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pratiqué dans un coin de mur, une tribune destinée pour le grand-seigneur, qui s’y rend par un escalier dérobé. Il y a devant le portail des réduits de marbre en façon d’oratoires, couverts d’un petit dôme, qui servent de sépulture aux jeunes princes ottomans.

Au-delà du portique qui est devant cette mosquée, & dans lequel les femmes mahométannes viennent quelquefois faire leurs prieres, il y a plusieurs portes, dont une seule reste ouverte pour l’entrée. On y voit en-dehors quatre minarets ou petites tours à plusieurs étages, avec des balcons en saillie : les muozims y montent quatre à cinq fois le jour à certaines heures, pour appeller les turcs au naama, c’est-à-dire à l’oraison, car les Mahométans ne se servent point de cloches. Ceux qui voudront de plus grands détails, les trouveront dans du Loir. (D. J.)

SOPHIS ou SOPHÉES, s. m. (Hist. mod.) espece d’ordre de religieux mahométans en Perse, qui répond à celui qu’on appelle dervis, chez les Turcs & les Arabes ; & fakirs, chez les Indiens. Voyez Dervis & Fakirs.

Quelques uns prétendent qu’on les nomme sophis, à cause d’une espece d’étoffe qu’ils portent qu’on appelle souf, parce qu’elle se fabrique dans la ville de Souf, en Syrie ; d’autres, parce qu’ils ne portent par humilité à leur turban, qu’une étoffe de laine qu’on nomme en arabe, sophi ; d’autres enfin veulent que ce soit du mot arabe sophie, qui signifie pur & simple, parce qu’ils professent la pure religion de Mahomet, qui est selon eux celle de la secte d’Aly.

Le plus éminent de ces sophis est toujours décoré du titre de scheik, c’est-à-dire révérend. Scheik sophi qui jetta les premiers fondemens de la grandeur de la maison royale de Perse, éteinte par les dernieres révolutions, fut le fondateur ou plutôt le restaurateur de cet ordre. Ismael qui conquit la Perse, étoit lui-même sophi, & se faisoit gloire de l’être. Il choisit tous ses gardes parmi les membres de cet ordre, & voulut que tous les grands seigneurs de sa cour fussent sophis. Le roi de Perse & les seigneurs continuent à y entrer, quoiqu’il soit à présent tombé dans un grand mépris ; car les sophis du commun sont employés ordinairement en qualités d’huissiers ou de domestiques de la cour, & même d’exécuteurs de la justice ; & les derniers rois de Perse ne vouloient pas leur permettre de porter l’épée en leur présence. Ce mépris dans lequel sont les sophis, a été cause que les rois de Perse ont quitté ce titre pour prendre celui de scheik, qui signifie roi ou empereur. Mais M. de la Croix s’est trompé, en prétendant qu’ils n’avoient jamais porté le nom de sophi.

SOPHISME, s. m. (Logique.) le sophisme est le singe du syllogisme. Pour être séduisant & captieux, il faut nécessairement qu’il en affecte la figure & la mine. On peut dire de lui en général, que ce qu’il a de vicieux consiste dans une contravention à quelqu’une des regles générales ou particulieres de quelqu’une des quatre figures, d’où résultent toutes les sortes des syllogismes.

La logique du Port-Royal les réduit à sept ou huit, ne s’arrêtant pas à remarquer ceux qui sont trop grossiers pour surprendre les personnes un peu attentives.

Le premier, consiste à prouver autre chose que ce qui est en question. Ce sophisme est appellé par Aristote ignoratio elenchi, c’est-à-dire l’ignorance de ce qu’on doit prouver contre son adversaire ; c’est un vice très-ordinaire dans les contestations des hommes. On dispute avec chaleur, & souvent on ne s’entend pas l’un l’autre. La passion ou la mauvaise foi fait qu’on attribue à son adversaire ce qui est éloigné de son sentiment, pour le combattre avec plus d’avantage, ou qu’on lui impute les conséquences

qu’on s’imagine pouvoir tirer de sa doctrine, quoiqu’il les désavoue & qu’il les nie.

