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La disposition qu’ont les cannes à sucre de se gâter en vingt-quatre heures, si on néglige de les employer lorsqu’elles ont été coupées, & l’extrême rapidité avec laquelle elles passent de la fermentation spiritueuse à la fermentation acide, sont des sujets d’observation que la longueur de cet article ne permet pas de détailler : on en parlera convenablement lorsqu’il sera traité des esprits ardens tirés du sucre par le moyen de la distillation. Voyez Rhum ou Taffia. Article de M. le Romain.

Raffinage du sucre dans nos raffineries. Voici à-peu-près comme je le conçois. Il y a dans le suc des cannes, comme dans plusieurs autres sucs de plantes, une partie qui crystallise, & une qui ne crystallise pas : (je dirai en passant, que cette partie du corps muqueux qui crystallise, pourroit bien être au corps muqueux en général, ce que sont aux résines les fleurs de benjoin & le camphre, & aux huiles essentielles, ce corps d’une nature singuliere, observé par Boyle, qui en trouble la transparence, lorsqu’elles sont gardées long-tems). Est-ce à l’huile surabondante, à l’acide, à la terre, qu’il faut attribuer la difficulté qu’a une partie du corps muqueux à crystalliser ? Je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, le sucre que nous demandons pour nos usages, le sucre proprement dit, est cette partie du suc des plantes qui crystallise, mise à part & dégagée du mélange de la mélasse ou sirop qui ne crystallise pas ; l’objet du travail des raffineries, est donc de séparer ces deux parties l’une de l’autre, & ce travail est tout entier renfermé dans deux points : 1°. faire crystalliser la plus grande quantité de sucre qu’il est possible : 2°. emporter le plus exactement qu’il est possible toute la mélasse. On atteint le premier point en faisant évaporer l’eau surabondante, par la cuite ; & le second, en lavant le sucre déja crystallisé, avec de l’eau qui emporte toute la mélasse, parce que cette mélasse est incomparablement plus soluble que le sucre crystallisé. Il ne faut que suivre le détail de toutes les opérations du raffineur, pour voir qu’elles se réduisent toutes à remplir ces deux points de vue.

1°. Le suc après avoir été exprimé des cannes, est mis dans des chaudieres où il s’évapore au-delà du point de la crystallisation, c’est-à-dire que l’eau y reste en trop petite quantité, pour qu’il soit tenu en dissolution à froid, & qu’ainsi il se crystallise par le seul refroidissement, sans évaporation ultérieure ; chaque petit crystal est ainsi isolé, sans liaison avec les autres crystaux, environné de toutes parts d’un sirop gluant, ensorte que le tout reste friable & gras au toucher. Tel est l’état du sucre brut ou moscouade.

2°. Comme les petits crystaux, dans la moscouade, sont très-peu liés les uns avec les autres, & que la quantité de la melasse est très-considérable, si l’on entreprenoit de faire passer de l’eau à-travers la masse totale pour emporter la melasse, la plus grande partie du sucre seroit aussi dissoute & emportée avec la melasse. Une nouvelle cuite donne plus de corps & de masse aux crystaux, & diminue la proportion de la mélasse dans le tout : on redissout le sucre, & on le remet à évaporer dans des chaudieres : on se sert pour le dissoudre d’eau de chaux, & on clarifie avec le blanc d’œuf, ou avec le sang de bœuf. C’est un fait qu’après cette opération, la proportion du sucre & de la melasse est changée ; mais quelle en est la raison ? l’eau de chaux fournit-elle à une portion de la mélasse la terre qui lui manquoit pour crystalliser ? absorbe-t-elle une partie de la matiere grasse, surabondante, ou ne sert-elle qu’à absorber l’acide qui se développe par la chaleur du feu ? je penserois volontiers que le sucre est tout formé dans le suc de la plante, & qu’il se convertit plutôt par la suite en mélasse, que la melasse en sucre ; la melasse étant

