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Le principe qui se développe le premier dans un être animé, est celui de sa propre conservation.

S’il atteint ce qui est conforme à la nature, son bonheur commence.

Les desirs suivent la connoissance ou l’opinion des choses.

C’est de la connoissance de l’ordre universel, que dépend celle du vrai bien.

Si l’on présente à l’homme un bien convenable à sa nature, & qu’il s’y porte avec modération, il est sage & non passionné ; s’il en jouit paisiblement, il est serein & content ; s’il ne craint point de le perdre, il est tranquille, &c.

S’il se trompe sur la nature de l’objet ; s’il le poursuit avec trop d’ardeur ; s’il en craint la privation ; s’il en jouit avec transport ; s’il se trompe sur sa valeur ; s’il en est séduit ; s’il s’y attache ; s’il aime la vie, il est pervers.

Les desirs fondés sur l’opinion, sont des sources de trouble. L’intempérance est une des sources les plus fécondes du trouble.

Le vice s’introduit par l’ignorance des choses qui font la vertu.

Il y a des vertus de théorie. Il y en a de pratique. Il y en a de premieres. Il y en a de secondaires.

La prudence qui nous instruit de nos devoirs ; la tempérance qui regle nos appétits ; le courage qui nous apprend à supporter ; la justice qui nous apprend à distribuer, sont des vertus du premier ordre.

Il y a entre les vertus un lien qui les enchaîne ; celui à qui il en manque une, n’en a point. Celui qui en possede bien une, les a toutes.

La vertu ne se montre pas seulement dans les discours ; mais on la voit aussi dans les actions.

Le milieu entre le vice & la vertu n’est rien.

On forme un homme à la vertu. Il y a des méchans qu’on peut rendre bons.

On est vertueux pour la vertu-même. Elle n’est fondée ni dans la crainte, ni dans l’espérance.

Les actions sont ou des devoirs, ou de la générosité ; ou des procédés indifférens.

La raison ne commande ni ne défend les procédés indifférens ; la nature ou la loi prisent les devoirs. La générosité immole l’intérêt personnel.

Il y des devoirs relatifs à soi-même ; de relatifs au prochain, & de relatifs à Dieu.

Il importe de rendre à Dieu un culte raisonnable.

Celui-là a une juste opinion des dieux qui croit leur existence, leur bonté, leur providence.

Il faut les adorer avant tout, y penser, les invoquer, les reconnoître, s’y soumettre, leur abandonner sa vie, les louer même dans le malheur, &c.

L’apathie est le but de tout ce que l’homme se doit à lui-même. Celui qui y est arrivé est sage.

Le sage saura quand il lui convient de mourir ; il lui sera indifférent de recevoir la mort ou de se la donner. Il n’attendra point à l’extrémité pour user de ce remede. Il lui suffira de croire que le sort a changé.

Il cherchera l’obscurité.

Le soir il se rappellera sa journée. Il examinera ses actions. Il reviendra sur ses discours. Il s’avouera ses fautes Il se proposera de faire mieux.

Son étude particuliere sera celle de lui-même.

Il méprisera la vie & ses amusemens ; il ne redoutera ni la douleur, ni la misere, ni la mort.

Il aimera ses semblables. Il aimera même ses ennemis.

Il ne fera l’injure à personne. Il étendra sa bienveillance sur tous.

Il vivra dans le monde, comme s’il n’y avoit rien de propre.

Le témoignage de sa conscience sera le premier qu’il recherchera.

Toutes les fautes lui seront égales.

Soumis à tout événement, il regardera la commiseration & la plûpart des vertus de cet ordre, comme une sorte d’opposition à la volonté de Dieu.

Il jugera de même du repentir.

Il n’aura point ces vues de petite bienfaisance, étroite, qui distingue un homme d’un autre. Il imitera la nature. Tous les hommes seront égaux à ses yeux.

S’il tend la main à celui qui fait naufrage, s’il console celui qui pleure, s’il reçoit celui qui manque d’asyle ; s’il donne la vie à celui qui périt ; s’il présente du pain à celui qui a faim, il ne sera point ému. Il gardera sa sérénité. Il ne permettra point au spectacle de la misere, d’altérer sa tranquillité. Il reconnoîtra en tout la volonté de Dieu & le malheur des autres ; & dans son impuissance à les secourir, il sera content de tout, parce qu’il saura que rien ne peut être mal.

Des disciples & des successeurs de Zénon. Zénon eut pour disciple Philonide, Calippe, Posidonius, Zenode, Scion & Cléanthe.

Persée, Ariston, Herille, Denis, Spherus & Athénadore se sont fait un nom dans sa secte.

Nous allons parcourir rapidement ce qu’il peut y avoir de remarquable dans leurs vies & dans leurs opinions.

Persée étoit fils de Démétrius de Cettium. Il fut, disent les uns, l’ami de Zénon ; d’autres, un de ces esclaves qu’Antigone envoya dans son école, pour en copier les leçons. Il vivoit aux environs de la cxxx. olympiade. Il étoit avancé en âge, lorsqu’il alla à la cour d’Antigone Gonatas. Son crédit auprès de ce prince fut tel, que la garde de l’Acro-Corinthe lui fut confiée. On sait que la sûreté de Corinthe & de tout le Péloponnèse dépendoit de cette citadelle. Le philosophe répondit mal à l’axiome stoïque, qui disoit qu’il n’y avoit que le sage qui sache commander. Aratus de Sycione se présenta subitement devant l’Acro-Corinthe, & le surprit. Il empêcha Antigone de tenir à Menedeme d’Erétrie la parole qu’il lui avoit donnée, de remettre les Erétriens en république ; il regardoit les dieux comme les premiers inventeurs des choses utiles chez les peuples qui leur avoient élevé des autels. Il eut pour disciples Hermagoras d’Amphipolis.

Ariston de Chio étoit fils de Miltiade. Il étoit éloquent, & il n’en plaisoit pas davantage à Zénon qui affectoit un discours bref. Ariston qui aimoit le plaisir, étoit d’ailleurs peu fait pour cette école sévere. Il profita d’une maladie de son maître pour le quitter. Il suivit Polémon, auquel il ne demeura pas long-tems attaché. Il eut l’ambition d’être chef de secte, & il s’établit dans le Cynosarge, où il assembla quelques auditeurs, qu’on appella de son nom les Aristoniens : mais bientôt son école fut méprisée & déserte. Ariston attaqua avec chaleur Arcesilaüs, & la maniere de philosopher académique & sceptique. Il innova plusieurs choses dans le Stoïcisme : il prétendoit que l’étude de la nature étoit au-dessus de l’esprit humain ; que la Logique ne signifioit rien, & que la Morale étoit la seule science qui nous importât ; qu’il n’y avoit pas autant de vertus différentes qu’on en comptoit communément, mais qu’il ne falloit pas, comme Zénon, les réduire à une seule ; qu’il y avoit entr’elles un lien commun ; que les dieux étoient sans intelligence & sans vie, & qu’il étoit impossible d’en déterminer la forme. Il mourut d’un coup de soleil qu’il reçut sur sa tête qui étoit chauve. Il eut pour disciple Eratosthene de Cyrene. Celui-ci