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sales, ayant 400 piés de hauteur. C’étoit l’ouvrage de Zénodore, qui y avoit employé dix ans de travail & des sommes immenses. Voici ses paroles : Verùm omnem amplitudinem statuarum ejus generis vicit ætate nostrâ Zenodorus Mercurio facto in civitate Gallia Avernis per annos decem, pedum cccc. immani pretio. Néron, frappé de la renommée de cette statue, attira Zénodore à Rome, & l’engagea de faire à sa ressemblance une statue colossale de 100 piés de haut, selon Pline, ou de 120, selon Suétone, cap. xxxj. vestibulum fuit in quo colossus cxx. stabat ejus effigie. Il est vrai qu’après la mort de ce prince on ôta le nom de Néron à cette statue colossale, & on la dédia au soleil, ainsi que d’autres.

Le lecteur jugera sans doute qu’il n’étoit pas possible de travailler à un seul attelier les statues colossales qu’on vient de décrire ; or l’artiste, pour pouvoir les exécuter, distribuoit la besogne à un grand nombre d’ouvriers choisis, & leur traçoit les proportions, ensorte que quand ils rendoient les parties dont ils avoient été chargés séparément, elles se rapportoient avec tant de justesse, qu’en les rejoignant elles composoient un tout parfaitement assorti, & qui sembloit être du même bloc & de la même main. Pausanias nous a donné sur ce sujet des détails de l’art de la fonte qui méritent attention. Le Jupiter de bronze, dit-il, la plus ancienne des statues de ce métal, n’étoit point l’ouvrage d’une seule & même fabrique. Il a été fait dans le même tems par parties ; ensuite les pieces ont été si bien enchâssées & si bien jointes ensemble avec des clous, qu’elles font un tout fort solide. Nous avons vu renouveller de nos jours le même procédé par un artiste médiocre, qui a exécuté de la même maniere à Dresde une statue équestre plus grande que nature.

Les Grecs mettoient sur la base de leurs statues le nom de celui qu’elles représentoient ou qui en avoit fait la dépense ; ils pouvoient effacer ce même nom & en substituer un autre, c’est ce qu’ils firent souvent par flatterie, quand ils furent soumis aux Romains ; quelquefois ils changeoient en même tems la tête, ou en retouchoient les traits. Plutarque dit qu’ils userent de ce stratageme, & mirent le nom d’Antoine aux deux statues colossales d’Attalus & d’Euménès.

Considérez en passant les progrès de l’art statuaire, depuis les premieres statues taillées pour les dieux, jusqu’à la colossale que Néron se fit faire par Zénodore. La premiere idole de la Diane d’Ephese étoit un tronc d’orme, ou, selon Pline, une souche de vigne. Pausanias parle d’un Mercure de bois grossier, qui étoit dans le temple de Minerve Poliade. Avant que Rome triomphât de l’Asie, les statues des dieux consacrées dans les bocages n’étoient que de terre cuite. Cicéron, l. I. de la divination, dit que la statue de Summanus placée sur le faîte du temple de Jupiter étoit pareillement de terre. Les Romains ne pensoient pas alors qu’ils seroient un jour tellement épris de l’amour des statues, qu’ils publieroient une loi qui condamneroit à l’amende les statuaires chargés de faire des statues, si dans leurs ouvrages ils péchoient en quelque chose contre la regle de leur art & contre l’attente de ceux qui les employeroient.

Les statues de grandeur naturelle furent nommées athletiques ou iconiques, statuæ athleticoe, statuæ iconicæ, parce qu’elles imitoient mieux que les grandes & les petites la ressemblance de ceux pour lesquels elles étoient faites.