toujours soluble & fluide, dissout toujours un peu de sucre qui y est plongé, & lui communique un leger commencement de fermentation qui en décompose une partie ; c’est je crois à cette cause qu’il faut attribuer le déchet ou coulage que souffre le sucre brut qu’on apporte des îles. Le sucre même est sujet à quelque déchet, si on le garde long-tems dans un lieu exposé à l’humidité ; il s’y excite un léger mouvement de décomposition, il jaunit peu-à-peu, il devient gras, on est obligé de le raffiner de nouveau, & il s’y retrouve de la melasse ; je conjecture que la cuite, sans augmenter la quantité du sucre déja tout formé dans la plante, diminue la quantité de la mélasse & la décompose, précisément comme le mouvement de l’ébullition décompose en général le mucillage & les extraits, dont une partie le réduit toujours en terre à chaque fois qu’on les repasse au feu pour les clarifier ; cette terre forme l’écume & s’enleve par la despumation au blanc d’œuf : car il n’est pas vrai, comme M. R. le dit, que le blanc d’œuf serve à enlever la matiere grasse ou melasse ; car, puisqu’elle est plus soluble que le sucre même, à plus forte raison doit-elle passer comme lui à travers le réseau que forme le blanc d’œuf coagulé ; elle ne peut être enlevée que lorsqu’elle est décomposée & reduite en terre par la continuité des ébullitions ; à l’égard de l’eau de chaux, je crois qu’elle ne sert gueres qu’à absorber l’acide qui se développe par l’action du feu, à l’empêcher de réagir sur l’huile, & de donner à la matiere un goût empyreumatique ; peut-être aussi que cet acide, s’il restoit libre, pourroit agir sur le sucre même, & en décomposer une partie. J’attribue donc le changement de proportion entre le sucre & la melasse, à ce que le mouvement de l’ébullition agit plus fortement sur la melasse pour la décomposer, que sur le sucre : & je crois que les mêmes causes, la même perfection dans sa combinaison qui font crystalliser le sucre, & qui le rendent moins soluble, le font aussi résister davantage à sa décomposition : ce n’est pas que je voulusse décider absolument que l’eau de chaux ne contribue pas à faire crystalliser quelques portions de la melasse, en leur fournissant de la terre ; mais ce n’est-là qu’une conjecture vague, qui auroit besoin d’être prouvée, & qui est d’autant moins indiquée par les phénomènes, que la quantité absolue du sucre diminue plutôt que d’augmenter à chaque cuite.

3°. Nous avons vu tout ce que la cuite peut faire pour changer la proportion du sucre à la melasse, & pour obtenir la plus grande quantité possible de sucre crystallisé. Il ne s’agit plus que de le faire crystalliser & d’en séparer la melasse qui reste. On continue la cuite jusqu’à ce que le sirop soit au point d’avoir perdu toute son eau de dissolution, & ne conserve plus sa fluidité que par l’action de la chaleur. Si on évaporoit au-delà de ce point, la melasse trop peu fluide deviendroit un obstacle à ce mouvement des parties du sucre qui doivent s’arranger en crystaux, & les deux sustances resteroient confondues. Les Raffineurs reconnoissent ce point précis par la consistance du sirop qu’ils font filer entre leurs doigts ; il est évident que c’est-là une connoissance qu’on ne peut manquer d’acquérir par le simple tâtonnement : c’est pourtant en ce point qu’ils font consister tout le secret de leur art ; c’est la derniere chose qu’ils apprennent à leurs éleves, & pour apprendre ce beau secret, il faut donner quatre cens francs. Le sirop une fois réduit à cette consistance, il ne s’agit plus que de le faire refroidir pour y faire crystalliser le sucre ; on le verse pour cet effet, dans des moules coniques renversés. Là le sucre crystallise, mais toujours au milieu de la melasse. Dans cet état il forme une masse solide, mais criblée d’une quantité innombrable de pores dans lesquels la melasse est retenue par