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tire de la sueur sont toujours assez certains, le mal ou le bien qu’ils annoncent étant le plus souvent l’effet de cette excrétion diversement modifiée ; c’est toujours dans les écrits d’Hippocrate qu’il faut puiser les observations, les faits sur lesquels ils sont établis, & les vérités ou les axiomes qui en résultent. Avant lui on auroit inutilement cherché ces signes, & on ne les trouvera dans aucun des auteurs qui l’ont suivi, copié ou commenté, exposés avec plus d’exactitude & de précision. Prosper Alpin, dont les ouvrages seront toujours précieux aux vrais observateurs, a cependant trop raisonné la partie séméiotique qu’il a tirée d’Hippocrate. C’est un défaut qu’il doit sans doute à Galien dans les volumineux écrits duquel il me paroît avoir étudié la doctrine du divin vieillard plutôt que dans les ouvrages-mêmes de cet illustre législateur de la Médecine ; laissant donc à part les aitiologies assez peu satisfaisantes qu’il propose d’après Galien, ne prenons que les faits, & tâchons de les présenter d’une maniere & dans un ordre convenables.

On peut, dans les sueurs, considérer la quantité, la qualité, les parties par où elle se fait, le tems de la maladie auquel elle a lieu, & l’état du malade qui l’éprouve. La quantité de la sueur peut être trop grande ou trop petite ; la qualité varie principalement par rapport à l’odeur & à la chaleur. Quelques auteurs ajoutent fort inutilement par rapport au goût ; car qui est-ce qui goûte la sueur de ses malades, & quel signe lumineux a produit l’attention à cette qualité ? Les parties par où se fait la sueur peuvent être plus ou moins étendues ; de-là naît la division importante des sueurs en générales & particulieres. Le tems de la maladie les fait distinguer en critiques & symptomatiques. L’état du malade favorise la même distinction, & établit celle des sueurs bonnes, mauvaises & mortelles : ce sont-là les principales sources d’où découlent tous les signes qui se tirent de la sueur. Dans l’exposition que nous allons en faire, nous prendrons la méthode suivante ; détaillant d’abord les signes heureux & critiques ; 2°. ceux qui font craindre quelque symptome fâcheux déterminé ; 3°. ceux qui sont en général mauvais, ou mortels.

I. On doit en général regarder comme avantageuses les sueurs qui paroissent, après la coction, un des jours critiques, qui emportent entierement la fievre, & celles qui découlent de tout le corps, sont chaudes, forment de petites gouttes, & diminuent la violence des accidens. Hippocr. pronost. lib. I. n°. 18. Les jours auxquels les sueurs survenues sont bonnes, & même critiques, sont le 3, le 5, le 7, le 9, le 11, le 14, le 17, le 21, le 27, le 31 & le 34. Aphor. 36. lib. IV. Hippocrate n’a point fait à dessein mention du quatrieme jour, quoiqu’il passe ordinairement pour un des critiques, parce que, remarque Galien, les fievres très-aiguës ayant leur redoublement les jours impairs, la crise ne peut se faire que dans ce même tems ; & Prosper Alpin ajoute qu’il n’a presque jamais observé ce jour-là des sueurs favorables. Les sueurs critiques sont ordinairement précédées de frissons ; les fievres intermittentes en offrent des exemples très-fréquens, où l’on voit encore que la quantité des sueurs est proportionnée à la durée & à l’intensité du frisson ; & quoiqu’elles soient inutiles à critiquer pour le fond de la maladie, pour la cause des accès, elles n’en sont pas moins critiques pour chaque accès particulier dont elles sont la terminaison ordinaire. Cette assertion se trouve aussi confirmée par les histoires de plusieurs malades qu’Hippocrate a rapportées dans ses épidémies, où il dit que les malades frissonnoient, avoient ensuite la fievre très-aiguë, ardente, πῦρ, & suoient enfin très-abondamment : ainsi la femme qui demeuroit sur le rivage, eut un léger frisson le onzieme jour, qui fut suivi d’une fie-

vre très-vive, la sueur survint, & la fievre cessa.

