Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lées plus strictement spasmodiques ; l’état de spasme est l’état premier & dominant, le seul qu’il soit alors nécessaire d’attaquer & de détruire ; mais il arrive souvent qu’à la longue la masse intestinale, dérangée par l’affection constante du diaphragme, donne lieu à de mauvaises digestions, & entraîne bientôt après un vice humoral ; ou au contraire dans des sujets sensibles très-impressionables, qui ont le genre nerveux très-mobile, l’affection humorale étant essentielle & protopathique, occasionne par la même raison des symptomes nerveux ; le genre mixte de maladies qui résulte de cette complication de quelque façon qu’elle ait lieu, est le plus ordinaire ; lorsque la maladie est humorale ou mixte, la cause morbifique irrite, stimule les forces organiques, augmente leurs mouvemens, & les dirige à un effort critique, ou, ce qui est le même, excite la fievre, pendant le premier tems de la fievre, qu’on appelle tems de crudité ou d’irritation ; l’état spasmodique des organes affectés, & même de toute la machine, est peint manifestement sur le pouls, qui, pendant tout ce tems, est tendu, serré, précipité, convulsif : lorsque par la réussite des efforts fébrils le spasme commence à se dissiper, les symptomes diminuent, le tems de la coction arrive, le pouls est moins tendu, il commence à se développer ; la solution du spasme annonce, détermine, & prépare l’évacuation critique qui terminera la maladie ; à mesure qu’elle a lieu, les accidens disparoissent, la peau est couverte d’une douce moiteur, l’harmonie se rétablit dans la machine, le spasme se dissipe, le pouls devient plus mol, plus égal, plus rapprochant en un mot de l’état naturel : si, au contraire, quelqu’obstacle vient s’opposer à l’accomplissement de la crise, tout aussi-tôt les efforts redoublent, la constriction des vaisseaux augmente, leur spasme devient plus sensible, le pouls reprend un caractere d’irritation ; dans les maladies nerveuses où il ne se fait point de crise, le pouls conserve pendant tout le cours de la maladie son état convulsif, image naturel de ce qui se passe à l’intérieur.

Nous ne poussons pas plus loin ces détails, renvoyant le lecteur curieux aux ouvrages mêmes dont nous les avons tirés ; les principes plus rapprochés des faits y paroîtront plus solidement établis, & plus féconds ; les conséquences mieux enchainées & plus naturellement déduites, les vûes plus vastes, les idées plus justes & plus lumineuses ; mais pour juger sainement de la bonté de cette doctrine, il ne faut pas chercher à la plier aux minutieuses recherches anatomiques ; ce n’est point à la toise des théories ordinaires qu’il faut la mesurer ; on tâcheroit envain de la soumettre aux lois peu connues & mal évaluées de la circulation du sang ; mesures fautives & sur la valeur desquelles tous ceux qui les admettent ne sont pas d’accord ; c’est dans l’observation répétée, & surtout dans l’étude de soi-même, qu’il faut chercher des raisons pour la détruire ou la confirmer ; appliquons-lui avec l’auteur ce que Stahl disoit avec raison de toutes ces discussions frivoles, qui ne font qu’embrouiller les faits, avec lesquels elles sont si rarement d’accord : mussitant hic subtilitates nudæ, eo nil faciunt speculationes anatomicorum à viis & mentibus petitæ, sed motus naturæ hic considerari debet. Qu’on fasse attention d’ailleurs que ces principes pathologiques, très-conformes aux lois bien fixées de l’économie animale, aux dogmes les plus sacrés, établis par les anciens, & reconnus par les modernes, à la doctrine des crises, aux nouvelles découvertes, enfin à la plus exacte observation, fournissent encore l’explication naturelle de plusieurs phénomenes dont les théoristes modernes avoient inutilement cherché les raisons ; les métastases entr’autres, les douleurs vagues qu’on sent courir en différens endroits du corps, les maladies qui changent à chaque instant de place,

& plusieurs autres faits analogues, écueils où se venoient briser la sagacité & l’imagination de ces auteurs, se déduisent si naturellement de ce système, qu’ils en paroissent la confirmation.

Quelle que soit la fécondité des principes que nous venons d’exposer, quelle que soit la multiplicité & la force des preuves qui étaient la doctrine dont ils sont les fondemens ; une raison plus victorieuse encore combat en leur faveur ; un avantage infiniment plus précieux aux yeux du praticien éclairé s’y rencontre ; c’est que cette théorie loin de gêner, d’asservir l’observateur, de lui fasciner pour ainsi dire les yeux, & de diriger sa main, ne fait au-contraire que lui servir de point de vue fixe pour discerner plus exactement les faits ; bien éloignée en cela des théories ordinaires qui tyrannisent le praticien, & l’asservissent au joug souvent funeste du raisonnement. Pour faire sentir cette différence & le prix de cet avantage, je propose l’épreuve décisive de la pratique : qu’un malade se présente avec une fievre assez considerable, difficulté de respirer, point de côté assez vif, crachement de sang, &c. le médecin imbu des théories ordinaires, s’avance avec d’autant plus de courage qu’il a moins de lumiere, & au premier aspect de ces symptomes, ce despote absolu dit : « je prouve par mes raisonnemens que ces phénomenes sont des signes assurés d’une inflammation de la plevre ou du poumon ; je tiens pour maxime incontestable que les saignées sont le remede unique & par excellence de toute inflammation ; on ne sauroit trop en faire, & le moindre retardement est un grand mal ». En conséquence, il ordonne qu’on fasse coup-sur-coup plusieurs saignées, secours jamais curatif, quelquefois soulageant, & souvent inutile ou pernicieux ; il fait couler à grands flots le sang de l’infortuné malade, qui atteint d’une affection humorale, meurt bientôt après victime de ce théoriste inconsidéré ; que le même malade tombe entre les mains d’un médecin qui aura adopté la théorie que nous venons d’exposer ; moins prompt à se décider, s’il est conséquent à ses principes, il examinera attentivement, & les symptomes qui paroissent, & les causes qui ont précédé, attribuant tous ces symptomes au pervertissement de l’action du diaphragme, à un spasme plus ou moins étendu, il se rappellera en même tems que ce dérangement intérieur peut être l’effet de deux vices très-différens, ou produit par l’augmentation du ressort de la masse intestinale qu’auront occasionnée la présence & l’accumulation de mauvais sucs dans les premieres voies, ou tout-à-fait indépendant de cette cause ; considerant la maladie sous ce double aspect, il vient à-bout de décider par un examen plus réfléchi des symptomes propres, à quelle cause elle doit être attribuée : c’est là que s’arrête le théoricien ; le praticien observateur muni de ces connoissances, appelle à son secours les observations antérieures pour classer la maladie, & déterminer par quel genre de remedes il doit attaquer la cause qui se présente, comment il doit employer ces remedes, les varier, & dans quel tems il doit les administrer. Suivons-le dans le traitement de cette maladie pour indiquer combien cette théorie s’applique heureusement à la pratique : supposons que cette prétendue fluxion de poitrine soit du nombre de celles qui ne dépendent que du mauvais état de l’estomac & des intestins ; après une ou deux saignées & l’émétique que la violence des accidens peut exiger, il tournera toutes ses vues du côté du bas-ventre, il sollicitera par des purgatifs legers la solution du spasme de ce côté, & préparera par-là une crise prompte & salutaire. Attentif à suivre tous les mouvemens de la nature, si le spasme critique paroît se diriger vers quelqu’autre couloir ; instruit par divers signes, & surtout par le pouls de cette déter-