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alors la solidité du corps irrégulier sera 144. (E)

Solidité, s. f. (Physiq.) idée qui nous vient par l’attouchement, & qui est causée par la résistance que nous éprouvons ou que nous remarquons dans un corps jusqu’à ce qu’il ait quitté le lieu qu’il occupe, lorsqu’un autre corps y entre acctuellement.

Voici l’article que M. Formy a bien voulu nous communiquer sur ce sujet.

De toutes les idées que nous recevons par sensation, il n’y en a point que nous recevions plus constament que celle de la solidité. Soit que nous soyons en mouvement ou en repos, dans quelque situation que nous nous mettions, nous sentons toujours quelque chose qui nous soutient, & qui nous empêche d’aller plus bas ; & nous éprouvons tous les jours, en maniant des corps, que tandis qu’ils sont entre nos mains, ils empêchent par une force invincible l’approche des parties de nos mains qui les pressent. Or, ce qui empêche ainsi l’approche de deux corps, lorsqu’ils se meuvent l’un vers l’autre, c’est ce que l’on appelle solidité, & que l’on peut nommer aussi impénétrabilité. C’est de toutes les idées celle qui paroît la plus essentiellement & la plus étroitement unie au corps, en sorte qu’on ne peut la trouver ou imaginer ailleurs que dans la matiere.

Par-tout où nous imaginons quelque espace occupé par une substance solide, nous concevons que cette substance occupe de telle sorte cet espace, qu’elle en exclut toute autre substance solide, & qu’elle empêchera à-jamais deux autres corps qui se meuvent en ligne droite l’un vers l’autre, de venir à se toucher, si elle ne s’éloigne d’entr’eux par une ligne qui ne soit point parallele à celle sur laquelle ils se meuvent actuellement.

Cette résistance qui empêche que d’autres corps n’occupent l’espace dont un corps est actuellement en possession, est si grande, qu’il n’y a point de force, quelque puissante qu’elle soit, qui la surmonte. Que tous les corps du monde pressent de tous côtés une goutte d’eau, ils ne pourront jamais vaincre la résistance qu’elle fera, quelque molle qu’elle soit, jusqu’à s’approcher l’un de l’autre, si auparavant ce petit corps n’est ôté de leur chemin. Les partisans de l’espace pur en concluent que la solidité differe de cet espace qui n’a ni résistance ni mouvement. Sans contredit, la solidité n’est pas un attribut de l’espace pur, puisque celui-ci n’est qu’une simple abstraction, prise de la considération de l’espace réel, qui n’est lui-même réel qu’en vertu des corps qui l’occupent. C’est aux corps que convient l’impénétrabilité, la solidité, & diverses autres propriétés ; & les corps étant annihilés, il ne reste absolument rien, que la possibilité d’en produire d’autres dont l’existance renouvelleroit l’espace détruit avec les précédens. C’est donc une distinction chimérique, selon M. Formey auteur de cet article, que celle que l’on met entre l’étendue des corps & l’étendue de l’espace, en disant que la premiere est une union, ou continuité de parties solides divisibles, & capables de mouvement, & l’autre une continuité de parties non solides, indivisibles, & immobiles.

La solidité d’un corps n’emporte autre chose, si ce n’est que ce corps remplit l’espace qu’il occupe, de telle sorte qu’il exclut absolument tout autre corps, au lieu que la dureté consiste dans une forte union de certaines parties de matiere qui composent des masses d’une grosseur sensible, de sorte que toute la masse ne change pas aisément de figure. En effet le dur & le mou sont des noms que nous devons aux choses seulement par rapport à la constitution particuliere de notre corps. Ainsi nous donnons généralement le nom de dur à tout ce que nous ne pouvons sans peine changer de figure en le pressant avec quelque partie

de notre corps ; & au contraire nous appellons mou ce qui change la situation de ces parties, lorsque nous venons à le toucher, sans faire aucun effort considérable & pénible. Mais la difficulté qu’il y a à faire changer de situation aux différentes parties sensibles d’un corps, ou à changer la figure de tout le corps ; cette difficulté, dis-je, ne donne pas plus de solidité aux parties les plus dures de la matiere qu’aux plus molles ; & un diamant n’est pas plus solide que l’eau : car quoique deux plaques de marbre soient plus aisément jointes l’une à l’autre, lorsqu’il n’y a que de l’eau ou de l’air entre deux, que s’il y avoit un diamant : ce n’est pas à cause que les parties du diamant sont plus solides que celles de l’eau ou qu’elles résistent davantage, mais parce que les parties pouvant être plus aisément séparées les unes des autres, elles sont écartées plus facilement par un mouvement oblique, & laissent aux deux pieces de marbre le moyen de s’approcher l’une de l’autre ; mais si les parties de l’eau pouvoient n’être point chassées de leur place par ce mouvement oblique, elles empêcheroient éternellement l’approche de ces deux pieces de marbre tout-aussi-bien que le diamant ; & il seroit aussi impossible de surmonter leur résistance par quelque force que ce fût, que de vaincre la résistance des parties du diamant.

Car que les parties de matiere les plus molles & les plus flexibles qu’il y ait au monde, soient entre deux corps quels qu’ils soient, si on ne les chasse point de-là, & qu’elles restent toujours entre deux, elles résisteront aussi invinciblement à l’approche de ces corps, que le corps le plus dur que l’on puisse trouver ou imaginer. On n’a qu’à bien remplir d’eau ou d’air un corps souple & mou, pour sentir bientôt de la résistance en le pressant : & quiconque s’imagine qu’il n’y a que les corps durs qui puissent l’empêcher d’approcher ses mains l’une de l’autre, peut se convaincre du contraire par le moyen d’un ballon rempli d’air. L’expérience faite à Florence avec un globe d’or concave, qu’on remplit d’eau & qu’on referma exactement, fait voir la solidité de l’eau, toute liquide qu’elle soit. Car ce globe ainsi rempli, étant mis sous une presse qu’on serra à toute force, autant que les vis purent le permettre, l’eau se fit chemin à elle-même à-travers les pores de ce métal si compact. Comme ces particules ne trouvoient point de place dans le creux du globe pour se resserrer davantage, elles s’échapperent au-dehors où elles s’exhalerent en forme de rosée, & tomberent ainsi goutte à goutte avant qu’on pût faire ceder les côtés du globe à l’effort de la machine qui les pressoit avec tant de violence.

La solidité est une propriété non-seulement commune, mais même essentielle à tous les corps. Cela est vrai, soit qu’on considere les corps dans leur tout, soit qu’on n’ait égard qu’à leurs parties les plus simples. C’est aussi le signe le moins équivoque de leur existance. Des illusions d’optique en imposent quelquefois à nos yeux ; nous sommes tentés de prendre des fantômes pour des réalités ; mais en touchant, nous nous assurons du vrai par la persuasion intime où nous sommes que tout ce qui est corps est solide, capable par conséquent de résistance, & qu’on ne peut placer le doigt ou autre chose dans un lieu qui est occupé par une matiere quelconque, sans employer une force capable de la pousser ailleurs. Toute résistance annonce donc une solidité réelle plus ou moins grande. C’est une vérité tellement avouée, qu’elle n’a besoin d’autre preuve que de l’habitude où l’on est de confondre les deux idées ; quoiqu’à parler exactement, l’une représente la cause & l’autre l’effet. Mais il y a tel cas où l’une & l’autre (la solidité & la résistance) échappent à nos sens ou à notre attention.