Charion eut de même un petit frisson, la fievre & des sueurs entierement critiques. C’est avec raison que Galien assure que les sueurs qui succedent aux frissons sont très-heureuses si elles paroissent avec des signes de coction. Il n’est pas moins avantageux que les sueurs soient chaudes & universelles ; tous les malades qui en ont été soulagés ou guéris, dont il est parlé dans les épidémies, les ont éprouvées telles ; Cléomastide, Meton, Mélidie, Anaxion, la femme qui demeuroit sur le rivage, le malade du jardin de Déalces, &c. Périclès eut sur le midi une sueur abondante & chaude, & qui découla de tout le corps, la fievre cessa & ne revint plus. Nicodeme éprouva la même chose ; la vierge de Larisse frissonna, & bientôt après eut des sueurs copieuses, chaudes & universelles, & fut parfaitement guérie, epidem. lib. III. sect. 21. oegrot. 8. 10. 11 & 12. Les sueurs venant peu à-peu sont d’un grand secours dans les convulsions accompagnées d’extinction de voix durable, coac. prænot. n°. 13. cap. xiv. Les personnes grêles, maigres, qui crachent beaucoup, se trouvent très-bien de suer en dormant. Plusieurs malades sont aussi soulagés par les sueurs, ibid. n°. 12. cap. x. Les douleurs aux hypocondres avec extinction de voix dans le cours des maladies aiguës se terminent heureusement par les sueurs ; & si cette crise n’a pas lieu, ces douleurs sont d’un mauvais caractere & très-dangereuses, prorhet. lib. I. sect. 11. n°. 57. Les malades qui sont au commencement agites, ont des insomnies, rendent par le nez du sang goutte-à-goutte, qui soulagés le sixieme jour, retombent pendant la nuit plus mal qu’auparavant, ont le lendemain des légeres sueurs, & tombent ensuite dans l’assoupissement & le délire ; ces malades, dis-je, ont à la fin une hémorragie du nez très-abondante, ibid. sect. 3. n°. 40. Les délires avec refroidissement occasionnés par la crainte, sont terminés par des fievres accompagnées de sueurs & des sommeils qui interceptent la voix, coac. præn. cap. xxij. n°. 8.

On a lieu d’attendre des sueurs critiques ou avantageuses dans les maladies aiguës, lorsque les signes généraux de coction ont paru, & qu’on observe ceux d’une crise prochaine, lorsque la peau est lâche & molle & qu’elle devient morte ; que la chaleur du corps est humide ; que le visage est très-rouge ; que le frisson survient ; que le ventre est resserré, les urines peu abondantes ; que la saison est convenable, ce qui arrive sur-tout lorsque l’été est humide & semblable au printems, aphor. 6. lib. III. Lorsqu’il y a eu des délires, & enfin ce qui est le signe le plus sûr & le plus constant, lorsque le pouls devient mol & ondulant, ce caractere du pouls, avant-coureur de la sueur critique, décrit par Galien, a été copié machinalement par tous les auteurs qui l’ont suivi, & aucun jusqu’à Solano n’a imaginé que les autres évacuations critiques devoient naturellement être précédées & annoncées par un pouls particulier. Ce médecin espagnol a fort bien vu que le dévoiement & l’hémorragie du nez avoient leur pouls propre ; mais il n’a vu que cela. Cette partie a reçu beaucoup d’accroissement & de perfection par les observations neuves & intéressantes de M. Bordeu. Voyez l’art. Pouls. Solano a dit que le pouls de la sueur, qu’il appelle inciduus, étoit celui « dans lequel deux pulsations, trois ou quatre tout-au-plus, s’élevent non-seulement au-dessus des autres, mais aussi par degrés chacune au-dessus de la précédente, la seconde au-dessus de la premiere, & ainsi de suite jusqu’à la quatrieme inclusivement ; car Solano n’a jamais observé plus de quatre pulsations consécutives de cette sorte ». Galien avoit déja remarqué cette élévation graduée des pulsations. M. Bordeu prétend que ce pouls ondulant n’est pas simple, & qu’il tient toujours un peu du pectoral,