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perceroit le cocon, qui par-là se trouveroit hors d’état de fournir la soie au tirage, attendu que le trou auroit coupé tous les brins qui le composent. Les cocons qui ne sont pas passés au four servent à fournir les papillons qui font la graine dont le tire le ver. Les cocons ronds produisent des papillons mâles, & ceux qui sont pointus des papillons femelles. Cela fait, on a deux machines, l’une est un fourneau avec sa chaudiere, l’autre est un dévidoir. L’ouvrier est assis près du fourneau, jette dans la chaudiere pleine d’eau qui est sur le feu, qu’il a déja fait chauffer & même bouillir, l’entretenant ensuite à un certain degré que l’expérience seule peut déterminer, une poignée ou deux de cocons qui ont été bien nettoyés de la substance grossiere qui les environnoit ; ensuite il remue le tout fort vîte avec des brins de bouleau liés ensemble, & coupés comme une brosse. Quand la chaleur & l’agitation ont démêlé les bouts de soie des cocons, ils prennent aux brins du bouleau, & l’ouvrier les sort dehors en tortillant à la fois 9, 10, 12, 15, 16 bouts de soie ; il en forme un fil qu’il porte sur le devidoir qu’on a représenté dans nos Planches.

La fig. A représente la fille qui tire la soie, & qui conduit les opérations du tirage. La fig. B celle qui tourne l’hasple ou le devidoir sur lequel se forment les écheveaux. La fig. C représente les quatre piés qui soutiennent le chassis ou quarré long de 4 piés environ sur environ deux piés & demi dans le haut, & 2 piés du côté de la tireuse de soie. La fig. E représente les quatre piliers, que les Piémontois nomment fantine, dont deux soutiennent l’hasple ou devidoir, & les deux autres l’épée ou va-&-vient. Les piliers qui soutiennent l’hasple doivent être éloignés de ceux qui soutiennent le va-&-vient de 2 piés liprandi, ou 38 pouces de notre mesure (mesure de Piémont, qui contient 12 onces, qui sont 18 pouces de notre mesure), afin que la distance de l’hasple à la bassine puisse conduire le fil plus sec & mieux conditionné sur l’hasple. (Art. 6. du reglement de Piémont, du 8 Avril 1724.) La fig. F représente l’hasple ou devidoir sur lequel la soie est formée en écheveau. La fig. G représente la manivelle du devidoir. La fig. H l’arbre du devidoir, au bout duquel & en-dedans du pilier est un pignon de bois I, composé de 22 dents, qui engrene à une roue taillée comme une roue de champ, appellée campana en langage piémontois, marquée K, attachée à une piece de bois arrondie, marquée L, au bout de laquelle est une autre roue de champ, marquée M, de 22 dents, qui engrene à un autre pignon, marqué N, composé de 35 dents, sur lequel est un excentrique, marqué O, qui entre par une pointe recoudée en équerre dans un trou qui est à l’extrémité du va-&-vient, marqué P, qui de l’autre côté entre dans une coulisse, où il a la liberté d’aller & venir sur une même ligne. La fig. Q représente deux fils de fer recourbés en anneaux ouverts, que l’on appelle griffes, dans lesquels la soie est passée d’une part & de l’autre à une lame de fer percée, marquée R, & adhérente à la bassine ou chaudiere, marquée S, dans l’eau de laquelle sont les cocons, qui est posée sur un fourneau marqué T.

La figure marquée V, représente les fils composés de plusieurs brins de cocons croisés (art. 4. du reglement de Piémont), dans la partie marquée Y, entre la lame & les griffes, pour former l’écheveau marqué Z. La fig. a représente un petit balai avec lequel on fouette les cocons b, lorsqu’ils commencent à être chauds, afin de trouver le brin de chaque cocon ; ce qu’on appelle en termes de l’art, faire la battue.

La fig. 2. représente le plan de la premiere ; la fig. 3. la partie du chevalet & de l’hasple en face, & la fig. 4. le devant du même chevalet en face ; la fig. 5. représente le pignon de 35 dents, auquel est joint l’excentrique marqué O ; la fig. 5. représente une manne pleine de cocons.

