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de favoriser. C’étoit à ce corps de déférer les actions de graces ou les éloges à ceux qui les avoient mérités ; le pardon & la récompense aux ennemis, ou à ceux qui avoient découvert quelque trahison ; il avoit le droit de déclarer quelqu’un ennemi de la patrie, & de prescrire un changement général d’habits dans le cas de quelque danger, ou de quelque malheur pressant.

10°. Tels étoient les principaux chefs dans lesquels le sénat avoit constamment exercé une jurisdiction particuliere à l’exception du peuple. Ce n’étoit pas en conséquence de quelque loi expresse ; mais en se conformant aux coutumes & aux anciens usages qui avoient eu lieu dès les premiers tems ; & comme on éprouvoit, par une longue expérience, que c’étoit la maniere la plus utile de régler les affaires publiques, & la plus convenable pour maintenir la tranquillité & le bonheur des citoyens, cette jurisdiction fut, du consentement tacite du peuple, laissée entre les mains du sénat, bien plus comme une chose de convenance que de droit. Ainsi, dans l’objet du bien public, cet usage fut plutôt approuvé & toléré qu’il ne fut accordé.

Mais toutes les fois qu’un tribun entreprenant, ou que quelque magistrat factieux mécontent d’obtenir selon l’usage les dignités de la république, que le sénat étoit disposé à lui accorder, se déterminoit à recourir à l’autorité du peuple, pour obtenir quelque distinction particuliere ; dans ce cas, le peuple excité par les intrigues & l’artifice de ces hommes factieux qui se déclaroient leurs chefs, cherchoit à reprendre les différentes parties de cette jurisdiction dont j’ai parlé, & qui avoit toujours été administrée par le sénat. Depuis que cette méthode avoit été employée avec succès dans quelques cas, elle devint insensiblement le recours de tous ceux qui, pour satisfaire leur ambition, affectoient un caractere de popularité. Elle fut portée si loin à la fin, que le sénat fut dépouillé de tout son pouvoir & de toute l’influence qu’il avoit dans les affaires publiques.

Passons à la convocation & aux lieux d’assemblées du sénat.

Le sénat étoit toujours convoqué par le dictateur lorsqu’on le créoit dans quelque conjoncture critique ; mais dans tous les autres cas, le droit de convoquer le sénat appartenoit aux consuls, suprèmes magistrats de la république. Dans leur absence, ce droit étoit dévolu, selon les lois, aux magistrats subordonnés, tels que les préteurs & les tribuns. Il est vrai que ces derniers se croyoient fondés à convoquer le sénat dans quelque tems que ce fût, & lorsque les intérêts du peuple le requéroient ; mais malgré cette prétention, par respect pour l’autorité consulaire, on ne convoqua jamais de cette maniere le sénat, que lorsque les consuls étoient absens ; à moins que ce ne fût dans des affaires d’importance & dans des cas imprévus, où il falloit prendre une prompte détermination. Enfin, lorsque les décemvirs, les entre-rois ou les triumvirs furent établis pour gouverner la république, ce n’étoit qu’à eux qu’il appartenoit de convoquer le sénat, comme Aulugelle le rapporte après Varron.

Dans les premiers tems de Rome, lorsque l’enceinte de la ville étoit peu considérable, les sénateurs étoient appellés personnellement par un appariteur, ou par un courier, quelquefois par un crieur public, quand les affaires exigeoient une expédition immédiate. Mais dans les tems postérieurs, on les convoquoit d’ordinaire par le moyen d’un édit qui assignoit le tems & le lieu de l’assemblée, & que l’on publioit quelques jours auparavant, afin que la connoissance & la notoriété en fussent publiques. Ces édits n’avoient communément lieu que pour ceux qui résidoient à Rome, ou qui en étoient peu éloi-

gnés. Cependant quand il s’agissoit de traiter quelque

affaire extraordinaire, il paroît qu’ils étoient aussi publiés dans les autres villes d’Italie. Si quelque sénateur refusoit ou négligeoit d’obéir à l’appel ; le consul l’obligeoit de donner des sûretés pour le payement d’une certaine somme, au cas que les raisons de son absence ne fussent point reçues. Mais dès que les sénateurs étoient parvenus à l’âge de soixante ans, ils n’étoient plus assujettis à cette peine, & ils n’étoient plus obligés de se rendre dans les assemblées, que lorsqu’ils le vouloient bien.

