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que, & la 1539 année avant J. C. Il la nomma Sparte, du nom de sa femme ; & c’est le seul nom dont Homere fasse usage pour désigner la capitale de la Laconie.

Plus ancienne que Rome de 983 ans ; plus que Carthage de 867 ans ; plus que Syracuse de 995 ans ; plus qu’Alexandrie de 1405 années ; plus que Lyon de 1693 années ; & plus que Marseille de 1136, car Eusebe prétend que cette derniere ville a été bâtie 1736 ans avant la naissance de J. C.

La forme de Sparte étoit ronde, & son terrein inégal & coupé par des collines, selon la description de Polybe. Cet historien lui donne 48 stades de circuit, c’est-à-dire un peu plus de deux lieues de France ; circuit bien différent de celui d’Athènes, qui approchoit de 100 stades. C’est là-dessus que Thucydide fait une si belle remarque sur la fortune de ces deux villes, qui ont autrefois partagé toute la Grece pour leurs intérêts. « Imaginons-nous, dit il, que la ville de Sparte soit rasée, & qu’il en reste seulement les temples & le plan de ses édifices ; en cet état, la postérité ne pourroit jamais se figurer que sa puissance & sa gloire fussent montées au point où elles sont. Si nous supposons, au contraire, que la ville d’Athènes ne soit plus qu’une esplanade, son aspect nous devroit toujours persuader que sa puissance aura été deux fois plus grande qu’elle n’est ».

Dans les premiers tems, Sparte n’eut point de murailles, & quoiqu’ouverte, Agésilaüs la défendit contre Epaminondas, après la bataille de Leuctres : elle demeura telle 6 ou 700 ans, selon la plupart des historiens ; ce fut du tems de Pyrrhus que le tyran Nabis éleva des murs à cette ville. Philopoëmen les fit abattre, & Appius Claudius les rétablit bientôt après.

Hérodote dit que du tems de Xerxès, la ville de Sparte pouvoit fournir huit mille hommes capables de porter les armes ; mais ce nombre augmenta bien dans la suite, & rien ne prouve mieux la multitude des habitans de la république de Lacédémone, que les colonies qui en sont sorties. Elle peupla Byzance, quatre ou cinq villes d’Asie, une dans l’Afrique, cinq ou six dans la Grece, trois ou quatre provinces d’Italie, une ville en Portugal, & une autre en Espagne auprès de Cordoue. Cependant le nombre de ses habitans n’a roulé que sur la fécondité de leurs mariages. Sparte ne souffrit point que des familles étrangeres vinssent s’établir dans son enceinte, & jamais ville n’a été plus jalouse de son droit de bourgeoisie.

Elle fut toujours distinguée par les Romains, tant qu’ils en furent les maîtres ; enfin elle tomba sous la domination des Turcs, l’an de J. C. 1460, 7 ans après la prise de Constantinople, 5 ans après celle d’Athènes, & 3210 ans après sa fondation. On la nomme aujourd’hui Misistra, dont il est bon de voir l’article. Je passe maintenant à ce qu’elle étoit du tems de Pausanias. Voici la description qu’il en fait, dont j’élaguerai peu de chose.

En descendant de Thornax, dit-il, on trouvoit devant soi la ville de Sparte, qui étoit appellée ainsi de sa fondation ; mais qui dans la suite prit le nom de Lacédémone, parce que c’étoit le nom du pays. Il y avoit dans cette ville beaucoup de choses dignes de curiosité. En premier lieu, la place publique où se tenoit le sénat des vieillards, qui étoient au nombre de 28 ; le sénat de ceux qui sont les conservateurs des lois ; le sénat des éphores, & le sénat de ces magistrats qu’ils appelloient bidiéens. Le sénat des vieillards étoit le souverain tribunal des Lacédémoniens, & celui qui régloit toutes les affaires de l’état. Les autres sénateurs étoient, à-proprement parler, des archontes ; les éphores étoient au nombre de cinq, & les bidiéens de même. Ceux-ci étoient commis pour veiller sur les jeunes gens, & pour présider à leurs exer-

cices, soit dans le lieu qu’ils nommoient le plataniste,

soit par-tout ailleurs. Ceux-là étoient chargés de soins plus importans, & chaque année ils en nommoient un d’entr’eux qui présidoit aux autres, & dont le nom servoit à marquer l’année, de la même maniere qu’à Athènes les neuf élisoient un d’entr’eux, qui avoit le nom d’archonte par excellence.

