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surface duquel se forme une croute qu’il faut rompre & bien mêler avec ce qui est liquide, ce que l’on fait en remuant avec la pagaye, & ratissant l’intérieur des formes pour empêcher le sucre déja condensé d’y adhérer ; cette opération se fait deux fois seulement dans l’intervalle d’une demi-heure, ensuite on donne le tems au sucre de s’affermir sans y toucher nullement.

Après quinze ou seize heures on débouche les formes, & l’on enfonce dans le trou un poinçon de sept à huit pouces de longueur, afin de percer la tête du pain de sucre, & faciliter l’écoulement du sirop superflu ; on met la pointe des formes ainsi débouchées dans des pots faits exprès, & on les arrange le long d’un des côtés de la sucrerie où ces vases restent toute la semaine, tandis que l’on continue le travail des chaudieres nuit & jour.

Les sirops qui s’égouttent naturellement dans les pots s’appellent gros sirops, on les fait recuire pour en fabriquer du sucre nommé sucre de sirop, dont la qualité est inférieure à celle du précédent. Ce sucre de sirop étant mis à égouter, donne un sirop amer servant à faire le taffia ou eau-de-vie de sucre.

Travail du sucre dans la purgerie suivant la capacité de l’étuve. On détermine le nombre de pains de sucre qui peuvent être soumis au travail, on commence par les visiter en les retirant l’un après l’autre de dedans les formes, & les remettant ensuite bien exactement chacun dans la sienne ; les défectueux se rangent à part pour les refondre, & toutes les formes dont on a choisi les pains sont portées dans la purgerie où on les place bien perpendiculairement la pointe en bas dans de nouveaux pots vuides, observant de les ranger des deux côtés du bâtiment avec beaucoup d’ordre & par divisions de six formes de front sur huit à dix de longueur, suivant la largeur du terrein, lequel par cet arrangement se trouve partagé d’un bout à l’autre par un chemin d’environ quatre à cinq pieds de large, & croisé d’autant de petites ruelles qu’il se trouve de divisions ou lits de formes ; cette disposition ressemble assez à celle des lits de malades dans un hôpital.

Toutes les formes ainsi placées sur leurs pots demandent une préparation avant de recevoir la terre qui les doit couvrir ; il faut, selon le langage des raffineurs, en faire le fond, c’est-à-dire enlever une croute séche qui s’est formée sur le sucre, & au-dessous de laquelle se trouve une autre croute plus grasse séparée de la premiere par un vuide d’environ un pouce : la croute séche se met à part pour être refondue avec le gros sirop, & la grasse n’est propre qu’à faire du taffia ; le vuide qu’elles occupoient dans les formes étant bien nettoyé avec des brosses, on le remplit à un demi-pouce près du bord d’une suffisante quantité de sucre blanc rapé, un peu tapé & bien dressé de niveau au moyen d’une petite truelle de fer ; le tout se couvre d’une couche de terre blanche bien nette & délayée en consistence de mortier clair.

Après cette préparation il faut fermer les fenêtres pour empécher l’air extérieur de dessécher la terre ; l’eau qu’elle contient se philtre insensiblement au-travers des molécules du sucre, délaye le sirop superflu qui les coloroit, & le détermine par son poids à s’écouler dans les pots placés sous les formes ; c’est le sirop fin qu’on fait recuire dans les chaudieres placées à cet effet à l’une des extrémités de la purgerie.

Il est nécessaire de visiter souvent les formes terrées, l’humidité de la terre pourroit agir inégalement, & former des gouttieres & des cavités dans l’intérieur du pain ; le remede à cet inconvénient est de mettre un peu de sable fin dans les petits creux qui commencent à paroître sur la surface de la terre :

ce sable absorbe l’humidité & l’empêche de se précipiter trop vîte dans cette partie.

Au bout de dix à douze jours la terre s’étant totalement desséchée d’elle-même, on doit l’enlever proprement, & en séparer avec un couteau le côté qui touchoit au sucre, le reste se mettant à part pour servir une autre fois.

La place que la terre remplissoit dans la forme étant bien brossée & nettoyée, on creuse un peu le dessus du sucre avec un poinçon pour l’égrainer d’environ un pouce dans toute sa surface ; on le dresse avec la truelle, & on le couvre d’une nouvelle couche de terre délayée, en pratiquant ce qui s’est observé précédemment. Cette seconde terre acheve de précipiter le reste de la substance colorante dont la pointe du pain du sacre pourroit être encore impregnée, & lorsqu’elle a produit son effet, on ouvre les fenêtres pour donner de l’air, on nettoye le dessus des formes & on laisse reposer le sucre pendant huit à dix jours, & plus s’il en est besoin, ensuite on loche les formes, c’est-à-dire qu’on les renverse sur le bloc pour en retirer le pain dont la pointe doit se trouver blanche & séche, autrement on la sépare d’un coup de serpe, & on la met avec les croutes seches, & les gros sirops qui doivent être recuits dans la sucrerie.

Les pains tronqués & ceux qui par leur bonne constitution sont restés dans leur entier, sont portés à l’étuve qu’on a dû nettoyer & chauffer quelques jours auparavant. Il faut observer pendant les deux ou trois premiers jours de donner un feu modéré & par dégré. On doit aussi visiter les pains de sucre, & en séparer soigneusement les morceaux qui paroissent s’en détacher ; s’il en tomboit quelque parcelle sur le coffre de fer qui sert de fourneau, cela occasionneroit un embrasement auquel il ne seroit pas facile de remédier. Le tout étant bien disposé, on ferme la trape & la porte de l’étuve, on augmente le feu jusqu’à faire rougir le coffre, & au bout de huit ou dix jours d’une chaleur continuelle, le sucre se trouve en état d’être retiré, alors on profite d’un beau jour pour le transporter sous les engards situés auprès de la purgerie, & on le pile dans de grands canots de bois faits exprès ; s’il se rencontre encore quelques pointes moins blanches que le corps des pains, on les pile à part, & cela s’appelle sucre de têtes.

Le sucre bien pilé & passé au-travers d’un crible, se met dans des barriques en le foulant à force de pilons : ces barriques étant remplies & foncées, pesent ordinairement huit, dix, jusqu’à douze quintaux. Les Portugais du Brésil se servent de grandes caisses, qu’ils appellent cassa, d’où le sucre, soit brut, soit terré, a pris le nom de cassonade brune ou blanche, dont les raffineurs d’Europe font le sucre rafiné, qu’ils mettent en petits pains pour le vendre aux épiciers.

Sucre rafiné à la façon des îles. Pour le faire, on emploie les débris du sucre terré, les têtes qui n’ont pas blanchi sous la terre, les croutes séches, & quelquefois le sucre brut même.

Ayant mis dans une des chaudieres de la purgerie, poids égal de sucre & d’eau de chaux, on chauffe & l’on écume très-soigneusement, jusqu’à ce qu’il ne paroisse plus d’écume à la superficie de la liqueur, qu’il faut passer aussitôt au-travers d’un blanchet, & continuer de la faire chauffer, y jettant à plusieurs reprises des blancs d’œufs délayés & battus avec des verges, dans de l’eau de chaux, & observant d’écumer à chaque fois le plus exactement qu’il est possible ; lorsqu’il ne monte plus d’ordures, & que le sirop paroît clair, on le passe une seconde fois au-travers d’un blanchet bien propre, & on acheve de le faire cuire dans la chaudiere voisine, jusqu’à ce qu’il ait acquis la cuisson nécessaire pour être retiré