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espece ; le bord du trou est tapissé d’une toile qui se prolonge dans l’intérieur, en forme de tuyau ; les fils dont les œufs sont enveloppés ne sont pas d’une meilleure qualité que ceux de la toile. La troisieme espece comprend les araignées dont les filets ne sont pas tissus comme une toile, mais seulement composés de différens fils tirés en tout sens. Cette espece pourroit être sous-divisée en un grand nombre d’autres ; les unes font leur coque en portion de sphere dont les bords sont collés sur une feuille ; ces coques sont très-blanches, & d’un tissu serré ; les araignées les couvent constamment, & se laissent emporter avec la feuille sans abandonner la coque ; d’autres renferment leurs œufs dans deux ou trois petites boules rougeâtres ; elles suspendent ces boules à des fils, & les cachent avec un petit paquet de feuilles seches qu’elles suspendent aussi à des fils au-devant de la boule, & à quelque distance ; d’autres enfin font leur coque en forme de poire, & les suspendent comme une poire le seroit par la queue. Toutes ces coques sont composées d’une soie trop foible pour être travaillée, excepté celles qui sont en poire ; leur soie pourroit être employée, mais il y en a si peu qu’elle ne peut être d’aucune utilité. La quatrieme espece est celle que M. Homberg donne sous le nom d’araignée des jardins, où elle est fort commune, comme dans les bois & dans les buissons ; elle renferme beaucoup d’autres especes différentes par leur grosseur, leur figure & leur couleur. Les œufs de ces araignées sont arrangés dans les coques de façon qu’elles ont à-peu-près la figure d’une sphere applatie. Les œufs de quelques-unes de ces araignées sont collés les uns aux autres dans la coque. La soie des coques de toutes ces araignées est d’assez bonne qualité pour être employée ; il y a cependant quelques especes dont la soie seroit trop foible pour soutenir des métiers un peu rudes. Les premiers fils qui enveloppent les œufs sont plus tendus & plus serrés que ceux du dessus qui sont lâches comme les fils extérieurs des coques des vers-à-soie.

La soie des vers est toujours aurore ou blanche, on trouveroit plus de variété dans les couleurs de la soie des araignées ; il y a du jaune, du blanc, du gris, du bleu céleste & du beau brun caffé. Les araignées dont la soie est de cette derniere couleur sont rares ; on trouve leurs coques dans des champs de genêt ; la soie en est très-forte & très-belle : les œufs sont enveloppés d’une soie brune qui est recouverte par une autre soie grise dont le tissu est plus serré que celui de la soie brune.

Les araignées qui sont nées au printems font leurs coques aux mois d’Août & de Septembre ; celles qui ont passé l’hiver les font dès le mois de Mai. Les fils qui composent les coques ne different de ceux des toiles que parce qu’ils sont plus forts. Un fil d’araignée n’est plus fort qu’un autre, que parce qu’il est composé d’une plus grande quantité de petits fils au sortir des mamelons. Chaque mamelon est parsemé de plusieurs petites filieres, dont sort la liqueur qui forme les fils. Si on applique le doigt sur un mamelon pendant qu’on presse le ventre de l’araignée, il s’y attache plusieurs fils, que l’on alonge en le retirant : on en a compté plus de sept ou huit sur le même mamelon. Lorsque l’araignée se dispose à filer, si elle applique tous ses mamelons à-la-fois, & si elle colle chaque mamelon en entier, le fil qui en résultera sera composé d’un nombre de fils bien plus grand qu’il ne seroit, si elle n’appliquoit qu’un seul mamelon, ou seulement une partie de ce mamelon. Les araignées qui filent la bonne soie ont six mamelons, dont il y en a quatre qui sont fort sensibles ; les deux autres sont si petits qu’on ne peut les distinguer qu’avec une loupe.

