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trépié de la vie, & cette circulation d’activité établira la marche des fonctions qui, suivant Hippocrate même, abeunt in circulum.

Ainsi, pour nous en tenir aux principales de ces fonctions, qu’on peut regarder comme les modeles de toutes les autres, la digestion, ou ce qu’elle a d’animal ou de propre au corps vivant, dépend de la sensibilité singuliere de l’estomac, de son appétit particulier au moyen duquel il desire & retient les alimens qui lui plaisent, & cette sensibilité qui veille sans cesse s’oppose en même tems ou du-moins se refuse à ce que l’estomac se remplisse au-delà de ce qu’il faut, &c.

Nous verrons également les secrétions & les excrétions dépendre de cette sensibilité qui augmente le ressort de chaque organe sécrétoire, y occasionne une sorte de spasme ou d’érection qui constitue l’essence de ces deux fonctions, de même que le goût ou l’appétit particulier des nerfs de l’organe constitue le choix qu’il fait des humeurs secrétoires. Voyez ce que nous en disons au mot Secrétions.

Les effets de la sensibilité se manifestent encore mieux par l’histoire du flux menstruel chez les femmes ; ces évacuations, on a beau dire, ne sauroient s’expliquer méchaniquement, & il faut toujours avoir recours à la prodigieuse sensibilité de l’utérus, à ce centre qui se reveille & s’assoupit périodiquement, & dont tout le monde connoît le grand influx sur l’économie animale.

La fonction du cœur & du système vasculaire est également dûe à l’activité de ce principe sensitif, qui en se portant tantôt plus vers les parties qui font comme l’écorce du corps, & tantôt plus vers celles qui en font le centre, établit entre elles un antagonisme qui explique tout le jeu de la circulation. Vous trouverez qu’il en est de même de la respiration, c’est-à-dire, que son méchanisme consiste dans l’action alternative des parties sensibles de ces organes, principalement dans celle du diaphragme, qu’Hippocrate & de bonnes observations mettent avec le cœur au nombre des parties éminemment sensibles : cor imprimis & diaphragma sentiunt, dit ce pere de la Médecine, de morbo sacro, sect. iij. pag. 309. Voyez encore l’idée de l’homme physique & moral.

Les opérations de l’ame ne tiennent pas moins à la sensibilité. Le plaisir, le chagrin, toutes les passions semblent se peindre dans le centre remarquable formé dans la région épigastrique par quantité de plexus nerveux ; & certes il n’est point de combinaison difficile, d’attention bien forte, point d’effort de mémoire, qu’au préalable l’estomac & tout le centre épigastrique ne soient comme pressés d’un sentiment de mal-aise qui dénote l’action de ces organes. C’est une affaire de sentiment pour qui veut l’observer.

Ainsi dans le plaisir, l’ame sensitive agréablement émue dans le principal de ses centres, semble vouloir s’élargir, s’amplifier pour présenter plus de surface à la perception. Cette intumescence, s’il est permis de le dire, de l’ame sensible, répand dans toutes les parties le sentiment agréable d’un surcroit d’existence ; tous les organes montés au ton de cette sensation, s’embellissent, & l’animal, entraîné par la douce violence faite aux bornes ordinaires de son être, ne veut plus, ne sait plus que sentir, &c.

Dans le chagrin au contraire, ou dans la tristesse, l’ame sensitive se retire de plus en plus vers le noyau du corps dont elle laisse languir les fonctions ; mais si la passion va jusqu’à la terreur, c’est alors une irruption soudaine de l’ame vers ce noyau où vous diriez qu’elle se comprime tant qu’elle peut pour se garantir des perceptions : bientôt cependant revenue à elle-même, elle se débande en portant à la circonférence du corps les humeurs qu’elle y avoit concentrées avec elle, & si quelque partie qui, durant sa retraite,

n’avoit point l’exercice du sentiment, a été offensée, elle ne manque pas de reconnoître le dommage, & de se jetter avec une plus ou moins grande quantité d’humeurs & de force dans cette partie pour le réparer, &c. Or cette collection d’humeurs, de forces & de sensibilité, ne peut se faire sans douleur ; & il y a même tout lieu de penser qu’elle en est la cause matérielle.

La théorie des centres de l’ame sensitive & des transports de son activité, facilite encore l’explication de beaucoup d’autres phénomenes, comme par exemple, celle des tempéramens qui, suivant nos principes, peuvent être regardés comme le résultat des modifications imprimées à certains organes par un surcroit de sensibilité & d’action habitué à ces organes ; enfin celle des différentes habitudes des individus, dont nous aurons occasion de parler dans la suite de cet article, & qui ne sont pas assurément un objet à négliger dans l’étude de l’économie animale, &c.

Il faut donc considérer la sensibilité dans l’état naturel de l’homme comme un être qui ne cherche, qui ne respire que sentiment & mouvement, dont la nature est la même dans tous les sujets ; mais dont les effets varient conséquemment à la disposition ou à l’indisposition des organes, à qui seule on doit imputer les ataxies apparentes de l’exercice de cette ame sensible ; c’est en même tems, comme nous l’avons vu, par les transports de son activité d’un organe à l’autre, qu’elle se procure les différentes sensations, & détermine les différens appétits qui constituent & aiguillonnent notre existence ; en quoi se trouve confirmée cette vérité de tous les siecles, savoir, que vivre, c’est proprement sentir.

Sensibilité dans l’état contre nature, ou par rapport à la Pathologie. La sensibilité, suivant tout ce que nous venons d’exposer, étant distribuée par doses à toutes les parties organiques du corps, chaque organe sent ou vit à sa maniere, & le concours ou la somme de ces vies particulieres fait la vie en général, de même que l’harmonie, la symmétrie & l’arrangement de ces petites vies fait la santé.

Mais lorsque cette distribution & cette action économique de la sensibilité se trouvent dérangées à un certain point par l’indisposition des nerfs ou des parties organiques, ce dérangement est l’état qu’on appelle de maladie, ou la maladie même, laquelle se borne pour l’ordinaire à ce dérangement, sans y supposer la destruction du principe sensitif.

Néanmoins cette destruction arrive quelquefois lorsque l’intensité des causes nuisibles venant à éloigner ou à suspendre trop long-tems la présence ou l’exercice de la sensibilité dans une partie, cette partie vient à se corrompre physiquement, comme dans la gangrene ; ainsi par le progrès de cette corruption, la maladie amene la mort, qui consiste dans un changement du corps animal en corps physique. Voilà donc pourquoi l’animal meurt, c’est qu’il cesse d’avoir dans la contexture de ses parties la disposition qui y fixoit ou entretenoit la flamme sensitive qui en faisoit un être vivant ; voilà pourquoi les parties des animaux morts de mort violente possedent pendant quelque tems un reste de vie ou de sensibilité, parce que les filamens nerveux de ces parties n’ont pas encore reçu le coup mortel que leur porte seulement le commencement de corruption physique ou de putréfaction qui est directement opposée à la vie.

Ce phénomene de la palpitation des chairs & des visceres observé de tous les tems, apperçu même par les bouchers, est également attribué à un reste du feu sensitif par de très-grands & très-anciens philosophes. Voyez Cicéron, de natura deorum. C’est-là cette prétendue divinité que cherchoient dans les entrailles des animaux les haruspices des anciens, & dont