Le second suppose pour vrai ce qui est en question ; c’est ce qu’Aristote appelle pétition de principe. On peut rapporter à ce sophisme tous les raisonnemens où l’on prouve une chose inconnue, par une qui est autant ou plus inconnue, ou une chose incertaine, par une autre qui est autant ou plus incertaine.

La troisieme prend pour cause ce qui n’est point cause. Ce sophisme s’appelle non causa pro causâ, il est très-ordinaire parmi les hommes, & on y tombe en plusieurs manieres : c’est ainsi que les Philosophes ont attribué mille effets à la crainte du vuide, qu’on a prouvé démonstrativement en ce tems & par des expériences ingénieuses, n’avoir pour cause que la pesanteur de l’air. On tombe dans le même sophisme, quand on se sert de causes éloignées & qui ne prouvent rien, pour prouver des choses ou assez claires d’elles-mêmes, ou fausses, ou du-moins douteuses. L’autre cause qui fait tomber les hommes dans ce sophisme, est la sotte vanité qui nous fait avoir honte de reconnoître notre ignorance ; car c’est de-là qu’il arrive que nous aimons mieux nous forger des causes imaginaires des choses dont on nous demande raison, que d’avouer que nous n’en savons pas la cause ; & la maniere dont nous nous échappons de cette confession de notre ignorance est assez plaisante. Quand nous voyons un effet dont la cause est inconnue, nous nous imaginons l’avoir découverte, lorsque nous avons joint à cet effet un mot général de vertu ou de faculté, qui ne forme dans notre esprit aucune autre idée, sinon que cet effet a quelque cause ; ce que nous savions bien, avant d’avoir trouvé ce mot. Ceux qui ne font point profession de science, & à qui l’ignorance n’est pas honteuse, avouent franchement qu’ils connoissent ces effets, mais qu’ils n’en savent pas la cause ; au lieu que les savans qui rougiroient d’en dire autant, s’en tirent d’une autre maniere, & prétendent qu’ils ont découvert la vraie cause de ces effets, qui est, par exemple, qu’il y a dans les arteres une vertu pulsifique, dans l’aimant une vertu magnétique, dans le sené une vertu purgative, & dans le pavot une vertu soporifique. Voilà qui est fort commodément résolu ; & il n’y a point de Chinois qui n’eût pû avec autant de facilité, se tirer de l’admiration où on étoit des horloges en ce pays-là, lorsqu’on leur en apporta d’Europe ; car il n’auroit eu qu’à dire, qu’il connoissoit parfaitement la raison de ce que les autres trouvoient si merveilleux, & que ce n’étoit autre chose, sinon qu’il y avoit dans cette machine une vertu indicatrice qui marquoit les heures sur le cadran, & une vertu sonorifique qui les faisoit sonner : il se seroit rendu par-là aussi savant dans la connoissance des horloges, que le sont ces Philosophes dans la connoissance du battement des arteres, & des propriétés de l’aimant, du sené & du pavot.

Il y a encore d’autres mots qui servent à rendre les hommes savans à peu de frais, comme de sympathie, d’antipathie, de qualités occultes. Ce qui les rend ridiculement savans, c’est qu’ils s’imaginent l’être effectivement, pour avoir trouvé un mot auquel ils attachent une certaine qualité imaginaire, que ni eux ni personne n’a jamais conçue.

Le quatrieme consiste dans un dénombrement imparfait. C’est le défaut le plus ordinaire des personnes habiles que de faire des dénombremens imparfaits, & de ne considérer pas assez toutes les manieres dont une chose peut être ou peut arriver ; d’où ils concluent témérairement, ou qu’elle n’est pas, parce qu’elle n’est pas d’une certaine maniere, quoiqu’elle puisse être d’une autre : ou qu’elle est de telle & telle façon, quoiqu’elle puisse être encore d’une autre maniere qu’ils n’ont pas considérée.