Un fil tiré des toiles ne peut porter que deux grains sans se rompre ; les fils des coques peuvent

soutenir chacun le poids d’environ trente-six grains ; mais un seul fil de coque de ver-à-soie porte jusqu’à deux gros & demi, c’est-à-dire qu’il est quatre fois plus fort que le fil d’araignée : il est aussi à-peu-près quatre fois plus gros. Ainsi en réunissant cinq fils d’araignée en un seul, ce fil composé pourroit être aussi fort qu’un fil de ver-à-soie sans être plus gros ; mais il ne seroit jamais aussi lustré, parce que les fils réunis laisseroient des vuides entr’eux qui ne donneroient point de reflets. Les ouvrages que l’on a faits de fils d’araignée n’ont pas eu autant de lustre que les ouvrages de soie ordinaire, parce que les fils de la soie des araignées sont si crêpés, qu’au lieu de la devider on est toujours obligé de la carder & de la filer ensuite.

Lorsqu’on emploie cette soie elle paroît rendre davantage que la soie ordinaire à poids égal ; il est aisé de trouver la cause de cette différence. Un fil de soie tel que les plus fins de ceux dont on se sert pour coudre, est composé d’environ 200 fils simples tels qu’on les tire de la coque. Pour qu’un fil fait de soie d’araignée soit aussi fort que ce fil à coudre, il faut qu’il soit composé de 36000 fils simples pareils à ceux des toiles ; car en supposant qu’il n’y ait que deux mamelons qui fournissent chacun un fil simple pour composer un fil propre à faire la toile des araignées, ce fil, quoique composé de deux fils simples, est cependant dix-huit fois plus foible que le fil de la coque, comme on l’a déja vu par l’expérience rapportée plus haut : ainsi il faudra au-moins trente-six fils simples, tels qu’ils sortent des mamelons, pour faire un fil de coque ; de plus le fil de coque étant quatre fois plus foible qu’un fil de soie ordinaire, il faudra réunir 90 fils de coque, c’est-à-dire, selon notre supposition, 180 fils simples pour faire un fil de soie d’araignée aussi fort qu’un fil de coque de soie ordinaire : par conséquent s’il faut 200 de ces fils de soie ordinaire pour faire un fil à coudre, il faudra 36000 fils simples d’araignées pour faire un fil aussi fort que le fil à coudre. Il est impossible de réunir cette prodigieuse quantité de fils de façon qu’ils ne laissent entre eux plus de vuide qu’il n’y en a dans le fil de soie ordinaire : c’est pourquoi les ouvrages de soie d’araignée doivent être beaucoup plus épais que ceux de soie ordinaire pour qu’ils puissent avoir autant de force : ainsi la soie des araignées ne rend pas plus pour la force que la soie ordinaire quoiqu’elle rende plus pour le volume.

Les coques des vers-à-soie les plus fortes pesent 4 grains & les plus foibles plus de trois grains, de sorte qu’il faut au-moins 2304 vers pour faire une livre de soie de seize onces. Les coques d’araignées les plus grosses pesent environ un grain ; ainsi il faut quatre grosses araignées pour donner autant de soie qu’un seul ver. De plus il y a un grand déchet dans les coques des araignées, elles sont remplies des coques des œufs & autres ordures ; ce déchet est de plus des deux tiers du poids. M. Bon avoue que de treize onces de soie d’araignée sale, il n’en retira que quatre onces de soie nette : ainsi douze araignées ne donneront pas plus de soie qu’un seul ver. D’ailleurs s’il y a des araignées mâles & des araignées femelles, & si on suppose que le nombre des mâles égale celui des femelles, comme il n’y aura que les femelles qui puissent donner des coques, il faudra vingt araignées tant mâles que femelles pour donner autant de soie qu’un seul ver, & par conséquent 55296 araignées ne produiront qu’une livre de soie, encore faudra-t-il qu’elles soient des plus grosses de ce pays ; car douze araignées qui ne seroient que d’une grosseur médiocre, par exemple, de celles que l’on trouve dans les jardins, donneront beaucoup moins de soie ; il en faudroit 663552 pour en avoir une livre : enfin, il faudroit nourrir séparément toutes ces araignées, &