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le sieur V*** l’autre par le sieur R*** fabriquant en bas, & la troisieme par le sieur le M*** inspecteur des manufactures de Languedoc, telles qu’elles sont décrites dans le procès-verbal d’épreuves qui en ont été faites au mois d’Avril 1745 dans l’orangerie de M. le Nain intendant de Languedoc, en sa présence & en celle de plusieurs artistes. Ces machines, disons-nous, imitent bien en quelque façon celle de Piémont, comme on l’a déja observé ; en effet, leur structure est la même, & l’on y fait aussi de même les premiers croisemens dont on a parlé ci-devant, qui se font entre la bassine & la lame de fer. L’hasple ou devidoir & le va-&-vient sont aussi, à quelque chose près, les mêmes que ceux de la machine de Piémont ; mais au-lieu d’un mouvement de rouage, elles n’ont qu’un mouvement à corde & poulies ; & au-lieu d’un mouvement composé, elles n’en ont qu’un simple : & c’est précisément cette différence de mouvement, l’un composé & à roues, & l’autre simple & à corde & poulies, qui fait que le premier est constamment uniforme en soi-même, & dans la correspondance & réciprocité de l’hasple au va-&-vient, & que le deuxieme est aussi inégal en soi que dans cette correspondance de l’hasple au va-&-vient ; & de-là naît la perfection du tirage qui se fait par le mouvement à roues, & l’imperfection de celui qui ne s’opere qu’avec un mouvement à corde & poulies.

On en trouve la preuve écrite dans le procès-verbal même du mois d’Août 1745, ci-dessus énoncé. Les sieurs le M*** & R*** qui l’ont dressé conjointement, y reconnoissent en termes formels que l’inégalité & la cessation de la tension de la corde dans les tems secs causent l’inégalité & la cessation du mouvement du va-&-vient. Voilà donc un défaut radical dans ce mouvement à corde, de l’aveu même de ses auteurs, qui ne se rencontre, ni ne peut se rencontrer dans un mouvement à rouage.

Il est bien vrai qu’on prétend, selon ce procès-verbal, qu’il est remédié à ce défaut, du-moins dans le tour du sieur V*** par un contrepoids qui tient la corde tendue. Mais 1°. l’efficacité de ce remede n’est que conjecturale, on veut dire qu’elle n’est pas bien établie. En effet ce contrepoids ne sauroit empêcher que les poulies ne se liment peu-à-peu dans leurs rainures par le frottement continuel de la corde, & que la corde aussi ne s’amincisse, tant par ce frottement que par celui qu’elle souffre sur elle-même, étant croisée ; dès-lors le diametre de ces poulies étant diminué & cette corde amincie, glissant plus ou moins légerement, il en résulte nécessairement une inégalité de mouvement.

2°. Pourquoi recourir au remede, quand on peut éviter le mal dans sa source ? Qui détruit la cause, détruit l’effet. Le mouvement est fixé invariablement par le rouage dans la machine de Piémont ; il faut donc se servir de rouage sans recourir à des voies qui le rendent inégal, & qui elles-mêmes ont besoin d’un correctif, dont, encore un coup, l’effet est douteux tout-au-moins, s’il n’est pas démontré tout-à-fait impuissant.

Les sieurs le M*** & R*** confessent encore dans ce même procès-verbal, que le plus grand défaut de la construction d’un tour est d’occasionner le cassement des fils, & ils ont raison : or il est constant que lors des épreuves les fils se sont plus souvent cassés sur le tour du sieur V*** que sur les autres ; voilà donc conséquemment aux principes & de leur aveu même une des trois nouvelles machines qui ne sauroit entrer en concurrence avec les autres, & à plus forte raison avec celle de Piémont : si vinco vincentem te, debeo vincere te.

On a établi ci-devant que les fils qui se couchoient

sur l’hasple lors du tirage ou premier devidage, se colloient ensemble, ce qui en occasionnoit la rupture lors du second devidage, & conséquemment le déchet, indépendamment de ce que ce second dévidage en étoit plus long & plus difficultueux : le tour du sieur R*** en fournit la preuve. « Proportion gardée, dit le procès-verbal en question en parlant du second devidage, il a été mis plus d’un tiers sur le quart au devidage de l’écheveau filé sur le tour du sieur R*** qu’à celui de tous les autres ; la différence est plus considérable sur le déchet & le nombre des fils rompus, cela est bien clair ; ce qui suit ne l’est pas moins ; mais indépendamment de ces remarques qui peuvent être différentes de celles auxquelles donnera lieu le devidage du moulin, nous avons remarqué qu’il y a eu plus de tems à devider l’écheveau du tour du sieur R*** que ceux des autres : on n’en peut guere attribuer la cause, continue ce procès-verbal, qu’en ce que les fils en étoient collés plus durs aux endroits qui avoient porté sur les aîles des hasples, & qu’ils l’étoient encore un peu dans leur longueur ».

Ces judicieuses remarques épargnent le commentaire, on ne peut rien y ajouter, elles établissent démonstrativement ces trois points : 1°. que les fils de l’écheveau tiré sur le tour du sieur R*** se sont couchés dans les longueurs, & par conséquent collés ; 2°. que ce collage en a occasionné la rupture & le déchet lors du second devidage, indépendamment des inconvéniens qui en résulteront lors du devidage du moulin ; 3°. que ce second devidage a été plus long & plus difficultueux : trois défauts essentiels dans les principes mêmes des sieurs le M*** & de R*** car dans le cours des épreuves qu’ils ont faites lors de leur procès-verbal, ils ont reconnu, disent-ils, « que la bonne construction du tour devoit avoir principalement pour objet de contribuer à la perfection de la soie, d’empêcher que la soie ne soit difficile à devider, & ne souffre trop de déchet dans cette opération, &c ». Le tour du sieur R*** a faussé sa vocation, puisqu’ils ont reconnu que la soie en étoit difficile à devider, souffroit plus de déchet, & par conséquent étoit moins parfaite.

Mais ces défauts, nous disent les mêmes sieurs le M*** & R*** ne sont que de petits défauts (quelle contradiction !) auxquels il sera aisé de remédier ! & comment cela ? c’est ce qu’ils ne savent ni l’un ni l’autre, ou tout-au-moins c’est sur quoi ils n’ont pas jugé à-propos de s’expliquer. La seule & véritable voie de remédier à ces défauts, est de reconstruire un tour d’une nouvelle structure : mais, non, vous répondront-ils. Il faut bien se garder de changer cette ingénieuse structure. Eh, pourquoi cela ? C’est pour lui conserver le grand avantage qu’il a sur les autres tours, qui est d’aller plus vîte qu’eux. Quelle erreur ! Cette vîtesse, en la supposant, est elle-même un défaut qu’il faut corriger, bien-loin d’être une qualité avantageuse à lui conserver, puisqu’elle empêche que la soie qui passe de la bassine sur l’hasple n’ait le tems de sécher, comme elle fait sur le tour de Piémont, dont le réglement de 1724 n’a prescrit une certaine distance entre les piliers, qu’afin que les fils puissent aller de la bassine sur l’hasple plus secs & mieux conditionnés. Li cavaleti devrano avere le fantine in distansa di due pedi li prandi ; l’una dall’altra acchiochè dall’aspla al ferro vi sia contanza tale che li fili… possano andar sovra l’aspla piu asciutitè miglio conditionati, porte cette ordonnance, article 6. « les chevalets devront avoir les piliers en distance de 2 piés liprandi (mesure de Piémont de 19 pouces un pié de roi), c’est-à-dire, 3 piés 2 pouces pié de roi l’un de l’autre, afin que de l’hasple