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trice, pour animer & faire marcher les montres & les pendules, & par cette raison on les nomme ressorts moteurs.

Comme ressorts moteurs, ils peuvent être susceptibles de différentes figures plus ou moins avantageuses pour l’intensité de cette force ; d’où il suit qu’on pourroit faire cette question : la matiere & sa quantité étant donnée, trouver la figure qui donnera la plus grande puissance élastique ; mais outre que la solution en est très-difficile, & qu’elle tient à un grand nombre d’expériences qu’il y auroit à faire, dignes d’occuper même les plus habiles physiciens, je dois, quant à présent, me borner à rendre compte de ce qu’on sait, plutôt que de ce qu’il y auroit à faire.

De l’exécution & application des ressorts, en qualité de force motrice. Pour faire les ressorts de montres, l’on prend de l’acier en barre, que l’on fait dégrossir aux grandes forges, pour ensuite le tirer rond à la filiere, plus ou moins gros, suivant les ressorts qu’on a à faire ; ou bien l’on prend de l’acier rond d’Angleterre, & c’est le meilleur, l’on coupe ce fil par bout de 20 à 30 pouces ; après l’avoir fait recuire, on le forge pour l’applatir & le réduire à l’épaisseur d’un quart de ligne, on le dresse sur le plat, & l’on supplée ainsi à la lime, aux inégalités que le marteau a pu laisser ; cela s’apperçoit à la différence de courbure que prend le ressort, en le faisant ployer de place en place dans toute sa longueur. On le lime aussi d’égale largeur, en le faisant passer dans toute sa longueur, dans un calibre. Plusieurs de ces ressorts ainsi préparés, on les entortille chacun de fil-d’archal sur toute leur longueur, en laissant un demi-pouce d’intervalle ; l’on prend un de ces ressorts, on en forme un cercle qui peut avoir 7 à 8 pouces de diametre, l’on en ploie ainsi une douzaine de même largeur, concentriquement les uns dans les autres, ce qui forme une trempe cylindrique, épaisse de la largeur des ressorts, & large de toutes les épaisseurs réunies, & il reste encore un vuide dans le milieu, & tous les jours que laissent les fils-d’archal ; ces jours sont utiles, parce que l’huile ou le liquide dans lequel on les plonge pour les tremper, saisit aisément toutes les surfaces des ressorts : l’on prend ce paquet de douze ressorts, pour le placer dans un cercle de fer fait en forme de roue de champ, qui a une croisée au centre de laquelle est un pivot qui tient à l’extrémité d’une verge de fer, & qui laisse mobile le cercle, pour être tourné dans le fourneau au moyen d’une autre baguette, dont on se sert pour faire tourner ce cercle par sa circonférence ; l’on voit aisément que cette méchanique n’est là que pour la facilité de donner une égale chaleur dans toutes les parties de la circonférence.

L’on porte le tout dans un fourneau de reverbere où le charbon doit être bien allumé ; & lorsque les ressorts ont acquis le degré de chaleur que l’expérience seule peut apprendre, ce qui revient à-peu-près d’un rouge couleur de charbons allumés : alors on retire le tout des fourneaux, & l’on fait tomber subitement le paquet de ressorts dans une suffisante quantité d’huile de navette, & l’on repete cette expérience autant de fois qu’on a de douzaine de ressorts à tremper.

Retirez de l’huile ces ressorts, coupez de place en place les fils-d’archal, pour les séparer les uns des autres, les blanchir avec du grai, les bleuir sur un fer chaud, les redresser à coup de marteau, les limer de nouveau pour les égaler sur la largeur comme sur l’épaisseur, avec cette différence qu’il faut que la lame aille en diminuant d’épaisseur insensiblement sur le bout qui doit faire les tours intérieurs du ressort.

