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une espece de réglement, qui pût concerner toutes les personnes qui s’appliquent à faire des soies, principalement celles dont la mauvaise foi peut donner lieu à de grandes défectuosités dans celles qu’elles font tirer ; il ne peut se trouver que des personnes semblables à qui cette nouveauté donne de la répugnance ; il est nécessaire d’expliquer quels sont les abus qui peuvent se commettre en pareil cas.

C’est un usage constant en France, en Piémont, en Italie, & depuis peu dans le royaume de Naples, que chaque particulier qui fait faire des soies, a la liberté de les faire tirer à sa fantaisie, c’est-à-dire, a tant de cocons, plus ou moins. Cette liberté ne doit point être ôtée à ceux qui en jouissent, crainte de décourager les personnes qui s’appliquent à faire des nouvelles plantations de meuriers. Mais elle entraine après soi un grand inconvénient, en ce que, excepté néanmoins en Piémont, la soie tirée à 17 cocons est bien souvent vendue dans les foires ou marchés sur le même pié & au même prix que celle qui est tirée à 13 ou à 12 ; celle tirée à 12, comme si elle étoit tirée à 10 ou à 9, ainsi des autres. C’est au moyen de cette fraude qui échappe aux lumieres des plus fameux connoisseurs, par la finesse de la soie tirée, que tous les organsins de l’Europe, autres que ceux de Piémont, ne sont jamais portés à cette perfection si nécessaire pour celle des étoffes, si l’on en excepte néanmoins certaines fabriques, qui ayant des fonds assez considérables pour acheter dans le tems de la récolte la quantité de cocons dont elles peuvent faire l’emploi pendant le courant de l’année, sont en état de fournir une quantité proportionnée d’organsin égal & bien suivi auquel on donne communément le nom d’organsin de tirage.

Indépendamment de la fraude qui peut être mise en pratique dans le tirage des soies, concernant la quantité de brins supposée, la croisade si nécessaire pour l’union des brins qui composent le fil, & si utile pour parvenir à faire un bel organsin, ne peut-elle pas être négligée ? Tout le monde sait que plus il y a de croisure, plus la soie acquiert de perfection ; mais aussi elle se tire bien plus doucement ; d’où on doit conclure que l’avidité du gain, & l’expédition du tirage pour vendre promptement la soie tirée ou grèze. peut occasionner la négligence d’un article aussi essentiel dans le réglement de Piémont, de l’importance duquel dépend toute la perfection de la soie.

Il est peu de Fabriquans de soie en France qui soient en état de se fournir tout-d’un-coup de la quantité de cocons qu’ils peuvent faire tirer, & dont ils font préparer la soie pour être employée dans leurs manufactures, & les faire travailler pendant le courant d’une année, s’ils ne sont de ceux à qui le conseil a fait des fonds, ou accordé des privileges pour en trouver plus facilement ; il faut donc avoir recours à cette multitude de particuliers qui font tirer eux-mêmes ; & c’est précisément cette quantité de soie de différens tirages qui altere les organsins qui en proviennent : ce qui n’arriveroit pas, si on observoit à cet égard la même regle qui est pratiquée en Piémont.

Il est nécessaire d’observer encore qu’il est peu de fabriquans d’étoffes qui achetent les soies œuvrées comptant ; le terme du payement est toujours au moins d’une année : il est porté quelquefois à plus de 15 mois, & cela par rapport au tems long pour la préparation de la matiere & la fabrication de l’étoffe ; de sorte qu’un marchand de soie, qui au commencement de la récolte vendra la soie achetée dans le commencement de la précédente, qu’il n’aura pas pu faire préparer plutôt, pour continuer son travail, qu’il ne peut ni ne doit faire discontinuer, afin d’entretenir ses ouvriers pour ne pas les perdre, sera obligé d’attendre plus de deux années, avant que de pou-

voir se procurer le remboursement des avances qu’il

aura été obligé de faire en achetant les cocons de divers particuliers qui ne peuvent vendre que comptant.

Il n’en est pas de même des particuliers qui font tirer les soies qu’ils cueillent : ceux-là ne sont pas obligés de vendre leurs cocons comptant, attendu leur bien être, & le bénéfice qui se trouve sur la soie qu’ils font tirer, & sur les fraudes que quelques-uns peuvent mettre en pratique, ainsi qu’elles ont été citées. Ils vendent la soie qu’ils font, à ceux qui la préparent pour la vendre aux fabriquans d’étoffe. Ces fabriquans de soie n’en achetent qu’au fur & à mesure qu’ils en trouvent le débouché : ce qui fait que toutes ces parties différentes achetées de différens particuliers, réunies pour composer un même balot, ne peuvent faire qu’une marchandise ou matiere très-défectueuse.

Pour prévenir un abus aussi pernicieux, il seroit nécessaire de faire un réglement semblable à celui de Piémont, qui, entr’autres articles, en eût un qui assujettît chaque particulier de faire une déclaration au châtelain ou procureur fiscal du bourg ou village où il feroit sa résidence, de la quantité de cocons qu’il a cueillis : à combien de brins il voudroit les faire tirer : les croiser en conformité de la quantité, à peine de, &c. dans le cas où il feroit une fausse déclaration : charger ceux qui la recevroient, de faire des visites exactes, en leur attribuant une partie des amendes encourues, ou autre indemnité pour les exciter à veiller : préposer une personne pour faire des visites générales outre les particulieres : & enfin ne rien négliger de ce qui pourroit contribuer à faire des soies parfaites.

Toutes les précautions qu’on pourroit prendre pour parvenir à la perfection du tirage des soies, deviendront inutiles, dès qu’on négligera celles qui conduisent à la perfection de l’organsin, qui ne sauroit être parfait, ni même bon, si celui qui le prépare, n’est pas certain de la quantité de fils ou brins qui composent les fils. On ne sauroit être instruit de cette qualité qu’en mettant en pratique les moyens énoncés ci-dessus.

Au moyen de cette précaution aussi nécessaire qu’utile, le particulier qui croiroit avoir été trompé dans l’achat des soies grèzes, n’auroit besoin que de recourir à celui qui auroit reçu la déclaration de son vendeur, pour en être parfaitement instruit ; d’ailleurs l’obligation imposée de la faire, tiendroit en quelque façon tous les fraudeurs en regle ; & ceux qui ne s’y trouveroient pas, seroient obligés de subir la peine qui leur seroit imposée à cet égard ; conséquemment les prévaricateurs seroient retenus par la crainte du châtiment ou par celle des exemples, & ne feroient plus de fausses déclarations.

Comme cet article est le plus délicat de ceux qui pourroient être insérés dans le réglement prétendu, aussi bien que celui de la croisade, il est néanmoins évident qu’il ne seroit à charge qu’aux personnes de mauvaise foi. Des semblables articles sont observés dans le réglement de Piémont concernant les filatures, ou à-peu-près de même. A l’égard des autres, tels que ceux qui concerneroient l’égalité du devidoir, tant pour les tirages de soie que pour les moulins à la préparer, le salaire des tireuses & des ouvriers qui travaillent aux moulins, les raisons qu’on donneroit de la nécessité de leurs exécutions, & l’examen qui en seroit fait, suffiroient pour les augmenter ou diminuer, selon que le cas l’exigeroit.

Dès que les mouliniers qui préparent la soie au sortir du tirage, seroient sûrs de la qualité de celles qu’ils employeroient, il est certain qu’ils s’appliqueroient à mieux travailler ; aucune raison ne pourroit les disculper des reproches qu’on seroit en droit de leur faire sur les défauts qui se trouveroient dans