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nambule, sans être sorti de son lit, éprouva tous les symptomes qu’occasionne l’eau glacée, précisément parce qu’il a cru avoir été plongé dans cette eau quelque tems. Nous pourrions demander encore l’explication d’un grand nombre d’autres phénomenes que les somnambules nous fournissent, mais nous n’en retirerions pas plus de lumieres. Il faut convenir de bonne foi qu’il y a bien des choses dont on ne sait pas la raison, & qu’on chercheroit inutilement. La nature a ses mysteres, gardons-nous de vouloir les pénetrer, sur-tout lorsqu’il ne doit résulter aucune utilité de ces recherches, à-moins de ne vouloir s’exposer gratuitement à débiter des erreurs & des absurdités.

Je vais plus loin : non-seulement on ne sauroit expliquer les faits que nous avons rapportés ; mais ces phénomenes en rendent d’autres qu’on croyoit avoir compris inexplicables, & jettent du doute & de l’obscurité sur des questions qui passent pour décidées ; par exemple :

On croit communément que le sommeil consiste dans un relâchement général qui suspend l’usage des sens & tous les mouvemens volontaires ; cependant le somnambule ne se sert-il pas de quelques sens, ne meut-il pas différentes parties du corps avec motif & connoissance de cause ? & le sommeil n’est cependant pas moins profond.

2°. S’il ne se sert pas de ses sens pour obtenir les sensations, comme il est incontestable que cela arrive quelquefois, on peut donc conclure avec raison que les objets même corporels peuvent, sans passer par les sens, parvenir à l’entendement. Voilà donc une exception du fameux axiome, nihil est in intellectu quod prius non fuerit in sensu. Il ne faut pas confondre ce qui se passe ici avec ce qui arrive en songe. Un homme qui rêve, de même que celui qui est dans le délire, voit comme présens des objets qui ne le sont pas ; il y a un vice d’apperception, & quelquefois de raisonnement ; mais ici les objets sont présens à l’imagination, comme s’ils étoient transmis par les sens, ce sont les mêmes que le somnambule verroit s’il r’ouvroit les yeux & en reprenoit l’usage. Ils sont existans devant lui de la même maniere qu’il se les représente ; l’apperception qu’il en auroit par l’entremise des sens ne seroit pas différente.

3°. Les plus grandes preuves que le philosophe donne de l’existence des corps sont fondées sur les impressions qu’ils font sur nous ; ces preuves perdent nécessairement beaucoup de leur force, si nous ressentons les mêmes effets sans que ces corps agissent réellement ; c’est précisément le cas du somnambule, qui gele & frissonne sans avoir été exposé à l’action de l’eau glacée, & simplement pour se l’être vivement imaginé : il paroît par-là que les impressions idéales font quelquefois autant d’effet sur le corps que celles qui sont réelles, & qu’il n’y a aucun signe assuré pour les distinguer.

4°. Sans nous arrêter plus long tems sur ces considérations, qui pourroient être plus étendues & généralisées, tirons une derniere conséquence peu flatteuse pour l’esprit humain, mais malheureusement très-conforme à la vérité ; savoir, que la découverte de nouveaux phénomenes ne fait souvent qu’obscurcir ou détruire nos connoissances, renverser nos systèmes, & jetter des doutes sur des choses qui nous paroissoient évidentes : peut-être viendra-t-on à bout d’oter tout air de paradoxe à cette assertion ; que c’est le comble de la science que de savoir avec Socrate qu’on ne sait rien.

Pour ce qui regarde la Médecine, il nous suffit d’être fondés à croire que tous ces phénomenes dénotent dans le somnambule une grande vivacité d’imagination, ou, ce qui est le même, une tension excessive des fibres du cerveau, & une extrème sensi-

bilité. Les causes qui disposent à cette maladie sont

peu connues ; les médecins ne se sont jamais occupés à les rechercher ; ils se sont contentés d’écouter comme le peuple, les histoires merveilleuses qu’on fait sur cette matiere. En examinant les personnes qui y sont les plus sujettes, on voit que ce sont celles qui s’appliquent beaucoup à l’étude, qui y passent les nuits, ou qui s’échauffent la tête par d’autres occupations.

La santé des somnambules ne paroît du tout point altérée, leurs fonctions s’exécutent avec la même aisance, & leur état ne mériteroit pas le nom de maladie, s’il n’étoit à craindre qu’il n’empirât, que la tension des fibres du cerveau n’augmentât & ne dégénérât enfin en relâchement. La manie paroît devoir être le terme du somnambulisme, peut-être n’en est-elle que le premier degré & n’en differe pas essentiellement.

Il paroît donc important de dissiper cette maladie avant qu’elle se soit enracinée par le tems, & qu’elle soit devenue plus forte & plus opiniâtre ; mais les moyens d’y parvenir ne sont pas connus, ils ne paroissent pas même faciles à trouver ; c’est dans la médecine rationnelle qu’il faut les chercher : les observations pratiques manquent tout-à-fait ; l’analogie nous porte à croire que ceux qui sont propres à la manie pourroient réussir dans le somnambulisme. Voyez Manie. C’est encore une très-foible ressource ; car personne n’ignore combien peu les remedes les plus variés ont de prise sur cette terrible maladie. En tirant les indications des causes éloignées du somnambulisme, & de l’état du cerveau & des nerfs, il paroît que la méthode de traitement la plus sûre doit être de dissiper ces malades, de les faire voyager, de les distraire des occupations trop sérieuses, de leur en présenter qui soient agréables, & qui n’attachent pas trop : on pourroit seconder ces effets par les bains froids, remedes excellens & trop rarement employés, pour calmer la mobilité du système nerveux. Quant aux somnambules qui se levent, & qui courent de côté & d’autre, & qui risquent par-là de tomber dans des précipices, de se jetter par la fenêtre, comme il arriva à un qui imaginant avoir dans sa chambre Descartes, Aristote & quelques autres philosophes, crut tout-à-coup les voir sortir par la fenêtre, & se disposoit à les accompagner, s’il n’avoit été retenu : il faut les attacher dans leur lit, fermer exactement les portes, griller les fenêtres, & s’ils se levent, les éveiller à coups de fouet. Ce remede réussit à bien des personnes. Un somnambule fut aussi guéri par un remede que je me garderai bien de conseiller, ce fut en se jettant d’une fenêtre fort élevée : il se rompit le bras, & depuis ne ressentit aucune atteinte de cette maladie. (m)

SOMNIALES DII, (Mytholog.) c’étoient les dieux qui présidoient au sommeil, & qui rendoient leurs oracles par les songes. Les savans n’ignorent pas qu’il y avoit des dieux particuliers qui présidoient aux songes, & qu’il y avoit des ministres préposés pour leur culte. M. Spon rapporte une inscription qu’il avoit copiée à Florence dans le palais de Strozzi, où il est parlé du culte d’Hercule, comme d’un dieu qui présidoit aux songes. Cette inscription porte : cultores Herculis somnialis ; on trouve diverses statues du même dieu avec ces mots, deo somniali.

Il est peut-être difficile de déterminer par quelle raison les anciens croyoient qu’Hercule présidoit aux songes : il n’en est pas moins certain qu’ils le croyoient, & qu’on envoyoit les malades dormir dans ses temples, pour y avoir en songe quelque agréable présage du rétablissement de leur santé. (D. J.)

SOMNIFERES, adj. (Mat. méd.) épithete que l’on donne aux remedes qui procurent le sommeil ; tels sont la cinoglosse, la jusquiame, la belladone,