Les peuples de la Grece, pour perpétuer le souvenir des victoires remportées par les athletes, employerent tout l’art des Sculpteurs, afin de transmettre aux siecles à venir la figure & les traits de ces mêmes hommes qu’ils regardoient avec tant d’estime & d’admiration : on leur érigeoit ces statues dans le lieu même où ils avoient été couronnés, & quel-

quefois dans celui de leur naissance, & c’étoit ordinairement

la patrie du vainqueur qui satisfaisoit les frais de ces monumens. Les premiers athletes pour qui on décora Olympie de ces sortes de statues (ce qui arriva dans la lix. & la lxj. olympiade, selon Pausanias), furent Praxidomes vainqueur au pugilat, & Rhexibius vainqueur au pancrace. La. statue du premier étoit de bois de cyprès ; & celle du second, de bois de figuier. Le bronze dans la suite devint la matiere la plus ordinaire de ces statues.

On ne les faisoit pas néanmoins toujours de grandeur naturelle, mais on accordoit cet honneur à ceux qui avoient vaincu aux quatre grands jeux de la Grece. Ces statues chez les Romains représentoient les athletes nuds, sur-tout depuis le tems qu’ils avoient cessé de se couvrir d’une espece d’écharpe ou de ceinture ; mais comme les athletes romains ne l’avoient point quittée, ils la conservoient dans leurs statues. On élevoit de ces monumens non-seulement aux athletes, mais encore aux chevaux, à la vîtesse desquels ils étoient redevables de la couronne agonistique ; & Pausanias témoigne que cela se fit pour une cavale, entr’autres, nommée Aura, qui avoit, sans conducteur, procuré la victoire à son maître, après l’avoir jetté par terre. On peut lire dans le même auteur un dénombrement exact de toutes les statues d’athletes qui se voyoient de son tems à Olympie. Les Hellanodiques prenoient grand soin que ces statues ne fussent pas plus grandes que le naturel ; & en cas de contravention, ils faisoient renverser la statue par terre. C’étoit sans doute de crainte que le peuple, qui n’étoit que trop porté à rendre les honneurs divins aux athletes, ne s’avisât, en voyant leurs statues d’une taille plus qu’humaine, de les mettre au rang des demi-dieux.

Les statues plus petites que nature étoient soudivisées en quatre especes, auxquelles on donna des noms tirés de leur différente hauteur, celles de la grandeur de trois piés se nommoient tripedaneæ. Telles étoient les statues que le sénat & le peuple ordonnoient pour leurs ambassadeurs qui avoient péri de mort violente dans leur légation ; c’est ce que Pline, l. LIV. c. vj. nous apprend : à romano populo tribui solere injuria cæsis tripedaneas statuas in foro. On cite pour exemple la statue de Tullius Cælius, qui fut tué par les Fidénates, & celles de P. Junius & de T. Carumanus que la reine des Illyriens fit mettre à mort. Quand les statues n’étoient que de la grandeur d’une coudée, on les appelloit cubitales. Lorsqu’elles étoient hautes d’une palme, c’est-à-dire de quatre doigts, elles étoient appellées palmares. Enfin quand elles étoient encore moins hautes, on les nommoit sigilla. On faisoit quantité de ces sigilla en or, en argent, en ivoire, & on les estimoit beaucoup, soit pour leur travail, soit à cause qu’on pouvoit les transporter commodément, & même les avoir sur soi par dévotion pour les dieux, par reconnoissance pour des princes, par admiration pour de grands hommes, ou par attachement pour des amis qu’ils représentoient.

Voilà l’histoire des statues dont le nombre étoit incroyable chez les Grecs & les Romains. Il suffit de lire Pausanias pour s’en convaincre. Sans parler de l’Attique & d’Athènes qui fourmilloient de ce genre d’ouvrages, la seule ville de Milet en Ionie en rassembla une si grande quantité, que lorsqu’Alexandre s’en rendit maître, il ne put s’empêcher de demander où étoient les bras de ces grands hommes, quand les Perses les subjuguerent. On sait que Mummius remplit Rome des statues de la seule Achaïe : devictâ Achaïa, statuis implevit urbem. Plutarque rapporte que Paul Emile employa trois jours à la pompe de son triomphe de Macédoine, & que le premier put à peine suffire à faire passer en revue les tableaux & les statues d’excessive