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dant que ceux du parti contraire faisoient tous leurs efforts pour défendre leur terreien, & pour envoyer la balle vers l’autre ligne. Cela causoit une espece de combat fort échauffé entre les joueurs qui s’arrachoient la balle, qui la chassoient du pié & de la main, en faisant diverses feintes, qui se poussoient les uns les autres, se donnoient des coups de poing, & se renversoient par terre. Enfin le gain de la partie étoit pour la troupe qui avoit envoyé la balle au-delà de cette ligne qui bornoit le terrein des antagonistes. On voit par-là que cet exercice tenoit en quelque façon de la course, du saut, de la lutte & du pancrace.

L’exercice de la grosse balle étoit différent des précédens, non seulement à raison du volume des balles que l’on y employoit, mais aussi par rapport à la situation des bras ; car dans les trois principales especes de petite sphéristique, dont on vient de parler, les joueurs tenoient toujours leurs mains plus basses que leurs épaules ; au-lieu que dans celle-ci, ces mêmes joueurs élevoient leurs mains au-dessus de leur tête, se dressant même sur la pointe du pié, & faisant divers sauts pour attraper les balles qui leur passoient par-dessus la tête. Cet exercice, comme l’on voit, devoit être d’un fort grand mouvement, & d’autant plus pénible, qu’outre qu’on y mettoit en œuvre toute la force des bras pour pousser des balles d’une grosseur considérable à une grande distance, les courses, les sauts, & les violentes contorsions que l’on s’y donnoit, contribuoient encore à en augmenter la fatigue.

La troisieme espece de sphéristique connue des Grecs, étoit l’exercice du ballon, appellé σφαῖρα κενή, dont nous savons peu de circonstances, si ce n’est que ces ballons étoient vraissemblablement faits comme les nôtres, qu’on leur donnoit une grosseur énorme, & que le jeu en étoit difficile & fatiguant.

L’exercice du corycus, qui étoit la quatrieme espece de sphéristique greque, la seule dont Hippocrate ait parlé, & qu’il appelle κωρυκομαχίη, qui est la même chose que le κωρυκοβολία, du médecin Arétée, consistoit à suspendre au plancher d’une salle, par le moyen d’une corde, une espece de sac que l’on remplissoit de farine ou de graine de figuier pour les gens foibles, & de sable pour les robustes, & qui descendoit jusqu’à la hauteur de la ceinture de ceux qui s’exerçoient. Ceux ci pressant ce sac à deux mains, le portoient aussi loin que la corde pouvoit s’étendre, après quoi lâchant ce sac ils le suivoient, & lorsqu’il revenoit vers eux, ils se reculoient pour céder à la violence du choc ; ensuite le reprenant à deux mains, ils le poussoient en avant de toutes leurs forces, & tâchoient malgré l’impétuosité qui le ramenoit, de l’arrêter, soit en opposant les mains, soit en présentant la poitrine leurs mains étendues derriere le dos ; en sorte que pour peu qu’ils négligeassent de se tenir fermes, l’effort du sac qui revenoit leur faisoit quelquefois lâcher le pié, & les contraignoit de reculer.

Il résultoit, selon les Médecins, de ces différentes especes de sphéristiques, divers avantages pour la santé. Ils croyoient que l’exercice de la grosse & de la petite balle étoit très-propre à fortifier les bras, aussi-bien que les muscles du dos & de la poitrine, à débarrasser la tête, à rendre l’épine du dos plus souple par les fréquentes inflexions, à affermir les jambes & les cuisses. Ils n’estimoient pas que le jeu de ballon fût d’une grande utilité, à cause de sa difficulté & des mouvemens violens qu’il exigeoit ; mais en général ils croyoient tous ces exercices contraires à ceux qui étoient sujets aux vertiges, parce que les fréquens tournoiemens de la tête & des yeux, nécessaires dans la sphéristique, ne pouvoient manquer d’irriter cette indisposition. Pour ce qui concerne l’exercice du corycus, ou de la balle suspendue, ils

le jugeoient très-convenable à la diminution du trop d’embonpoint, & à l’affermissement de tous les muscles du corps ; se persuadant aussi que les secousses réitérées que la poitrine & le ventre recevoient du choc de cette balle, n’étoient pas inutiles pour maintenir la bonne constitution des visceres qui y sont renfermés. Arétée en conseilloit l’usage aux lépreux ; mais on le défendoit à ceux qui avoient la poitrine délicate.

Après avoir parcouru les especes de sphéristiques en usage chez les Grecs, examinons présentement ce que les Romains ont emprunté d’eux par rapport à cet exercice, & ce qu’ils y ont ajouté de nouveau. On ne trouve dans l’antiquité romaine que quatre sortes de sphéristiques ; savoir le ballon, appellé follis ; la balle, surnommée trigonalis ; la balle villageoise, pila paganica, & l’harpastum. Cœlius Aurélianus les désigne toutes par l’expression générale de sphæra italica, paume italienne. Le poëte Martial les a toutes comprises dans ces vers.

Non pila, non follis, non te paganica thermis
Præparat, aut nudi stipitis ictus hebes :
Vara nec injecto ceromate brachia tendis,
Non harpasta vagus pulverulenta rapis.

Le ballon étoit de deux especes, de la grande & de la petite. On poussoit les grands ballons avec le bras garni comme nous l’avons dit en parlant de celui des Grecs. La petite espece qui étoit le plus en usage, se poussoit avec le poing, d’où elle recevoit le nom de follis pugillaris ou pugilatorius. La légéreté de ce ballon le mettoit le plus à la portée des personnes les moins robustes, tels que sont les enfans, les vieillards & les convalescens.

La paume appellée trigonalis, se jouoit avec une petite balle nommée trigon, non pas de sa figure qui étoit ronde & nullement triangulaire, mais du nombre des joueurs qui étoient ordinairement trois disposés en triangle, & qui se renvoyoient la balle, tantôt de la main droite, tantôt de la gauche, & celui qui manquoit à la recevoir, la laissoit tomber, perdoit la partie. Il y a trois expressions latines qui ont rapport à ce jeu, & qui méritent d’être remarquées. On appelloit raptim ludere, lorsque les joueurs faisoient en sorte de prendre la balle au premier bond. Datatim ludere se disoit d’un joueur qui envoyoit la balle à un autre, & qui accompagnoit ce mouvement de diverses feintes pour tromper les joueurs. Enfin, expulsum ludere s’appliquoit à l’action des joueurs qui se repoussoient les uns les autres pour attraper la balle, & la renvoyer.

La paume de village, appellée pila paganica, n’étoit pas tellement abandonnée aux paysans, qu’elle ne fût aussi reçue dans les gymnases & dans les thermes, comme il est facile de s’en convaincre par les vers de Martial ci-dessus rapportés. Les balles qu’on employoit dans cette sorte de paume étoient faites d’une peau remplie de plume bien foulée & bien entassée, ce qui donnoit une dureté considérable à ces balles. Elles surpassoient en grosseur les balles trigones & les ballons romains. La dureté de ces balles jointe à leur volume en rendoit le jeu plus difficile & plus fatiguant.

La derniere espece de sphéristique en usage chez les Romains & nommée harpastum, n’étoit en rien différente de l’harpaston des Grecs, de qui les Romains l’avoient empruntée ; ainsi, sans répeter ce qui a été dit, on remarquera seulement que l’on s’exerçoit à ce jeu sur un terrein sablé, que la balle qui y servoit étoit de la petite espece, & que l’on y employoit plutôt les mains que les piés, comme il paroît par cette épigramme de Martial sur des harpastes :

Hæc rapit antœi velox in pulvere Draucus,