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nos humeurs, & qui par conséquent ne sont plus propres à notre substance ? D’ailleurs ne voit-on pas que sans admettre de ces insinuations, la température de l’air produit seule des effets pareils à ceux de certains poisons sur les animaux ! On en a une preuve convainquante dans les symptomes observés sur le chien, que le docteur Boërhaave exposa à la chaleur d’une raffinerie de sucre, & dans ce qui arrive aux animaux qu’on soumet aux expériences de la machine du vuide.

Dans les endroits où il y a des mines, des volcans, &c. dans le voisinage des marais, des camps, des hôpitaux, des grottes, comme celle du chien, au royaume de Naples, qui exhalent des mouphetes, &c. l’air ne peut que faire des impressions funestes sur le corps, ou plutôt sur les organes de la sensibilité. L’événement des prisons de Newgate à Londres, est encore tout récent. L’explication de ces phénomenes & de tant d’autres sur lesquels il ne nous est pas possible de nous étendre, va d’elle même, pour peu qu’on veuille suivre la chaîne de nos principes.

Toutes les parties du corps qui vivent d’une dose de sensibilité, doivent participer en proportion du goût ou de l’instinct que nous reconnoissons dans l’ame sensitive, c’est une vérité déja établie ; mais cette propriété se manifestera toujours mieux dans les parties où la sensibilité se trouve sans cesse irritée par l’indisposition ou la maladie de ces mêmes parties. Voilà pourquoi le poumon des asthmatiques, l’œil d’un ophtalmique, &c. discernent si bien les bonnes ou les mauvaises qualités de l’air, sur-tout s’il est chargé de vapeurs acres ou humides.

La peau, cette toile nerveuse qui forme un organe général, & dont l’action contrebalance celle des organes intérieurs, la peau est encore éminemment douée de cet instinct ; Harvée appuyé de quelques expériences qu’il hasarda sur lui-même, s’explique positivement sur ce point. Quin caro etiam ipsa, dit-il, venenatum à non venenato facilè distinguit, ideoque constringit sese & densatur, unde tumores, phlegmonodes excitantur ut videre est in ictibus apum, culicis, aranei, &c. exercitatio 57. pag. 259. Vanhelmont avoit déja parlé de ce discernement de l’ame sensitive, qu’il appelle en quelques endroits internam thymosim facultatis sensitivæ. Voyez le chap. ix de lythiasi, qu’Harvée semble avoir copié en quelques endroits.

En combinant toutes ces propriétés de la peau ou de sa sensibilité si étroitement liée à celle des autres organes, on voit d’un coup d’œil en quoi consiste l’action des topiques, par ex. de l’opium & de quelques poisons appliqués extérieurement ; celle des parties volatiles de quelques purgatifs, par lesquelles il s’est vu des personnes réellement purgées, celle sur-tout du mercure employé en frictions que nous croyons bien moins estimée par l’introduction de ce minéral dans le torrent des humeurs, que par son passage à-travers le tissu cellulaire dont il désobstrue & élargit les cellules de l’une à l’autre, en étendant ses feuillets, & par les petits étranglemens ou stimilus qu’il cause aux vaisseaux capillaires, ou à leurs fibrilles nerveuses, d’où naît une petite fievre dépuratoire. Voyez là-dessus une dissertation sur l’usage des eaux de Bareges, & du mercure pour les écrouelles, &c. qui a remporté un prix à l’académie royale de Chirurgie en 1752, par M. de Bordeu. On verra sur quoi sont fondés les succès merveilleux des bains, sur-tout des froids dans les fievres ardentes, que quelques malades entraînés par le seul instinct de la sensibilité, se sont procuré si avantageusement ; enfin les bons effets de toutes les ressources de la gymnastique qui consistent à renouveller, à varier agréablement, ou à multiplier l’énergie de la sensibilité, & dont les anciens tiroient un si grand parti. Mais,