Le plus bel édifice qu’il y eût dans la place, étoit le portique des Perses, ainsi nommé parce qu’il avoit été bâti des dépouilles remportées sur les Perses. Dans la suite on l’avoit beaucoup agrandi & orné. Tous les chefs de l’armée des Barbares, & entr’autres Mardonius, fils de Gobryas, avoient là chacun leurs statues de marbre blanc, & ces statues étoient sur autant de colonnes : on y voyoit aussi la statue d’Arthémise, fille de Lygdamis & d’Halicarnasse. On dit que cette reine de son propre mouvement, joignit ses forces à celles de Xerxès pour faire la guerre aux Grecs, & que dans le combat naval qui fut donné auprès de Salamine, elle fit des prodiges de valeur.

Après le portique des Perses, ce qu’il y avoit de plus beau à voir dans cette place, étoit deux temples, dont l’un étoit consacré à Jules-César, & l’autre à Auguste son fils. On remarquoit sur l’autel de ce dernier une figure d’Agias, gravée sur du cuivre : c’est cet Agias qui prédit à Lysander qu’il se rendroit maître de toute la flotte d’Athènes à Aigospotamos, à la réserve de dix galeres, qui en effet se sauverent en Chypre.

Dans la place de Sparte on voyoit encore trois statues, une d’Apollon pythien, l’autre de Diane, & la troisieme de Latone. L’endroit où étoient ces statues, étoit une enceinte qu’ils appelloient du nom de chœur, parce que dans ces jeux publics auxquels les jeunes gens s’exerçoient, & qui se célébroient avec beaucoup de solemnité, toute la jeunesse alloit là, & y formoit des chœurs de musique en l’honneur d’Apollon.

Près de-là étoient plusieurs temples, l’un consacré à la Terre, l’autre à Jupiter agoréus, un autre à Minerve agoréa, & un quatrieme à Neptune surnommé asphalius. Apollon & Junon avoient aussi chacun le leur : on voyoit aussi une grande statue qui représentoit le peuple de Sparte ; & un peu plus bas le temple des Parques. Tout joignant ce temple étoit le tombeau d’Oreste : auprès de sa sépulture on remarquoit le portrait du roi Polydore, fils d’Alcamène. Les Lacédémoniens ont tellement distingué ce roi entre tous les autres, que les actes publics ont été long-tems scellés de son sceau.

Au même lieu il y avoit un Mercure qui portoit un petit Bacchus, & ce Mercure étoit surnommé agoreus. Il y avoit aussi dans le même endroit des rangées d’anciennes statues, qui représentoient les éphores de ces tems-là. Parmi ces statues on voyoit le tombeau d’Epiménide, & celui d’Aphareus, fils de Périérès. Ducôté droit étoient les Parques ; on voyoit les salles où les Lacédémoniens prenoient ces repas publics qu’ils nommoient phidities, & là étoit aussi Jupiter hospitalier & Minerve hospitaliere.

En sortant de la place, & passant par la rue des Barrieres, on trouvoit une maison qu’ils appelloient le Boonete. Au-dessus du sénat des bidiéens il y avoit un temple de Minerve, où l’on dit qu’Ulysse consacra une statue à la déesse, sous le nom de Minerve celeuthea, comme un monument de la victoire qu’il avoit remportée sur les amans de Pénélope ; & il fit bâtir sous le même nom, trois temples en trois différens endroits. Au bout de la rue des Barrieres, on trouvoit une sépulture de héros, entr’autres celle d’Iops, qu’on croit avoir vécu environ le tems de Lelex & de Mylès, celle encore d’Amphiaraüs, fils d’Oïclès.