Dans les anciens tems, au rapport de Valérius, les sénateurs étoient si occupés du bien public, que sans attendre un édit, ils étoient dans l’habitude de se rassembler d’eux-mêmes sous un certain portique près du palais du sénat, d’où ils pouvoient s’y rendre promptement, dès que le consul étoit arrivé. Ils croyoient à peine digne d’éloge leur attention à s’acquitter des devoirs de leur état & de leurs obligations envers la patrie, si ce n’étoit volontairement & de leur propre gré, & s’ils attendoient le commandement d’autrui, ou l’intimation qui leur en seroit faite. Mais où s’assembloient ils ?

Les anciens Romains, pleins de religion & de vertu, avoient coutume d’assembler le sénat dans un lieu sacré dédié aux auspices, afin que la présence de la divinité servit à faire rentrer en eux-mêmes ceux qui songeroient à s’écarter des regles de la probité. Romulus le convoquoit hors de la ville dans le temple de Vulcain, & Hostilius dans la curie Hostilie. Nous lisons, dans les anciens auteurs, qu’après l’expulsion des rois, le sénat s’assembloit tantôt dans les temples de Jupiter, d’Apollon, de Mars, de Bellone, de Castor, de la Concorde, de la Vertu, de la Fidélité, & tantôt dans les curies Hostilienne & Pompéienne, dans lesquelles les augures avoient fait bâtir des temples pour cet effet. Tous ces temples formoient les lieux d’assemblée du sénat. Voyez Temples des assemblées du sénat.

Il y avoit des tems marqués pour assembler le sénat, savoir les calendes, les nones & les ides, excepté les jours des comices, pendant lesquels on traitoit avec le peuple. Dans ces jours là, la loi Papia défendoit d’assembler le sénat, afin que les sénateurs ne fussent point distraits dans leurs suffrages ; mais suivant la loi Gabinia, les sénateurs devoient s’assembler pendant tout le mois de Février pour répondre aux gouverneurs de provinces & recevoir les ambassadeurs. Lorsque le sénat s’assembloit dans les jours fixes marqués ci-dessus, on l’appelloit le vrai sénat ; lorsqu’il s’assembloit hors de ce tems-là, & extraordinairement pour traiter de quelque affaire de conséquence & inopinée, on le nommoit sénat convoqué ; & il l’étoit alors par le premier magistrat. De-là cette distinction de sénat ordinaire & de sénat convoqué, que nous lisons dans Capitolain, cité par Gordianus.

Le sénat, selon l’usage, s’assembloit toujours le premier de Janvier, pour l’inauguration des nouveaux consuls, qui prenoient alors possession de leurs charges. Il s’assembloit aussi quelques autres jours du même mois, selon les anciens auteurs, & il n’y avoit d’exceptés, qu’un ou deux jours de ce mois jusqu’au quinzieme. La derniere partie de Janvier étoit probablement destinée pour les assemblées du peuple ; le mois de Février étoit reservé tout entier par l’ancien usage au sénat, pour donner audience aux ambassadeurs étrangers ; mais dans tous ces mois généralement, il y avoit trois jours qui paroissent avoir été destinés d’une façon plus particuliere aux assemblées du sénat. Ces trois jours étoient les calendes, les nones & les ides ; c’est ce qu’on préjuge des fréquentes assemblées tenues dans ces jours, & qui sont rapportées dans l’histoire ; mais dans la suite