nous le répétons, il ne faut jamais perdre de vue les dispositions particulieres où peuvent se trouver les parties sensibles en conséquence de l’habitude, ou de quelqu’autre circonstance, & qui font autant d’exceptions à la regle génerale. Telle est l’observation de M. Spon, médecin de Lyon, rapportée dans le journal des savans du mois de Janvier 1684, au sujet d’une fille qui ne pouvoit vivre que dans l’hôtel-dieu, & qui ne manquoit jamais d’être attaquée de la fievre, lorsqu’elle se retiroit à la ville, & qu’elle respiroit un air plus pur. Il croît en Pensilvanie un arbre empoisonné, que les Anglois nomment poison-tree, dont le maniment, ou la vapeur apportée par le vent, cause des accidens etranges à certaines personnes, & ne fait rien sur d’autres. On voit bien souvent des maladies contagieuses attaquer les personnes qui s’observent le plus, tandis que celles qui approchent sans ménagement des malades, n’en reçoivent aucune incommodité. Il est quelquefois arrivé, au rapport de Kirker de peste, sect. II. cap. iij. pag. 139, que la peste n’a gagné que les riches ou les nobles, & a épargné le bas peuple ou les pauvres. On ne finiroit pas de rapporter de pareils exemples.

Sensibilité par rapport aux influences des astres. Les plus célebres médecins, tant anciens que modernes, se sont occupés de l’influence des astres sur le corps humain. On sait tout ce qu’Hippocrate en a dit dans ses ouvrages, notamment dans celui de aëre, locis & aquis qui n’est pas supposé. Voyez encore ce que Gallien a écrit sur cette matiere, liv. III. proreticor. Il est tout simple en effet, en consultant l’action des différentes planettes sur la nôtre, par ex. le flux & le reflux des eaux de la mer, l’altération que reçoivent certaines plantes du lever & du coucher des astres, &c. d’imaginer les changemens que de pareilles causes peuvent apporter à notre frêle machine, qu’on sait d’ailleurs être si sensible.

Les différens poids de l’atmosphere qui varient sous les différens aspects des astres, donnent la raison de plusieurs phénomenes extraordinaires qu’on remarque dans le corps humain. La surface du corps d’un adulte supporte ordinairement, suivant des calculs très-bien faits, un poids d’environ 35 mille livres. La totalité de ce poids correspond, à-peu-près, au degré 28 de l’ascension du mercure dans le baromettre ; ce rapport ainsi établi, on observe que la variation d’une ligne au baromettre, à compter de cette gradation fixe du mercure, en est une de cent livres & au-delà, dans le plus ou dans le moins, pour le corps humain. Ces variations sont ordinairement plus sensibles vers le tems des équinoxes & des solstices, & par conséquent leurs effets sur l’ame sensitive plus remarquables. On n’a, pour se convaincre de cette vérité, qu’à jetter les yeux sur l’histoire ancienne & moderne des épidémies. L’écoulement des menstrues dans les femmes, beaucoup d’autres évacuations encore, soit périodiques, soit critiques, tout cela est plus ou moins soumis à l’influence des astres sur les corps sublunaires. Les livres sont pleins de faits singuliers, dans lesquels cette cause céleste intervient toujours pour quelque chose ; c’est ainsi qu’on prétend avoir vu des personnes être privées de la parole durant le jour, & ne la recouvrer que le soir. L’observation de Baillou au sujet de la dame de Varades, est connue de tout le monde ; de même que celle que rapporte le docteur Rich Mead, d’un enfant qui habitoit sur les bords de la Tamise, & qui étoit attaqué de convulsions, dont les paroximes étoient reglés sur le flux & le reflux de la mer. Charles Pison avoit déja vu un cas à-peu-près semblable, hist. nat. lib. I. pag. 24. Maurice Hoffman parle d’une jeune fille épileptique âgée de 14 ans, dont le ventre croissoit & décroissoit conformément aux différentes phases de la lune. Voyez observ. 161. miscell. cur. dec. II. ann.