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avoit de la continuation d’un dictionnaire qui auroit honoré la nation, sont malheureusement aujourd’hui très-foibles[1]. On ne se flatte plus guere de lire les articles Régie & Régisseur, qui eussent sans doute offert une réfutation complette de ceux qui contiennent des réflexions mal digérées, des assertions légeres & une critique peu judicieuse de plusieurs passages de l’esprit des lois. Il faut donc tâcher de les détruire dans un morceau particulier, & d’empêcher que l’étranger ne se méprenne sur les idées qu’ont les François du crédit & de la finance.

Un coup-d’œil rapidement jetté sur les doutes proposés à l’auteur de la théorie de l’impôt, conduira naturellement à l’examen des mots ferme & financier, où l’on retrouve les mêmes principes de la citation entiere desquels l’anonyme s’est servi contre l’ouvrage de M. de M….

Je tombe (p. 38.) sur une observation fausse & perfide : fausse, parce qu’elle donne à une phrase un sens dont elle n’est point susceptible : perfide, parce qu’elle dénonce une expression innocente sous un rapport odieux. M. de M… a dit : lorsque les peuples reçoivent un chef, soit par élection, soit par droit héréditaire, sur quoi l’on observe avec affectation, que recevoir ne peut s’entendre que de ce qu’on a droit de refuser : or, ajoute-t on, dans un royaume héréditaire, le choix ne dépend pas du peuple. M. de M…. avoit-il laissé la moindre équivoque ? En écrivant droit héréditaire, n’établissoit-il pas que le peuple ne pouvoit, ni refuser, ni choisir, puisque son souverain l’étoit de droit ?

M. de M… a témoigné (p. 158. & 161.) ses allarmes sur l’abus qu’on pouvoit faire de la souveraineté ; on lui en fait un crime grave (p. 140. des doutes). Eh quoi ! cette appréhension contredit-elle la confiance qu’il a dans la bonté paternelle du souverain ? Quand on voit la flatterie empressée à empoisonner le cœur des rois ; quand on réfléchit sur la facilité & sur le penchant qu’ont tous les hommes à être injustes, dès qu’ils ne sont point arrêtés par le frein de la loi ; quand on médite sur les suites de cet abus fatal aux mœurs qu’il corrompt, à la liberté qu’il enleve & à l’humanité qu’il dégrade, le vrai citoyen peut-il trop multiplier les avis, les prieres, les images & tous les ressorts de cette éloquence qui maîtrise l’ame ?

« J’employe, a-t-on dit dans la théorie de l’impôt, (p. 187.) cinq mille livres que rapporte ma terre, au loyer d’une maison ; si le fisc prétend encore son droit sur cette location, il tire d’un sac deux moutures ». Sûrement ce raisonnement n’est point solide, mais la replique ne l’est pas davantage : car soutenir (p. 64. des doutes), que c’est le propriétaire de la maison & non le locataire qui paye l’imposition, c’est avancer que c’est le marchand, & non l’acheteur particulier, qui est chargé des droits d’entrée, tandis que les loyers, comme les marchandises, augmentent en raison des impôts qu’ils supportent : il falloit se borner à prouver que la possession qui donne un revenu, est très-distincte de l’emploi qu’on peut faire de ce même revenu ; que la propriété d’un fonds est indépendante d’une location ; & qu’ainsi les droits imposés tombent sur deux objets réellement différens, quoique réunis sous la même main.