Ces tours ou chevalets dont on se sert en France ne sont point composés comme ceux de Piémont, quant au mouvement ; ceux de France n’ont ni roue, ni pignons pour conduire le va-&-vient, mais seulement une corde sans fin, laquelle passant dans une cavité de l’arbre de l’hasple dans l’endroit où est le pignon I, vient embrasser une poulie cavée placée dans la partie où se trouve placé le pignon N, sur laquelle est posé l’excentrique O, & au moyen du mouvement que la tourneuse donne à l’hasple, l’extension de la corde le donne au va-&-vient.

L’art. 15. du réglement de Piémont défend absolument l’usage des chevalets à corde, proibendo onninamente l’uso di cavaletti à corda, sous peine d’amende ; il faut en expliquer la raison, de même que celle qui veut qu’on croise les fils comme ils paroissent par la fig. Y.

Chaque fil de la soie tirée est composé de plusieurs brins de cocons ; les fils les plus fins sont composés de 4 & 5 cocons ; les plus gros de 25 & 30. Cette façon de les croiser sert à les unir tellement ensemble, que tous ces brins réunis ne composent qu’un fil, qui par cette opération acquiert toute la consistance nécessaire pour l’emploi auquel il est destiné ; elle l’arrondit & le déterge de façon, qu’aucun bouchon ou bavûre ne peut passer à l’écheveau, qualité nécessaire pour former un parfait organsin ; on croise les fils les plus fins 18 à 20 fois au moins (art. 4. du réglement de Piémont), & on augmente les croisemens à proportion de leurs grosseurs.

Outre ces croisemens de fils sur eux-mêmes, il est encore une façon de les faire croiser séparément lorsqu’ils viennent sur l’hasple pour former des écheveaux, & c’est ici le point fondamental de la perfection que les Piémontois se sont acquise, & qui est tellement connue de toute l’Europe, qu’il n’est point de fabriquant dans cette partie du monde, qui ne soit obligé de convenir que les organsins (ce sont les soies qui servent à faire les chaînes ou toiles des étoffes de soie), composés avec la soie du tirage du Piémont, sont les plus beaux & les meilleurs de ceux qui se font dans cette partie du monde. Ces croisemens doivent former une espece de zig-zag sur le dévidoir, tellement irrégulier qu’un brin ne puisse pas se trouver sur un autre brin, attendu que la soie qui vient de la bassine ou chaudiere, qui n’est qu’une gomme ductile, n’étant pas seche, se colleroit sur un autre fil si elle le joignoit dans sa longueur, ce qu’on appelle en terme de l’art, bout-baise ; il est donc d’une conséquence extraordinaire d’éviter ces baisemens de fil, afin de faciliter le dévidage de la soie, & empêcher les cassemens de fils, qui ne peuvent être raccommodés que par des nœuds, qui dans les étoffes fines, comme les taffetas unis, ne peuvent passer dans les peignes fins où la soie est passée ; de façon que s’il étoit possible de trouver une chaîne ou toile qui n’en eût aucun, on seroit sûr de faire une étoffe parfaite.

La méthode des Piémontois pare aux inconvéniens qu’on vient de démontrer, qui consistent dans la difficulté du devidage de la soie lorsqu’on veut la préparer pour organsin ou pour trame ; elle empêche encore la cause du vitrage, défaut le plus commun & le plus rebelle de tous ceux qu’on éprouve dans la filature. On en distingue douze plus ou moins nuisibles. Le vitrage est un arrangement vicieux des fils sur le devidoir, causé par le mouvement du va-&vient, dont la variation répétée trop souvent les fait trouver dans la même place, & les attache ou fait baiser, de façon que le devidage en est toujours difficultueux, & le déchet ou diminution de la soie très considérable. Un habile homme pense avoir trouvé la façon de corriger ce défaut (gazette d’Avignon, du 28 Janvier 1749), en se servant des chevalets, à la maniere de ceux de France ; mais comme il n’est