Cette derniere opération exige toute l’attention, pour qu’ils prennent des courbures régulieres & sem-

blables, de place en place ; & lorsqu’on les passe entre

les doigts, en ployant légerement la lame, il ne faut plus sentir aucune différence, aucune dureté, en un mot, une flexibilité égale dans toute la largeur, comme si l’on passoit un simple ruban entre ses doigts ; mais l’expérience & la délicatesse du tact sont bien plus propres à faire sentir cette épreuve, que tout ce que l’on pourroit dire.

Après avoir fait aux ressorts ce qu’on pouvoit de mieux avec la lime, il faut ensuite, pour les égaler parfaitement, les passer & repasser plusieurs fois entre deux morceaux de bois dur, de quatre à cinq pouces en quarré, bien dressé, & qui tout rassemble par une charniere & le morceau de dessus, porte un bras de levier d’un pié avec lequel l’on presse : l’on est deux pour passer le ressort dans cette machine ; l’un le tient par un bout de la tenaille & le tire, pendant que l’autre presse avec le bras de levier ; l’on place entre ces machines, de l’émeri rude dans le commencement, & doux sur la fin, & on le polit.

C’est par cette derniere opération que l’on parvient à donner au ressort cette uniforme flexibilité qui lui est si essentielle ; après quoi on le bleuit une seconde fois le plus également qu’il est possible, par une chaleur douce. L’on recuit également les deux extrémités pour y faire une ouverture qui s’appelle œil ; l’on ploye avec une pince ronde le bout qui doit faire le tour intérieur autour de l’arbre, & l’on procede à lui donner sa figure spirale en le ployant autour d’un arbre au moyen d’un crochet qui entre dans l’œil du ressort, tournant l’arbre d’une main, & de l’autre appuyant du pouce sur le premier tour, l’on fait passer ainsi la longueur du ressort ; ce ressort ainsi ployé spiralement tend par sa réaction à se redresser ; c’est pourquoi il faut lâcher par degrés. D’où il suit, que la réaction est moindre que l’action, & qu’elle perd d’autant plus cette qualité, que les ressorts sont plus comprimés & qu’ils restent plus long-tems dans cet état. Si la matiere des ressorts étoit parfaitement élastique, bien loin de rester ployés en ligne spirale, ils reviendroient droit au même point dont ils seroient partis ; & au contraire, si la matiere étoit parfaitement sans élasticité, le ressort resteroit comme on l’auroit ployé & ne vaudroit rien ; d’où il suit que les meilleurs ressorts sont ceux qui rendent le plus de réaction, ou qui perdent le moins de leur élasticité. Or l’acier trempé étant de toutes les matieres celle qui a le plus cette propriété ; c’est donc avec raison que les Horlogers la préferent. L’on augmente prodigieusement l’élasticité de l’acier par la trempe qu’on lui donne ; mais on est obligé de la lui diminuer pour qu’il ne casse pas lorsqu’on le met au travail ; & l’on a raison de dire que les meilleurs ressorts sont sujets à casser, parce que ce sont ceux à qui on a conservé le plus d’élasticité ; mais lorsqu’on diminue trop cette qualité élastique par le revenir ou recuit qu’on donne aux ressorts après la trempe, ils ne cassent pas, il est vrai ; mais ils perdent trop sensiblement leur élasticité, & conséquemment leur force ; il y a donc par-tout des extrèmes qu’il faut éviter. C’est un point qu’il faudroit pouvoir saisir ; mais qui est infiniment difficile, pour ne pas dire impossible. L’on préfere donc dans cette alternative qu’un ressort soit plus près du casser par trop d’élasticité, que de se rendre en en manquant. Enfin, pour résumer ce que l’expérience & le raisonnement m’ont donné sur les différens ressorts que j’ai éprouvés, j’ai trouvé, toutes choses égales d’ailleurs, qu’une lame de ressort étoit d’autant plus élastique, & conservoit d’autant plus long-tems cette qualité, que la lame étoit plus mince, plus large, plus longue ; en sorte que cette lame étant ployée en spirale autour de l’arbre dans son barillet, son rayon fût égal à la largeur ou hauteur des ressorts, & réciproquement ;