Elisabeth. L’auteur commence par peindre la Tristesse, dont la demeure tenoit toute l’enceinte du ténare.

« Son corps semblable à une tige brûlée par l’ardeur du soleil étoit entierement flétri ; son visage étoit défait & vieilli ; elle ne trouvoit de consolation que dans les gémissemens. Telle qu’une glace inondée de gouttes d’eau, ainsi ses joues ruisseloient de larmes. Ses yeux gros de pleurs auroient excité la compassion des cœurs les plus durs. Elle joignoit souvent ses débiles mains, en jettant des cris douloureux qui se perdoient dans les airs. Les plaintes qu’elle faisoit en conduisant l’auteur aux enfers étoient accompagnées de tant de fréquens soupirs, que jamais objet si pitoyable ne s’est offert à la vue des mortels.

« A l’entrée de l’affreux séjour de Pluton étoit assis le sombre Remords, se maudissant lui-même, & ne cessant de pousser d’affreux sanglots. Il étoit dévoré de soucis rongeans, & se consumoit en vain de peines & de regrets. Ses yeux inquiets rouloient de côté & d’autre, comme si les furies le poursuivoient de toutes parts. Son ame étoit perpétuellement désolée de l’accablant souvenir des crimes odieux qu’il avoit commis. Il lançoit ses regards vers le ciel, & la terreur étoit gravée sur son visage. Il désiroit toujours la fin de ses tourmens, mais tous ses desirs étoient infructueux.

« Après du Remords étoit la Frayeur have, pâle & tremblante, courant à l’avanture d’un pas chancelant, la parole embarrassée & le regard tout effaré. Ses cheveux hérissés faisoient relever sa coëffure. Epouvantée à la vue de son ombre même, on s’appercevoit qu’elle craignoit mille dangers imaginaires.

« La cruelle Vengeance grinçoit les dents de colere, méditant les moyens d’assouvir sa rage, & de faire périr son ennemi avant que de prendre aucun repos.

« La Misere se faisoit aussi remarquer par son visage décharné, par son corps, sur lequel il n’y avoit que quelques lambeaux pendans, & par ses bras consumés jusqu’aux os. Elle tenoit un bâton à la main, & portoit la besace sur l’épaule ; c’étoit sa seule couverture dans les rigueurs de l’hiver. Elle se nourrissoit de fruits sauvages, amers ou pourris. L’eau des ruisseaux fangeux lui servoit de boisson, le creux de la main de coupe, & la terre froide de lit.

« Le Souci, qu’on reconnoissoit distinctement par ses agitations, faisoit sur l’ame un autre genre de pitié. Il avoit les doigts noués & chargés de rides. A peine l’aurore a-t-elle entr’ouvert nos yeux par les premiers rayons de la lumiere, qu’il est debout,