L’anonyme veut démontrer à M. de M… (p. 70.) que le premier objet du contrôle des actes, est d’en constater la date & d’en assurer l’authenticité, & que le droit qu’on a joint à la formalité, n’en change point la véritable destination. L’anonyme s’est trompé : la quotité exorbitante du droit contredit absolument le but du législateur, puisqu’il est de fait que les par-

ticuliers aiment mieux encourir les peines de nullité & la privation d’hypotheque, en rédigeant leurs conventions sous signature privée, que d’acquitter les droits immenses auxquels sont assujettis les contrats publics. Est-on quelquefois contraint d’en passer ? on ne balance pas alors à s’exposer aux dangers d’un procès, en supprimant des clauses dont l’énonciation rendroit la formalité trop dispendieuse, ou en les embrouillant pour tâcher d’en soustraire la connoissance aux yeux avides du traitant. C’est ainsi que la condition du sujet est devenue pire qu’elle n’étoit avant l’établissement du contrôle : si la sûreté étoit alors moins grande à certains égards, elle l’étoit plus à d’autres ; & certainement elle étoit plus générale : la mauvaise foi altéroit moins d’actes que la crainte des droits n’en annulle aujourd’hui que les riches seuls peuvent s’y soumettre. Je dis la même chose de l’insinuation & du centieme denier ; en applaudissant à l’institution, je demande que la loi soit certaine, pour que la perception ne soit pas arbitraire ; qu’elle soit claire, pour que celui qui paye sache pourquoi il paye ; que le droit soit léger, pour que sa modicité permette de jouir de l’avantage qu’il procure ; qu’il soit volontaire, pour que le peuple conçoive que c’est en sa faveur, & non pas en faveur d’un fermier qu’il se leve & qu’il est établi. Le centieme denier, par exemple, dit l’auteur, est représentatif de lods & ventes ; je le prie de me dire pourquoi on en exige, lors même que les mutations ne donnent pas ouverture aux droits seigneuriaux ? Plusieurs questions de ce genre convaincroient que le légal des édits n’est qu’un prétexte, & que le bursal en est le motif.

Que veut-on dire par cette sentence énigmatique : l’oisiveté a son utilité, ce qu’elle consomme est son tribut ? (p. 166.) Ignore-t-on que quand quelqu’un ne fait rien, un autre meurt de faim dans l’empire ? qu’il ne peut y avoir dans un corps politique parfaitement sain, un membre qui reçoive sans donner ? que le tribut n’en sauroit être passif ? Voilà cependant ce que l’auteur des doutes appelle une vérité qu’il faudroit méditer pour en découvrir d’autres ; elles seroient probablement du même genre : on apprendroit, par exemple, que l’oisif est maître de son loisir (p. 168.), ce qui ne laisse pas que de composer un bon fonds pour asseoir un impôt.

On accuse aussi M. de M. de s’interdire les ressources du crédit (p. 170.), & on raisonne à perte de vue d’après cette supposition qui est très-gratuite. L’ami des hommes exclut le crédit, qui ne consiste qu’en expédiens, qui ne vient que des pertes que le roi fait avec certaines compagnies ; qui excede le degré fondé sur le revenu général de la nation ; qui détruit les arts, l’industrie, le commerce, après avoir anéanti la population & l’agriculture ; qui ayant desséché le germe de la prospérité d’un état, le deshonore & l’expose à une révolution funeste ; mais il est le partisan de ce crédit, qui naît de la confiance & d’une administration éclairée (théorie de l’impôt, p. 160.), qui est conséquent à ce principe : faites peu d’engagemens, & acquittez-les exactement. En effet, la faculté d’emprunter, qui porte sur l’opinion conçue de l’assurance du payement, constitue l’essence du crédit solide ; elle n’entraîne ni la création de nouveaux impôts, ni l’extension des anciens ; & voilà celle qu’adopte un ministre intelligent.

M. de M… a parlé de la cession des restes du bail des fermes générales (p. 405, 406, &c. de la théorie de l’impôt) ; il en sollicite une severe liquidation. Son critique répond à ses plaintes sur ce sujet, en dissertant sur l’abus qu’il y avoit de les comprendre dans des affaires particulieres, comme on faisoit autrefois, au lieu de les réunir à la nouvelle adjudication, comme on fait depuis quelque tems. De ce que

  1. L’auteur ne parloit pas sans beaucoup de vraissemblance. Les jésuites existoient encore lorsqu’il écrivoit.