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qui permet aux maîtres bonnetiers de la ville de Paris, de faire des bas au moins à quatre brins de trame, pour l’assise qui forme la maille, ayant donné lieu à des abus considérables, en ce que les fabriquans, pour faire des bas légers, avoient trouvé le moyen d’employer des trames très-fines, ce qui rendoit les bas défectueux, il fut ordonné, par arrêt du conseil, du 30 Mars 1700. art. 4. que les soies préparées pour les ouvrages de bonneterie, ne pourroient être employées en moins de huit brins ; ces huit brins pouvoient être de trame ou de poil indifféremment, mais néanmoins de soie travaillée au moulin ; mais comme les soies de cette espece faisoient revenir le bas plus cher qu’il n’est aujourd’hui, attendu les frais du devidage & du doublage, les fabriquans de bas de Nîmes & de Lyon, inventerent l’ovale, qui est en usage dans tour le royaume, excepté à Paris, afin que la modicité du prix de cette marchandise, qui n’est pas moins de 25 à 30 sols chaque paire, donnât lieu à une plus grande consommation.

Pour rendre plus intelligible la différence de la soie ovalée, d’avec la trame ou le poil, quant aux frais, il est bon d’observer que, suivant l’ancienne méthode pratiquée dans les provinces, lorsque la trame ou le poil étoient teints, il falloit les faire devider, ce qui coutoit des frais assez considérables ; le devidage étant fait, il falloit ensuite doubler, ou joindre ensemble la quantité de fils devidés, qui devoient composer l’assise ; toutes ces opérations faisoient revenir cette matiere plus chere ; le doublage, en unissant les fils, qui ne pouvoient être au-dessous de huit brins, leur donnoit une espece de tors, pour l’employer plus facilement, il falloit encore que les soies trame, ou poil, eussent été travaillées au moulin, ainsi qu’il a été démontré dans l’article du moulinage, ce qui augmentoit les frais de la préparation ; aujourd’hui l’ovale épargne le moulinage, le devidage en entier, & le doublage en partie, parce que l’ovale étant une imitation du doublage, une ouvriere, ou ouvrier seul, en faisant autant que seize, selon l’ancienne méthode, le payement qui se fait pour une semblable préparation, est équivalent à la proportion du travail.

On a dit que la soie ovalée étoit un assemblage de huit, douze, même jusqu’à seize brins de soie grèze, suivant la qualité de la soie, ou le poids qu’on veut donner au bas ; cette soie, ou ces brins sont préparés comme la trame, c’est-à-dire tordus légerement ensemble sur eux-mêmes, & doivent composer la moitié de l’assise, qui par sa grosseur est devidée si aisément, que les frais n’en sont pas comptés, & c’est la seule préparation dont elle a besoin ; dans cette opération se trouvent renfermées le moulinage, le devidage, & la partie du doublage, bien différent de l’ancien.

Lorsque la soie est ovalée, on la donne au teinturier pour lui donner la couleur desirée, & lorsqu’elle est teinte, comme on vient de dire qu’elle ne composoit que la moitié de l’assise, on joint ensemble les deux fils de soie ovalés, & les repassant sur l’ovale, comme le premier, ces deux fils paroissant n’en composer qu’un, forment l’assise entiere, propre à la fabrication du bas.

Outre la propriété de l’ovale à concourir à la diminution des frais pour préparer la soie, elle en a encore une pour le mélange des bas ; par exemple si on veut faire un bas mélangé gris de maure, & gris clair, on fait teindre un fil de chacune de ces deux couleurs, on les double ou joint ensemble, & les repassant sur l’ovale, le tors que cette machine donne à ces deux fils, quoique léger, est si juste que le mélange se trouve parfait dans la fabrication du bas ; delà vient que dans le mélange des bas de Nîmes,

Lyon, &c. on ne voit point des barres brunes, ni des barres claires, mais un mélange si régulier, qu’il n’est pas possible de faire mieux.

Outre cette perfection de l’ovale, il en est encore une dans cette même machine, qui n’est pas moins essentielle que la précédente. Le fabriquant qui fait ovaler sa soie, fait jusqu’à un pouce la longueur de son écheveau, & la quantité qui lui est nécessaire pour la qualité ou longueur du bas qu’il se propose de faire, de façon que, comme il arrive très-souvent que le teinturier charge la soie de drogues, pour rendre le poids de la soie, en conformité des reglemens & de l’usage, retenant de son côté une partie des écheveaux, il arrive que la longueur déterminée & juste de l’ovale, met le fabriquant de bas à l’abri de cette fraude, parce que étant ovalée teinte, elle doit avoir la même longueur que lois qu’elle ne l’étoit pas, & que quand même le poids se trouveroit dans la partie rendue par le teinturier, si la longueur n’y étoit pas de même, la fraude seroit trop visible.

Pour rendre sensible la façon dont on peut mesurer la longueur du fil ovalé, il n’est besoin que d’examiner l’hasple, ou devidoir, sur lequel se forment les écheveaux ; au bout de l’axe, ou arbre du devidoir, est un pignon de quatre dents, qui engrene à une roue de vingt-quatre, de façon que tous les six tours du devidoir, la roue en fait un ; au centre de cette même roue est attaché un autre pignon de quatre dents, qui engrene à une seconde roue de quarante ; tous les dix tours de la premiere roue, cette seconde en fait un ; combinez le mouvement de l’hasple, avec celui de la premiere & seconde roue, il arrivera que toutes les fois que cette derniere fait un tour, le devidoir en fait soixante ; la chose est claire ; au centre de cette seconde roue, est un axe de quatre à cinq pouces de longueur, & de trois ou quatre lignes de diametre, sur lequel se roule une corde fine, au bout de laquelle est attaché un poids de trois ou quatre onces, afin de la tenir tendue ; lorsqu’on veut savoir combien de tours le devidoir a fait, il n’est besoin que de compter les tours de la corde, sur l’axe de la seconde roue, & multiplier ces mêmes tours par soixante, le produit donnera juste la quantité des tours du devidoir, par exemple, dix tours de la petite corde, multipliés par soixante, donneront six cens tours du devidoir, &c.

Toutes ces perfections établies de l’ovale, n’empêchent pas qu’il n’y ait une imperfection bien marquée dans le bas fabriqué avec les secours de cette machine, puisque le réglement concernant la manufacture de cette marchandise, en défend l’usage à Paris, où il n’est permis de fabriquer des bas qu’à trame distincte ; c’est le terme des fabriquans de Paris. Il s’agit d’établir la différence qui se trouve dans le bas fabriqué avec de la soie ovalée, d’avec celui qui l’est à trame distincte.

La façon dont on a démontré la préparation de la soie ovalée, est bien différente de celle de la trame ou du poil. Dans cette premiere, tous les brins de soie greze sont préparés ensemble : & dans la seconde, ils sont préparés ou deux ensemble, comme la trame, ou un seul, comme le poil. Or il résulte de toutes ces préparations différentes, qu’il n’est personne qui ne convienne que 8 brins de trame préparés séparement, auront plus de consistance & plus de perfection que 16 brins, de la même maniere préparés tous ensemble ; conséquemment qu’un bas fabriqué à trame distincte, acquerra plus de brillant & plus de qualité qu’un autre fabriqué avec de la trame ovalée. Il est encore à remarquer que si un bas fabriqué avec de la soie ovalée, se trouve au sortir de l’apprêt avoir un nœud à l’endroit, il faut nécessairement le couper pour ôter cette difformité ; or on soutient qu’il n’est pas possible de couper un nœud